Isabel Gassier
A la recherche des peuples premiers
Elle n’a pas encore 30 ans et montre déjà tant de sagesse dans sa quête du geste juste pour retrouver la vie des sols et l’équilibre du vignoble. Il faut dire qu’Isabel a de qui tenir, puisqu’elle est la benjamine de Michel Gassier, qui se qualifie lui-même de « paysan chercheur ». C’est bien ce mélange d’innovation et de recherche, mais aussi de tradition, qui caractérise ces deux passionnés. Avant de revenir au château de Nages, le domaine familial du Gard où elle incarne la cinquième génération, la jeune femme a pas mal « bourlingué », comme elle dit.
Après des études d’ingénieur en viticulture œnologie, elle est prise sous l’aile de feu Philippe Cambie, œnologue du Rhône à la renommée internationale. Puis elle part dans la région de la Sonoma, en Californie, pour s’initier à la viticulture régénérative et se sensibiliser aux « pratiques ancestrales du lieu où l’on vit ». A l’écoute de la science et des « peuples premiers », Isabel met en place, avec brio, une approche de la résilience de la vigne et des écosystèmes avec, notamment, la conservation des sols, la mise en place de couverts végétaux… L’objectif est d’être le plus autonome possible sur l’exploitation et pouvoir compter sur l’entraide locale, qu’elle sait dynamiser.
Justine Vigne
Pour l’art et le vivant
Après un bac littéraire, suivi d’une licence en arts appliqués, Justine la bien nommée se passionne pour la fabrication du pain chez un paysan boulanger. De la terre à l’assiette préfigure sa future vocation pour le vin. Elle enchaîne un BTS en agronomie (option bio) et, durant quelque temps, un poste de conseil en développement agricole biologique. Sa rencontre avec le vigneron de la Drôme provençale Philippe Viret, chantre de la cosmoculture, se révèle déterminante : le travail du sol, une viticulture fondée sur les énergies de l’eau et de la géologie, les élevages en amphores résonnent en elle.
Retour à l’école pour un master vigne et vin en Bourgogne et, même, un stage dans le jardin agroécologique d’un monastère. La quête de sens et l’amour du vivant chevillés au corps, Justine file en Australie, à la rencontre d’Alex Podolinsky, le pape de la biodynamie dans l’hémisphère sud. En 2018, la jeune femme pose ses valises dans le Vaucluse, sur ces terres familiales où son grand-père avait planté quelques arpents de vignes : 3,5 hectares, juste assez pour entreprendre un travail artisanal de haute couture. Ses cuvées sans soufre ajouté et en biodynamie se révèlent d’une rare texture souple, chaleureuses, enveloppantes, avec des vins qui caressent et réconfortent. Pour le moment, cette boule d’énergie de 34 ans a trouvé sa place : sa recherche d’une viticulture écologique, créative et artistique prend sens.
Sophie Roussille
Entre amphores et alambics
La jeune Bourguignonne n’a pas les deux pieds dans le même fût. Depuis la reprise de l’exploitation familiale, en 2013, elle multiplie les cuvées et les expériences sur son terroir de Quintaine, entre les villages de Viré et de Clessé, dans le Mâconnais. Le domaine a été converti à la biodynamie par ses parents. « Ils faisaient partie du même groupe que Lalou Bize-Leroy et Anne-Claude Leflaive, ils ont été précurseurs en Bourgogne en obtenant la certification dès 1991 », souligne Sophie Roussille. Un engagement récompensé cette année par le label Green Emblem de Robert Parker Wine Advocate. Mais, à l’époque, seule une cuvée était produite sur les six hectares de vignes. D’entrée, elle va diversifier la gamme en élaborant un crémant, dénommé « la bulle », à l’occasion de son mariage avec Gautier, qui la rejoint sur l’exploitation en 2016. Ensemble, ils vont explorer de nouveaux horizons avec la cuvée Charleston, vinifiée et élevée un an dans un demi-muid, suivie de Retour à la terre, vinifiée en jarre de terre cuite. Le couple travaille actuellement sur l’élaboration de Solstice, un blanc de macération décuvée au bout de trois mois.
Avant de rejoindre le domaine, Sophie, 35 ans, avait effectué un stage à Cognac, chez Hennessy. Logique qu’elle s’intéresse aussi aux spiritueux. Elle a racheté deux alambics pour distiller ses marcs et ses lies. « Nous produisons aussi un gin et proposons, avec notre gamme La Distillerie Chromatique, des références pour la mixologie, comme des vodkas, des rhums, des liqueurs et des alcools de fruits provenant de nos vergers. »
Pauline Villa
Pour s’émanciper du père
Si elle n’a jamais douté qu’elle travaillerait un jour dans le monde du vin, Pauline Villa ne voulait pas l’aborder par son aspect technique. Elle a préféré suivre un cursus commercial, à Lyon, puis une spécialisation à Dijon. Elle aurait dû ensuite partir à l’étranger pour renforcer son bagage, mais le Covid est passé par là, précipitant son retour au domaine créé en 2009 par son père Pierre-Jean, référence du Rhône septentrional. « Je voulais aussi écrire ma propre histoire : avec mon frère, nous avons monté le Domaine Hugo & Pauline. » Une activité de négoce via des achats de raisin en côtes-du-rhône et en saint-joseph. « Nous nous complétons parfaitement. Plutôt technique Hugo travaille les vignes, tandis que je m’occupe du commerce et de la gestion. Mais on travaille ensemble à la cave et sur les vinifications », précise Pauline. Ils élaborent des nectars plus immédiats, notamment en vin de France et en IGP, qui permettent plus de liberté.
« Notre cuvée Le Chemin de la Croisette, par exemple, provient d’une complantation de syrah, de gamay et de viognier. C’est un super canon de fruit, mais que nous n’aurions pas produit sur le domaine familial. » Sur lequel, Pauline et son frère reprennent progressivement la main : « Pierre-Jean nous a toujours laissé beaucoup de liberté, notamment dans notre activité de négoce ; il assure aujourd’hui un support discret. » Un équilibre qui convient parfaitement à la vigneronne de 27 ans : « Hugo & Pauline constitue un peu notre centre de recherche et de développement ! » La fratrie vise une production de 200 000 cols, à parts égales sur chacun des deux domaines. A suivre.
Laura Dardanelli
Moderniser le beaujolais
A La Chapelle-de-Guinchay, aux portes septentrionales du Beaujolais, la famille Dardanelli a bâti son domaine viticole. Ils l’ont appelé Bel Avenir, un pied de nez à l’histoire et une jolie marque d’optimisme, quand on connaît les difficultés dans lesquelles le beaujolais a longtemps été empêtré. Malgré cela, Laura n’a pas manqué de s’inscrire dans la tradition familiale et croire dans l’avenir de son appellation. Après un BEP, à Davayé, un bac Vigne et Vin, à Beaune, et des stages à l’étranger, elle est revenue aider ses parents dans la gestion de l’exploitation fondée par son grand-père. Soucieuse de tracer sa propre voie, elle a aussi acheté quelques rangs à Saint-Amour et à Moulin-à-Vent pour fonder son propre domaine.
« Avec ce petit hectare, je vinifie à la bourguignonne, ce qui implique des pigeages et des macérations plus longues. Je veux produire des crus raffinés, élégants en bouche, avec des tannins subtils. » Et quand on demande à Laura Dardanelli, 32 ans, si ce n’est pas une gageure de s’installer au pays de Beaujeu, la réponse fuse : « Je ne me voyais pas aller ailleurs. Aujourd’hui, les amateurs sont attirés par les crus du beaujolais. » Une belle marque d’enthousiasme qui fait souffler sur le gamay des ondes positives bienvenues.
Vanessa Cherruau
La magicienne du chenin
A 36 ans, l’Angevine est devenue en trois millésimes l’une des portes chenin du vignoble ligérien : « J’ai eu le déclic pour le métier, en goûtant les crus de Thierry Germain et d’Antoine Sanzay. » Après l’Ecole supérieure d’agriculture d’Angers, la jeune femme fait ses armes à la vigne, comme en cuverie, chez Bouvet-Ladubay, à Saumur, puis au château de la Genaiserie. Partie découvrir le Nouveau Monde viticole, Vanessa Cherruau revient dans l’Hexagone, en Champagne, où elle taquine la bulle chez Lallier durant trois ans. L’appel de la Loire la pousse à s’installer sur sa terre natale. Survient alors l’opportunité de rachat du château de Plaisance – 25 hectares de vignes sur les terroirs fabuleux de Rochefort-sur-Loire, en Anjou.
Une association avec un investisseur français se met alors en place. Ce challenge excitant débute dès 2019 par un millésime très abouti, suivi d’un 2020 superbe : « J’ai poursuivi le mode de culture biodynamique initié ici dès 2008. » Persuadée du potentiel énorme des vins blancs secs en Anjou, Vanessa fait bouger les lignes : elle se trouve au début de l’écriture d’une grande histoire. De celle qui renouvelle complètement le profil des vins de la région. « Je recherche le juste équilibre entre puissance, structure, maturité et élégance, en allant chercher un toucher de bouche à la fois énergique, mûr et pur. » Les 2021 sortent du lot : de l’Anjou blanc sec aux cuvées parcellaires, Zerzilles, Ronceray ou La Grande pièce, sans oublier le Savennières ! Le guide Bettane & Desseauve lui attribue alors une troisième étoile.
Anaïs Ricôme
L’élevage en jarres est magique !
Un BTS viticulture-œnologie en poche, Anaïs Ricôme a réalisé ses premières vinifications en Nouvelle-Zélande. Lorsque, en 2009, son père lui demande de le rejoindre au domaine familial de La Croix Gratiot, à deux pas de l’étang de Thau, dans l’Hérault. L’intrépide – c’est le nom du club de vigneronnes engagées qu’elle a lancé avec deux consœurs du Languedoc – accepte « en posant [ses] conditions ». La jeune femme restructure le vignoble de 30 hectares, qu’elle convertit en biodynamie, se concentre sur les blancs, notamment le cépage piquepoul, dont elle loue « la belle acidité naturelle » – qui lui permet de vieillir.
Anaïs entreprend vite de l’élever de manière singulière. Après une expérience sur du bois guère concluante, elle s’intéresse aux dolia, ces jarres utilisées dans la production du vin depuis l’Antiquité : « J’ai demandé à mon oncle, briquetier dans le Tarn, d’en confectionner pour mes premiers essais. » La vigneronne est sûre de son intuition, mais la terre cuite lui paraît trop poreuse, elle opte alors pour le grès de Toscane. Aujourd’hui, l’exploitation qui compte une dizaine de ces contenants, de cinq et dix hectolitres, constitue l’un des plus importants parcs de la région. « La jarre tend, resserre, allonge les vins. C’est magique ! », s’enthousiasme Anaïs. Avant d’annoncer la prochaine sortie d’une troisième cuvée de blanc, baptisée Mais tu badines !, un clin d’œil à sa grand-mère.
Joséphine Duffau-Lagarrosse
Essai transformé !
La jeune femme porte un nom chargé d’histoire, celui d’une famille propriétaire, depuis 1847, d’un terroir calcaire d’exception, devenu premier cru classé de Saint-Emilion. Lors de la vente de ce joyau, au printemps 2021, cette ancienne joueuse de rugby du Talence université club, sort de la mêlée de potentiels acheteurs : elle fait alors équipe avec Prisca Courtin-Clarins, transformant un essai collectif parti de son propre en-but, montrant ainsi sa force de caractère ! A 31 ans, son CV parle pour elle : triple cursus d’agronomie, d’œnologie, de commerce international, pour les études supérieures. Et une pratique sur le terrain en Californie, au Mexique, en Nouvelle-Zélande et du côté de la Bourgogne. Puis retour dans le Bordelais, avec quatre ans à la direction technique du château du Taillan, avant d’être recrutée par Bernard Magrez, au détour de l’année 2019, comme directrice d’exploitation en Médoc, jusqu’à ce jour où elle reprend les rênes du château Beauséjour Duffau-Lagarrosse… A la joie de l’acquisition succède une période d’intense réflexion : « Pour progresser, on a arraché le cabernet-sauvignon, replantant alors du cabernet franc ; surtout, nous avons commencé de mettre en place un travail intra-parcellaire plus poussé. Cela se traduit dans l’espace par le chantier du nouveau cuvier qui sera normalement achevé pour la fin juillet 2024. » De quoi viser le grand chelem pour une promotion premier cru classé A, lors du prochain classement de Saint-Emilion… Lorsque l’on goûte le 2022, c’est plutôt bien parti !
Marianne Gamet
Valoriser le terroir au-delà de la vigne
Son sourire irradiant fait souffler un vent de fraîcheur sur la Champagne des vignerons : à 27 ans, Marianne Gamet est toujours en effervescence. Des études de commerce à l’Edhec de Lille, une année à Singapour et la voilà de retour, en 2019, sur le domaine familial – deux hectares à Mardeuil et six sur le secteur de Fleury-la-Rivière et Damery, dans la vallée de la Marne. Associée à son frère œnologue, Jean-François, elle fourmille d’idées, possédant une vraie vision pour les prochaines décennies : « Développer la polyculture pour valoriser le sarrazin, puis produire de la farine pour la vendre alentour, dans la philosophie locavore des circuits courts. Il convient d’ajouter une cave à cidre, valorisant pleinement les fruits du verger. »
Tandis que l’installation de ruches sur un champ en jachère signale une production de miel savoureuse, signe de bonne santé de la biodiversité, sujet essentiel pour le bon développement du vignoble. Ici, chaque cuvée transcrit au mieux sa propre personnalité et le lieu qui la porte. Dans la cuvée Rive Gauche, les agrumes confits sont magnifiés par une énergie de la bulle et une intensité saline finale. Assemblage de deux parcelles de meunier, Heurte-Loup 2018 met en valeur le millésime et le terroir. Ce cru non dosé, prouve que l’on peut travailler en délicatesse le pinot meunier, avec juste ce qu’il faut de tension derrière, dans un profil juste et vibrant. Des cuvées qui font briller les yeux de tous les amateurs de champagne !
La source de cet article se trouve sur ce site