Résister à l’ambiance – Une Franco-Israélienne au festival d’Avignon
Une place vide dans la Cité des Papes
Nathalie Ohana –
On ne peut communier en excommuniant.
Les billets étaient pris. Le voyage prévu depuis longtemps. Et voilà que le 2 juillet, le festival d’Avignon, par la voix de son directeur, publie sur son compte officiel :« le festival se passe tandis qu’un massacre de masse se produit à Gaza ».
La Franco-Israélienne que je suis se demande alors : « mais que vais-je faire dans cette galère ? »
Sur place, je m’attends au pire. Je guette le moment où l’on me prendra à partie, où des paroles m’atteindront, où mon cordon jaune aux couleurs de la libération des otages sera trop encombrant, mais rien. Ou presque. Ici, on s’affaire à une sorte de marathon culturel et divertissant à grande échelle, on passe d’un théâtre à un autre, on épluche les critiques et on traque LA pièce à ne pas rater.
Je m’assois à une terrasse de café pour reprendre mon souffle. Un Allemand me tend un tract pour « Le Marchand de Venise », de Shakespeare, il veut causer avec moi, je lui dis que j’habite en Israël. Baissant la voix, il me lâche cette phrase : « Être antisémite est devenu illégal et condamnable. Alors la forme a changé, on s’en prend à Israël au lieu de s’en prendre ouvertement aux Juifs, mais le fond est resté le même ».
Je remonte les rues brûlantes, quelques affiches sur Gaza et la Palestine perdues dans le flot infini des spectacles que l’on placarde. Un drapeau palestinien, un keffieh, il semble que la mayonnaise de la polémique n’a pas vraiment pris. Mais le mal est fait. Et le cœur n’y est plus. C’est la raison pour laquelle les mots de Saint-Exupéry, par la voix du talentueux Franck Desmedt, me parlent avec clarté: « le véritable courage, c’est de résister à l’ambiance. »
Résister à l’ambiance, pour moi, c’est passer outre, feindre la normalité, tout en ne cédant rien aux poncifs paresseux. « Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde. » disait Camus, tristement mis à l’honneur dans une pièce ratée du festival au théâtre Essaion.
Ce sanctuaire de la création théâtrale, censé incarner le souffle le plus vivant de l’art, s’est transformé en une parodie pathétique de lui-même.
« On ne voit bien qu’avec le cœur » nous dit encore Saint-Exupéry. Au milieu des spectacles qui se réclament haut et fort de « l’humanisme », des « droits de l’homme » et d’autres combats éminemment vertueux, mon cœur ressent que l’âme du festival a été capturée.
Le théâtre défiguré a perdu sa vocation universelle: extraire le spectateur de son propre système de croyances, l’inviter, par la justesse des textes, à s’identifier à des émotions qu’il n’a pas directement vécues, et ainsi communier avec ses frères humains d’autres époques et contrées, pour donner un sens plus grand à sa propre existence.
À Avignon, je redécouvre cette évidence : on ne peut communier en excommuniant.
Toute prétention à l’universel en devient une trahison quand, au nom de la « Morale » ou du « Droit », on se met à exclure une partie de l’humanité, désignée par la bien-pensance commune comme incarnation du Mal absolu. C’est cette même fausse vertu qui prend l’art en otage de sa bêtise et de son narcissisme lorsqu’on voit certains artistes annuler leur venue aux Francofolies de Spa sous prétexte de la présence du chanteur franco-israélien Amir…
De ce festival détourné de son essence, je repars vers mon peuple, si injustement stigmatisé, boycotté, vilipendé, vers cet « autre universel » qui m’a appris à unir le respect de soi à celui de l’Autre, la fierté nationale à la reconnaissance de toutes les identités.
C’est dans cette nouvelle patrie que je continuerai désormais à faire vibrer l’âme du théâtre français… en attendant que mon pays natal trouve enfin le courage de « résister à l’ambiance » …
Source: causeur.fr
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