Ça peut faire peur, mais c’est pour la bonne cause – il paraît. Les jeunes sont de plus en plus nombreux à se rassembler dans des parcs pour crier à l’unisson dans le seul et unique objectif de… se calmer. Des dizaines, centaines ou milliers de personnes se réunissent, évoquent ou non leurs problèmes, puis lancent un compte à rebours et… hurlent.
Le phénomène peut prêter à sourire, mais il est bel et bien réel et se matérialise sous les appellations « scream club » ou « scream squad », c’est selon, s’imposant autant dans la vie réelle que sur les réseaux sociaux. « Hurler est moins cher qu’une thérapie », écrit un utilisateur ayant participé à l’un de ces rassemblements atypiques à Londres.
Le cri comme exutoire
On connaissait les thérapies par le rire, il s’agirait cette fois d’une forme de thérapie par le cri. De Sydney à Toronto en passant par Ottawa, Chicago et Londres, les « scream clubs » pullulent à travers le monde pour permettre à celles et ceux qui le souhaitent… d’aller mieux, tout simplement. « Le cri est un réflexe archaïque, un déchargeur d’émotions brutes. Il mobilise le système nerveux parasympathique et permet, littéralement, de libérer la tension accumulée », explique la thérapeute Anissa Ali, auteure de Dating, la grande illusion.
Alors qu’un jeune âgé de 10 à 19 ans sur sept souffrirait d’un trouble mental, d’après des chiffres rendus publics par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), ces rassemblements sont aujourd’hui perçus par les principaux intéressés comme de véritables défouloirs. « Les scream clubs sont un exutoire symbolique : on y vient pour poser le fardeau invisible du stress, de la colère, de la frustration. Psychologiquement, c’est une forme de catharsis, à condition qu’elle soit contenue, encadrée, ritualisée », poursuit la professionnelle de santé.
Faire face à « une société de tension chronique »
Qui a vu la série Empathie a forcément souri en voyant Suzanne (Florence Longpré) s’acharner à lancer des haches dans une cible en jurant pour se libérer d’un stress trop pesant. Une forme d’exutoire là encore, au même titre que les rage, break et fury rooms, où l’idée est tout simplement de tout casser. Des activités qui offrent la possibilité de se défouler pour évacuer une anxiété devenue constante.
« Nous vivons dans une société de tension chronique : sursollicités, frustrés, épuisés, mais priés de sourire. Le corps, lui, n’oublie rien : il encaisse. Alors il faut bien que ça sorte quelque part. Ces clubs sont les symptômes d’une époque qui cherche désespérément à relâcher la pression sans savoir comment », analyse Anissa Ali. Ces défouloirs, quelle qu’en soit la forme, pourraient être comparés aux groupes de parole en vogue dans les années 1970, sauf qu’ils sont désormais mis en scène, comme l’explique la thérapeute.
« Il y a le versant socio : le défouloir est devenu un loisir. L’émotion brute se consomme, se filme, se partage sur les réseaux. On crie pour se libérer, mais aussi pour être entendu ou liké ». On observe effectivement sur les vidéos partagées sur les réseaux sociaux une volonté des participants d’échanger autour de leurs problèmes, tout comme la nécessité de sortir d’un certain isolement à travers ces clubs qui s’apparentent à de véritables communautés.
Pas une véritable thérapie
Crier, lancer des haches, ou casser des assiettes peut effectivement aider certains à relâcher la pression, mais ces activités ne doivent pas se substituer à une véritable thérapie. « Crier à des vertus cathartiques. Avoir un lieu dédié, cadré ou l’émotion pourra s’exprimer sans débordement et sans jugement a du sens. En revanche, si le besoin vient avec une perte de contrôle au quotidien, une souffrance chronique et qu’après la séance la personne ne perçoit aucun bénéfice à part celui d’alimenter une colère sans parvenir à la traiter, alors le concept a ses limites », décrypte Johanna Rozenblum, psychologue clinicienne.
Avant d’adhérer à ces clubs d’un genre nouveau, il faut donc se questionner sur les racines du malaise. S’agit-il d’évacuer un stress lié à une mauvaise période, une semaine difficile au travail, un coup dur, ou le problème est-il profond ? Si c’est le cas, hurler, seul ou à plusieurs, ne suffira clairement pas. « Le cri ne guérit pas l’origine du mal-être, il en soulage seulement la pression. C’est une soupape, pas une thérapie », avertit Anissa Ali. Et de conseiller éventuellement des défouloirs plus tranquilles comme la course, le chant, l’écriture, le dessin, ou la méditation. « Le point commun ? Revenir au corps, à la respiration, au mouvement. Pas besoin de casser pour se réparer. Parfois, s’autoriser à respirer fort vaut mieux que crier plus fort », conclut la spécialiste.
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