Ukraine; Quand le « plan américain » parle russe

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Ukraine; Quand le « plan américain » parle russe

Les conversations qui ont fuité entre l’envoyé spécial de Donald Trump, Steve Witkoff, et des proches de Vladimir Poutine ont agi comme un révélateur. Ce que beaucoup soupçonnaient devient désormais tangible : le « plan américain » en 28 points pour mettre fin à la guerre en Ukraine doit bien davantage à l’imagination du Kremlin qu’à la diplomatie de Washington.

Selon les retranscriptions publiées ces derniers jours, Witkoff échange d’abord avec Iouri Ouchakov, conseiller diplomatique de Poutine. Il lui explique comment s’adresser au président américain : le féliciter pour son rôle dans le cessez-le-feu à Gaza, insister sur son image « d’homme de paix », le rassurer sur les intentions russes. L’émissaire répète à son interlocuteur qu’il est convaincu que Moscou « a toujours voulu un accord » et dit nourrir le plus grand respect pour Poutine.

Mais c’est la seconde conversation qui éclaire vraiment l’origine du fameux plan. Kirill Dmitriev, patron du fonds souverain russe et proche du Kremlin, ne se contente pas de commenter les idées américaines : il propose tout simplement de fournir un texte russe clef en main, que les États-Unis pourraient reprendre à leur compte en y apportant quelques retouches de forme. Les fuites indiquent qu’un document de ce type a bien été transmis à l’entourage de Trump à l’automne, via des rencontres à Miami, avant d’être recyclé dans ce projet de paix estampillé « made in USA ».

Le contenu de ce plan explique le scandale qu’il a provoqué à Kyiv comme dans plusieurs capitales européennes. Le texte initial envisageait une limitation drastique des capacités militaires ukrainiennes, un renoncement de facto à une adhésion à l’OTAN et une acceptation implicite du contrôle russe sur une partie significative du territoire ukrainien. Face au tollé, les discussions entre responsables américains, ukrainiens et européens ont conduit à réduire le texte à 19 points, en en retirant les concessions les plus flagrantes à Moscou, ce qui a aussitôt suscité l’irritation du Kremlin.

Pour de nombreux Ukrainiens et pour les volontaires occidentaux engagés à leurs côtés, ce plan a été vécu comme une forme de renoncement, voire de « trahison », tant il semblait entériner sur le papier ce que la Russie tente d’imposer par la force sur le terrain. Les critiques soulignent qu’un tel accord, s’il était appliqué en l’état, figerait un rapport de force défavorable à Kyiv et affaiblirait durablement le principe même de l’inviolabilité des frontières en Europe.

Les fuites autour de Witkoff, Ouchakov et Dmitriev confirment surtout la profondeur de la connivence entre certains cercles de l’administration Trump et leurs interlocuteurs russes. L’envoyé américain joue de fait le rôle de coach politique auprès du Kremlin, expliquant comment présenter les demandes de Moscou de manière acceptable aux yeux de la Maison-Blanche. Même si Dmitriev conteste l’authenticité des enregistrements, aucun des responsables russes directement impliqués ne les a formellement démentis, ce qui nourrit encore le malaise.

Cet épisode a une portée plus large que le seul dossier ukrainien : il ébranle l’idée des États-Unis comme « leader naturel » d’un camp occidental uni. Oui, Washington demeure la première puissance militaire et diplomatique mondiale, et aucun Européen ne peut prétendre défendre l’Ukraine sans l’appui américain. Mais la succession de volte-face, de plans élaborés dans l’opacité et de signaux perçus comme trop favorables à Moscou pousse plusieurs capitales du Vieux Continent à chercher des garanties complémentaires, voire à parler de nouveau d’autonomie stratégique.

C’est dans ce contexte qu’a été réunie en visioconférence la « Coalition des volontaires », ce groupe d’une trentaine de pays qui coordonnent leur soutien militaire et financier à Kyiv. Autour des dirigeants européens, du président ukrainien et du secrétaire d’État Marco Rubio, les discussions portent désormais autant sur les armes que sur l’architecture de sécurité qui devra protéger l’Ukraine et l’Europe après la guerre. Pour les Européens, l’enjeu est clair : rester arrimés aux États-Unis, tout en cessant de se raconter que tout dépendra uniquement d’un futur coup de fil entre Trump et Poutine.

Au final, ces téléphones qui sonnent entre Miami, Moscou, Genève et Washington racontent deux réalités. La première est la confiance assumée d’une partie de l’entourage de Trump dans la capacité de Poutine à « faire la paix », même au prix de lourdes concessions ukrainiennes. La seconde est la nécessité, pour les Européens, de regarder lucidement cette nouvelle donne : ne plus idéaliser l’allié américain, clarifier leurs propres lignes rouges et peser davantage dans un jeu diplomatique où, manifestement, beaucoup se décide sans eux.

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