Un rapport sur « l’islamisme politique et la mouvance des Frères musulmans », commandé en mai 2024, est examiné ce mercredi en Conseil de défense. En toile de fond : la crainte d’un « entrisme » islamiste, exprimée notamment par Bruno Retailleau. Retour sur l’histoire, l’influence et les critiques liées à ce mouvement.
Les origines du mouvement
Les Frères musulmans est un mouvement politique sunnite islamiste, fondé par Hassan al-Banna, en 1928 à Isamaïlia, en Egypte, dans un contexte « d’occupation britannique », précise Haoues Seniguer, maître de conférences à Sciences Po Lyon. A l’époque, les objectifs principaux de la création du mouvement sont :
- Restaurer un califat, symbole de l’unité des musulmans, aboli par Mustafa Kemal en 1924,
- Répondre, sur le terrain symbolique, aux colons britanniques et la présence occidentale hégémonique en Egypte,
- Et poser les bases d’un Etat islamique, guidée par la loi islamique (la charia).
Le projet des Frères musulmans est conservateur mais il se distingue des salafistes, en étant « relativement ouvert » aux interprétations divergentes. Leur influence s’est étendue grâce aux associations, notamment culturelles et sportives, et devient populaire grâce à l’organisation d’activités caritatives, comme le notait Le Monde.
L’évolution du mouvement
Le mouvement va subir « beaucoup de répressions » dans les années 1940 et opte pour la violence, avec, entre autres, des attentats contre les dirigeants égyptiens. En réponse, Hassan al-Banna est assassiné, puis le mouvement est interdit et dissout en 1954. Jusqu’à la mort de Nasser, en 1970, les membres vivent en « clandestinité », jusqu’à une amnistie proclamée par Anouar al-Sadate, l’année d’après. Mais le mouvement rejette les accords de paix avec Israël en 1979 et certains des membres du mouvement assassinent le Président en 1981.
En 1984, Hosni Moubarak autorise les Frères comme groupe religieux mais pas comme parti. Ils contournent cette limite et obtiennent 20 % des sièges en 2005. En 2011, ils créent le Parti Liberté et Justice, gagnent les législatives et placent Mohamed Morsi à la présidence l’année d’après. Renversés par l’armée d’al-Sissi en 2013, leurs dirigeants sont arrêtés, leur parti dissous et le mouvement est classé comme terroriste, résume TF1.
Le rayonnement du mouvement à l’étranger
Leur rayonnement dépasse vite l’Egypte. « C’est un mouvement qui a essaimé dans le monde majoritairement musulman mais même en Europe car il a beaucoup de succès sur le plan idéologique et symbolique. Des mouvements inspirés de cette organisation se sont créés au Maroc, au Soudan, en Algérie, en Tunisie et en Europe, à partir des années 1980 », explique Haoues Seniguer.
Mais l’organisation n’est pas « structurée » internationalement avec un « commandement unifié », souligne Orient XXI. Dans certains pays, elle change même de noms, comme le Hamas en Palestine. Et les modes d’actions sont définis en fonction du contexte local. Dans plusieurs pays, comme l’Arabie saoudite, l’Égypte et très récemment la Jordanie, le mouvement est finalement interdit.
Les Frères musulmans en France
En France, c’est l’ex Union des organisations islamiques de France (UOIF), créée en 1983, devenue Musulmans de France qui est souvent associée à cette mouvance. Pourtant, l’association ne revendique aucun lien officiel avec les Frères musulmans.
Pour Haoues Seniguer, l’organisme appartient à ce qu’il définit comme des « néo-frères musulmans ». « Les Musulmans de France sont dans une logique de transmission religieuse, mais ne prônent pas l’application de la charia ou la création d’un État islamique. C’est une rupture dans la continuité. » Il développe : « Un Frère musulman installé en France connaît trop bien les contraintes juridiques, politiques et culturelles pour croire qu’un tel projet est possible en France. »
Le frèrisme ou le rigorisme religieux
Le rapport, qui va être au cœur du Conseil ce mercredi, estime que « 7 % des 2.800 lieux de cultes musulmans répertoriés » en France avec « 91.000 fidèles le vendredi » en moyenne, seraient liés à ce mouvement. Il évoque aussi une percée de l’islam radical dans « une vingtaine de départements » et s’inquiète d’une « rigorisation de la pratique religieuse ».
Mais le maître de conférences de Sciences Po Lyon appelle à la nuance, pointant « une confusion » entre le « rigorisme religieux et moral » et le « frèrisme ». « Il y a une différence entre conservatisme et volonté de subversion de l’ordre sociale et politique », insiste-t-il. Pour lui, ceux qui pensent que les Frères musulmans sont capables d’instaurer la charia ou de prendre le pouvoir en France « se trompent et entretiennent les gens dans une forme de peur infondée ».
« Il n’y a pas de parti politique ou mouvement de masse musulman qui serait capable de concurrencer un autre parti aujourd’hui, personne pour réclamer des tribunaux islamiques, pas d’existence des Frères organisés pour troubler le planning familial et empêcher les femmes de procéder à une IVG ou bien interdire les couples de mêmes genres à un mariage. Toutes les illustrations qu’on pourrait donner de cet entrisme ne tiennent pas », insiste-t-il.
Il conclut : « Il ne faut jamais confondre les Frères d’aujourd’hui avec ceux d’hier et les Frères d’ici et ceux de là-bas. Oui, il faut documenter ce phénomène. Mais avec rigueur, sans raccourcis, et en ciblant les acteurs réellement problématiques. »
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