De Gaza à Damas : L’Ambition Turque Défie Jérusalem
Recep Tayyip Erdogan, le président turc, s’impose comme une figure incontournable sur l’échiquier mondial, multipliant les alliances stratégiques et les médiations audacieuses. Donald Trump l’a récemment qualifié de « dur à cuire » et d’ami précieux, tandis que Vladimir Poutine scelle avec lui des pactes énergétiques cruciaux. Les chanceliers européens, malgré des frictions, maintiennent des canaux ouverts, reconnaissant son poids dans les crises régionales. L’année 2025 marque un zénith pour Erdogan : de l’accord de cessez-le-feu à Gaza à une influence accrue en Syrie, en passant par des interventions dans le Golf et en Ukraine. Pourtant, cette ascension irrite profondément Israël, qui y voit un franchissement intolérable de ses lignes rouges, alimenté par les liens persistants d’Ankara avec le Hamas et une répression intérieure impitoyable. « De Gaza à la Syrie, du Golf à l’Ukraine, aucune résolution ne se fera sans la Turquie », a clamé Erdogan lors du congrès de son Parti de la justice et du développement (AKP) fin octobre. « Nous exportons la paix, après avoir éradiqué le terrorisme chez nous, nous le ferons pour toute la région. » Ces mots traduisent une vision impériale, où Ankara se pose en arbitre indispensable.
Le dossier gazaoui illustre parfaitement cette dynamique. En octobre 2025, Erdogan a joué un rôle pivotal dans la trêve fragile impulsée par Trump, via son « Décret pour une Paix et Prospérité Durables », un plan en vingt points salué par Washington. Face à un blocage persistant, le président américain s’est tourné vers son homologue turc, exploitant ses connexions étroites avec le Hamas – hébergé à Doha mais influencé par Ankara depuis des années. Des négociations discrètes à Istanbul ont convaincu le mouvement islamiste d’accepter un retrait progressif des forces israéliennes et l’ouverture des corridors humanitaires. Trump a publiquement remercié Erdogan pour cette « avancée décisive », soulignant sa « responsabilité cruciale ». Résultat : plus de 500 camions d’aide ont franchi les postes-frontières en trois semaines, un flux inédit depuis le début du conflit en 2023. Pourtant, Israël perçoit cela comme une ingérence : le Premier ministre Benjamin Netanyahu a dénoncé une « manœuvre pour légitimer des terroristes », accusant Ankara de bloquer ses navires et d’interdire ses survols depuis un embargo commercial total imposé en 2024, coûtant 6,8 milliards de dollars aux échanges bilatéraux.
En Syrie, l’ambition turque franchit un autre seuil. Avec la chute du régime Assad en décembre 2024, Erdogan a orchestré une intervention rapide, déployant des troupes pour sécuriser Idlib et Alep contre les milices kurdes du YPG, considérées comme une extension du PKK terroriste. Des accords avec les rebelles soutenus par Ankara ont permis une « stabilisation » sous influence turque, incluant la reconstruction d’infrastructures et l’acheminement d’aide via des corridors contrôlés. Poutine, pragmatique, a validé cette présence en échange de concessions gazieres en mer Noire. Au Golf, Erdogan a négocié un pacte énergétique entre Qatar et Arabie saoudite, renforçant les investissements turcs dans les ports qataris. En Ukraine, ses drones Bayraktar ont armé Kiev, tout en maintenant des pourparlers secrets avec Moscou pour un corridor céréalier prolongé. Ces coups diplomatiques consolident la Turquie comme pivot eurasiatique, avec un PIB en hausse de 4,2 % au troisième trimestre 2025, dopé par les exportations vers l’Asie centrale.
Mais cette gloire extérieure masque une ombre intérieure. Depuis janvier 2025, une vague répressive s’abat sur l’opposition. Plus de 500 arrestations ont visé le Parti républicain du peuple (CHP), principal rival d’Erdogan, dont 17 maires destitués pour « liens terroristes ». Ekrem Imamoglu, maire d’Istanbul et dauphin potentiel pour 2028, risque un procès pour « corruption », suite à des manifestations massives en septembre à Ankara, rassemblant 100 000 personnes contre cette « purge judiciaire ». Des jeunes militants, accusés de « propagande anti-étatique » sur les réseaux, ont été détenus en masse, provoquant des émeutes étudiantes à Istanbul. Amnesty International a documenté une hausse de 40 % des détentions arbitraires, tandis que la presse critique, comme le journal Cumhuriyet, fait face à des saisies quotidiennes. Erdogan justifie cela par la lutte contre le « terrorisme interne », aligné sur sa rhétorique anti-kurde.
L’Occident, pragmatique, ferme les yeux : l’OTAN valorise les bases turques en Méditerranée orientale, et l’UE négocie un accord migratoire actualisé. Israël, isolé, multiplie les avertissements : en novembre, des mandats d’arrêt turcs contre Netanyahu pour « génocide » à Gaza ont valu à Erdogan le surnom de « tyran » à Jérusalem. Des experts militaires spéculent sur une cyber-offensive israélienne contre les infrastructures turques, tandis que Trump tempère, insistant sur une « confiance renouvelée » avec Erdogan pour étendre la trêve à Gaza.
Cette trajectoire turque, entre triomphes géopolitiques et tensions internes, redessine les équilibres régionaux. Ankara, forte de son soft power musulman et de ses hard assets militaires, défie les monopoles traditionnels. Pour Israël, c’est une ligne rouge : tolérer l’ascension d’Erdogan risque de marginaliser Tel-Aviv dans les futures médiations. À long terme, cette rivalité pourrait cristalliser en un axe Ankara-Téhéran-Doha, forçant Washington à arbitrer. Erdogan, lui, avance, convaincu que sa Turquie « respectée » façonnera la paix – ou la domine.
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