Alors que la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme s’intensifie à travers le monde, certaines méthodes de transfert d’argent échappent encore aux radars des régulateurs financiers. Parmi elles, l’hawala : un système informel de transfert de fonds utilisé depuis des siècles au Moyen-Orient. Ce mode de transaction repose sur la confiance et l’absence de trace écrite ou numérique, rendant le contrôle par les autorités particulièrement complexe. Utilisé comme montage financier, l’hawala joue aujourd’hui un rôle clé dans le financement d’activités illicites, et notamment du terrorisme.
L’hawala, système ancestral de transfert d’argent
L’hawala est une méthode de transfert de fonds reposant sur la confiance entre individus, sans mouvement d’argent et sans écriture. C’est un processus informel qui permet d’envoyer de l’argent d’un pays à l’autre en empruntant un réseau d’intermédiaires, aussi appelés Halawadars.
Moins onéreux que les virements bancaires, ce système offre une efficacité similaire aux voies traditionnelles de transferts de fonds, tout en minimisant les frais d’utilisation. En effet, les seuls frais liés à l’hawala peuvent être les commissions, parfois retenues par les intermédiaires (sarrâf) au cours du transfert. Sa simplicité d’utilisation et son efficacité en font un outil privilégié par les travailleurs immigrés souhaitant transférer de l’argent à leur famille restée à l’étranger. L’hawala est également utilisé par les organisations humanitaires pour atteindre des zones reculées ou à risque sans avoir à envoyer physiquement l’argent.
Un système informel pour atteindre des zones reculées et contourner les institutions bancaires
Le caractère accessible et peu onéreux de l’hawala en fait une méthode de choix pour envoyer de l’argent dans des zones reculées tout en minimisant les traces laissées par le transfert. Tout se fait avec discrétion, rapidité, coûts limités et aucune bureaucratie. Cette méthode représente donc un réel intérêt pour le financement du terrorisme ou d’activités illicites. L’ambivalence de ce système a ainsi fait naître deux expressions distinctes : le concept d’hawala « blanc », accolé aux fonds licites, et celui de « noir », désignant les transferts de fonds illicites.
Plusieurs risques d’hawala noirs ont été répertoriés, notamment par le Bureau of International Narcotics and Law Enforcement Affairs dans un rapport de mars 2021. Ces risques concernent majoritairement des pays d’Afrique et du Moyen-Orient, mais également le Canada, le Kazakhstan ou encore la Russie et la Thaïlande. En somme, l’hawala est aujourd’hui employé à l’échelle mondiale. Difficilement réglementé, il est largement utilisé par les réseaux clandestins.
Une méthode prisée par les organisations terroristes
Particulièrement prisé par les organisations terroristes, l’hawala est fréquemment utilisé par les groupes djihadistes pour financer leurs opérations, dont les groupes Al-Qaïda et État islamique, ainsi que leurs affiliés. Plus récemment, les autorités israéliennes ont pointé du doigt l’utilisation de cette méthode par le Hamas. À l’échelle du djihad mondial, ce système a connu un regain d’activité après les attentats du 11 septembre 2001. En novembre de la même année, l’administration américaine a gelé la compagnie somalienne Al Barakat, spécialisée dans les paiements par hawala. En France et en Europe, les affaires de financement d’activités terroristes ont explosé à partir de la première moitié des années 2010.
En effet, comme le souligne le rapport parlementaire d’information sur la lutte contre le financement du terrorisme international, après les attentats de 2015, Tracfin, le service de renseignement financier français, a mis en lumière l’importance des filières de financement des djihadistes français partis combattre dans les rangs de l’État islamique. Plus de 300 « collecteurs » situés dans les pays frontaliers de la zone irako-syrienne, ainsi que plus de 400 individus présents sur le territoire français, contributeurs à ces filières de financement, ont ainsi été identifiés.
La France n’est pas le seul pays européen touché par le phénomène. En juin 2019, les autorités espagnoles ont lancé une vaste opération, l’opération Wamor, visant un réseau d’hawaladars. La cellule était chargée de financer le retour de combattants partis faire le djihad sur le théâtre irako-syrien.
La lutte contre l’hawala : un enjeu transversal
Les filières de financement djihadiste par la méthode hawala s’inscrivent souvent dans des enjeux dépassant le simple cadre de la lutte contre le financement terroriste. Comme le souligne le rapport de la Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED), les circuits financiers djihadistes utilisant l’hawala sont fréquemment associés à d’autres activités illicites, telles que le trafic de stupéfiants ou de migrants.
Cette transversalité est amplifiée par le caractère transfrontalier de l’usage de l’hawala. Par son fonctionnement, la méthode permet de contourner les taxes, taux de change et contrôles douaniers. Ces réseaux informels transitent par plusieurs pays, rendant ainsi opaque l’itinéraire entre le point de départ et celui d’arrivée. En effet, de nombreux circuits financiers liés au terrorisme incluent des étapes dans des pays tiers. Par exemple, la Turquie offre un vaste réseau d’halawadars mettant en lien l’Europe et le théâtre irako-syrien.
De plus, la méthode hawala est souvent utilisée par les groupes terroristes en complément d’autres méthodes. Tracfin, dans son rapport annuel de 2020, a confirmé cette tendance en identifiant la même année un circuit de financement terroriste mêlant plusieurs moyens, tels que les bitcoins ou coupons prépayés, à la méthode de l’hawala. Ce réseau aurait permis l’acheminement de près de 250 000 euros au bénéfice de groupes djihadistes sur le théâtre irako-syrien.
Comment lutter contre le financement du terrorisme par la méthode hawala ?
Pour pallier l’utilisation de l’hawala, il est nécessaire d’adopter une approche similaire à la menace : transversale. Ainsi, il serait intéressant de renforcer le dispositif sécuritaire afin de détecter et d’entraver efficacement la menace, tout en adaptant la législation. Ce renforcement passe notamment par une coopération accrue entre les acteurs compétents en matière de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, qu’ils soient publics ou privés.
La coopération inter-services est donc centrale, tant au niveau national qu’international. Dans cette optique, plusieurs mesures ont déjà été menées avec succès en France. En 2018, l’initiative No Money for Terror a rassemblé plus de 70 États et organisations internationales à Paris pour renforcer la lutte contre le financement du terrorisme. À l’issue de cette rencontre, les participants ont adopté l’Agenda de Paris, comprenant des engagements concrets, notamment dans les domaines législatifs.
La DNRED et Tracfin, deux acteurs clés dans la lutte contre les flux financiers illicites, collaborent étroitement avec d’autres services de renseignement sur le financement du terrorisme, sous la tutelle du ministère de l’Économie. Toutefois, ces services pourraient subir des coupes budgétaires en raison du contexte financier français, à l’inverse des ministères de l’Intérieur et des Armées. Céline Berthon, directrice de la DGSI, a pourtant souligné la montée en puissance de la menace terroriste lors de sa première interview publique sur RTL, le 17 septembre dernier.
/www.portail-ie.fr
Louis Durand et Louis Quinet
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