Viande casher en Israël : qui tient le sceau ?
Qui contrôle réellement la viande casher en Israël ? La question, ancienne, revient en force. L’organisation Hatzom affirme avoir identifié des failles dans des lots importés destinés à la Judée-Samarie, et dénonce des tentatives de contournement du Grand Rabbinat par des certifications privées. Dans une lettre adressée au Comité de la cacheroute du Rabbinat, son directeur Aviad Gadot appelle à un gel de toute nouvelle autorisation tant que les quotas d’importation et les chaînes de contrôle n’auront pas été intégralement clarifiés par les autorités économiques et sécuritaires. À la Knesset, le député Tzvi Sukot, président du sous-comité pour les affaires de Judée-Samarie, enfonce le clou : la technologie ne remplace pas l’inspection humaine continue.
Le débat se nourrit d’un contexte structurant : la réforme de la cacheroute lancée en 2021, qui a ouvert la voie à des organismes privés habilités à certifier, sous normes du Grand Rabbinat. Pour ses promoteurs, la réforme promettait concurrence, baisse des coûts et meilleure qualité de service pour les entreprises. Pour ses détracteurs, elle a fragmenté le marché, multiplié les logos et introduit des zones grises entre la régulation publique et la mise en œuvre privée. Depuis, la justice et les régulateurs ont précisé les lignes : le Rabbinate conserve la norme-cadre et l’autorité de validation — notamment pour les importations — mais la délivrance sur le terrain peut être opérée par d’autres acteurs, ce qui exige une coordination irréprochable.
Or la viande en Israël est un sujet hautement sensible : le pays importe l’essentiel de son approvisionnement en bœuf (frais, surgelé et bétail vivant), ce qui multiplie les points d’entrée et, potentiellement, les risques de rupture dans la chaîne casher (abattage, écorchage, salage, étiquetage, logistique frigorifique, reconditionnement). À l’étranger, l’abattage sous supervision et la traçabilité doivent rester cohérents avec les exigences israéliennes, puis être re-vérifiés à l’arrivée. La moindre discontinuité documentaire ou non-conformité d’usine peut invalider un lot entier. D’où l’alerte d’Hatzom : l’essor d’organismes privés ou transfrontaliers peut, s’il n’est pas strictement adossé au Grand Rabbinat, créer un système parallèle où la confiance du public s’érode.
Ce bras de fer s’inscrit aussi dans une séquence récente de tiraillements : importateurs qui s’estiment confrontés à des exigences fluctuantes et coûteuses ; acteurs privés qui revendiquent leur légitimité halakhique ; et, face à eux, Rabbinate et autorités qui intensifient les audits sur la chéhita à l’étranger et sur l’étiquetage des produits importés. À plusieurs reprises, des décisions administratives et judiciaires ont rappelé que, pour l’import, la barre finale reste celle du Rabbinate — précisément pour préserver l’unicité de la norme aux frontières.
Le cœur du problème est clair : dans un marché ouvert et massivement importateur, la cacheroute ne peut reposer que sur trois piliers indissociables. Premier pilier : une norme publique unique — lisible par les consommateurs, contraignante pour tous les opérateurs. Deuxième pilier : une exécution compétente et pluraliste, à condition que chaque maillon — du sho’het à l’auditeur logistique — soit redevable devant l’autorité halakhique centrale. Troisième pilier : la traçabilité intégrale, du site d’abattage étranger à l’étal israélien, avec des chaînes du froid vérifiées, des scellés infalsifiables et un historique numérique consultable par les contrôleurs.
Dans ce cadre, la demande d’Hatzom d’un moratoire ciblé sur de nouvelles autorisations, le temps de croiser quotas, licences et rapports d’inspection, n’a rien d’extravagant : c’est un stress-test de gouvernance. Il appartient au ministère de l’Économie, au Coordinateur des activités gouvernementales et au Grand Rabbinat de publier des tableaux de bord consolidés : volumes par pays d’origine, statut halakhique des usines et abattoirs, non-conformités détectées, mesures correctives, et calendrier d’audits. Plus la donnée est publique et structurée, moins il y a d’espace pour les certificats opportunistes et les chaînes opaques.
Reste la Judée-Samarie, terrain de polémiques récurrentes. Les circuits de distribution y mêlent population israélienne et marchés locaux, exposant le système casher à des interfaces où une étiquette ambiguë ou un contrôle lacunaire peut semer le doute. Ici encore, la solution passe par des équipes d’inspection renforcées, une unification des scellés et une interopérabilité totale entre certificats — au standard du Rabbinate.
La confiance dans la cacheroute est un intérêt vital d’Israël : religieux, social et économique. Elle exige de réaffirmer la norme unique du Grand Rabbinat sur les importations, de responsabiliser les opérateurs privés dans un cadre strictement adossé à cette norme, et de publier des données de contrôle qui ferment la porte aux contournements. En combinant rigueur halakhique, transparence et traçabilité, Israël peut sécuriser son marché de la viande et préserver ce bien commun qu’est la confiance du public dans le label casher.
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