Des centaines de spectateurs et coureurs de l’Ultra-Trail du Mont-Blanc (UTMB) auront la surprise de découvrir, ce vendredi soir au niveau de Notre-Dame de la Gorge (km 35), d’immenses drapeaux de Savoie brandis par quelques supporteurs dignes des étapes de montagne sur le Tour de France, voire d’ultras de football. La raison ? Il s’agit de la Duc Army, communauté de traileurs regroupés autour d’Ugo Ferrari. Agé de 32 ans et figure bien connue (et déjantée) du monde de l’ultra-trail, celui-ci s’est en effet autoproclamé « Duc de Savoie » en 2019, après avoir remporté l’Ultra Beaujolais Village Trail (82 km).
« Comme j’étais ce jour-là sur les terres de François D’Haene [icône du Team Salomon et quadruple vainqueur de l’UTMB], qui habitait encore là-bas, j’ai annoncé que le Duc de Savoie était venu annexer le Beaujolais. La blague est partie de là, et je trouvais ça bien d’avoir un personnage pour que les gens arrêtent de commenter au premier degré mes vannes sur mes vidéos YouTube. » La Duc Army accompagne depuis ce coureur savoyard qui a plusieurs casquettes. Ultra-traileur élite sponsorisé par la marque Altra, au micro en tant qu’animateur sur une trentaine de courses de trail chaque année, organisateur du Trail Nivolet-Revard et responsable d’un Patreon, blog payant qu’il a créé en 2020 et qui constitue sa principale activité.
Des conseils dans le podcast « The Duke Connection »
Les « Patreotes » écoutent et lisent les conseils de celui qui a fini chacun de ses cinq UTMB dans le Top 30, et qui ambitionne « à terme un Top 10 presque accessible » sur la course d’ultra référence dans le monde (176 km et 10.000 m de dénivelé positif). Cheminot en région parisienne, Aurélien Musy fait partie de cette Duc Army. « Je suis tombé sur le podcast d’Ugo, The Duke Connection, lorsque je me suis intéressé au trail en 2022, confie-t-il. Le rendu assez artisanal, où on sent immédiatement beaucoup de proximité avec ses auditeurs, tout ça m’a bien plu. Il est très méticuleux sur la nutrition et il donne beaucoup de conseils sur comment s’améliorer. »
Pour six euros par mois d’abonnement au Patreon (qui compte plus de 500 abonnés), on peut écouter Aurélien Musy interagir avec Ugo Ferrari sur le forum du site, mais aussi avec des nutritionnistes et d’autres coureurs élites comme Nicolas Martin. « Ugo et toute cette communauté m’aident beaucoup dans ma progression, insiste Aurélien Musy. On partage notre calendrier de courses pour s’arranger pour le covoiturage et l’hébergement sur place. Et puis un week-end par an, on loue un gîte avec Ugo et les Patreotes motivés et on va courir tous ensemble. »
« Je me suis retrouvé à côté de D’Haene sans tilter »
L’élan communautaire de ce projet autour d’Ugo Ferrari va même jusqu’à la création le mois prochain d’un club Duc Army auprès de la Fédération française d’athlétisme. Réellement lancé sur la course à pied en 2014, après avoir eu un très bon niveau de VTT dans les catégories jeunes, il participe donc à chaque édition de l’UTMB depuis 2018. « Jusqu’en 2022, j’étais tout feu tout flamme, raconte-t-il. Je ne me rendais pas compte à quel point il fallait se retenir au début d’un ultra pour être bon sur la durée de la course. C’est assez dur de trouver son vrai rythme et il m’a fallu plusieurs expériences pour le comprendre comme sur l’UTMB 2021. »
Cette année-là, Ugo n’hésite pas à partir avec le groupe de tête pendant trois bonnes heures. « C’était idiot, je m’étais très bien préparé pour l’événement et je me sentais bien, donc je me suis retrouvé à courir aux côtés de François D’Haene sans tilter. Mais non, ma place n’est pas là. J’ai complètement coincé après. Dans l’ultra, tu es obligé de ronger ton frein au début pour mettre les gaz à la mi-course. »
Des punchlines cultes sur le Tour de France
Typiquement l’un des conseils qu’il délivre à présent sur son podcast, au milieu d’un paquet de digressions faisant aussi de lui l’un des personnages les plus détonants du milieu. Le Duc de Savoie s’est à ce propos fait supprimer son compte YouTube, en raison de vidéos barrées à souhait postées en 2020. On l’entendait commenter les images de cinq étapes de montagne du Tour de France dans les années 2000. Et surtout celle des Pyrénées Bagnères – Luz-Ardiden 2003 qui a cassé Internet comme Lance Armstrong avait massacré tous ses « concurrents » ce jour-là, avant de déposer Sylvain Chavanel, alors seul en tête dans la dernière ascension.
Avec une séquence d’Ugo Ferrari devenue culte : « Est-ce que Sylvain Chavanel fait partie du peloton des professionnels à ce moment-là ? Bah non, regardez Lance Armstrong, il lui met une petite tape dans le dos, comme quand tu fais du sport avec ton gamin. Tu lui dis « C’est bien Kévin, t’as fait une bonne sortie aujourd’hui. Tu vas voir maman, elle va te faire du chocolat chaud ». Il lui aurait chié dessus, ça aurait été plus respectueux ».
Ugo Ferrari explique les coulisses de ce délire sur « les champions du monde niveau piquouze », qui avait atteint 1 million de vues en un an, avant que son compte ne soit « démagnétisé par YouTube, à la demande de l’organisateur du Tour ASO ». « En 2020, je m’ennuyais et pour rigoler, j’ai décidé de commenter cette vidéo que je regardais toujours sur mon home trainer, comme ça, en one shot, sans scripte. Je l’ai envoyée à des copains, ils m’ont incité à la mettre sur YouTube, et la boule de neige a grossi. Encore aujourd’hui, ça arrive qu’on reconnaisse ma voix à la caisse d’un magasin et qu’on me reparle de cette vidéo. » Car des internautes ont depuis reposté cet extrait sur YouTube.
« Ugo a son authenticité, il est sans filtre »
Ancien ingénieur fabriquant des brouilleurs de téléphone dans les prisons, Ugo Ferrari apprécie sa « progression non-stop » dans le trail-running depuis 2021, après une grave blessure au genou en 2017 sur la Diagonale des Fous (à La Réunion) puis l’annulation de toutes les courses en 2020 avec le Covid-19.
« On est un peu vu comme les deux petits guignols dans le sas des coureurs élites, sourit Alexandre Boucheix, alias Casquette Verte, autre traileur au profil atypique. Comme dans un vestiaire de foot, on se chambre beaucoup : je suis le Parisien face à Ugo et sa défense de la culture de la Savoie. Il a son authenticité, il est sans filtre et il rapproche les gens avec sa communauté. Ça me fait rire de voir à quel point l’UTMB est le truc le plus important de sa vie. Parfois, il s’autodévore avec. »
Podcast et articles consacrés à sa prépa de la course partant de Chamonix à 18 heures ce vendredi, période d’acclimatation à la chaleur, Ugo Ferrari vit effectivement l’UTMB à fond depuis de longues semaines. Et comptez sur la Duc Army pour retourner Notre-Dame de la Gorge, afin de lui donner du baume au cœur au coucher du soleil. « J’adore ça, cet endroit est parfait pour faire la fête, résume le coureur savoyard. Juste après, on passe toute notre nuit sur les chemins de haute montagne, en pleine solitude. Par contre, si on avait des zozos comme ça tout au long du parcours, ça serait lourd. » Le franc-parler, encore et toujours.
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