Tefillin de Rachi ou de Rabbénou Tam ? Réponse

Vues:

Date:

Il existe une grande controverse concernant l’ordre des quatre sections (parachiot) contenues dans les tefillin.

Les quatre passages de la Torah inclus dans les téfilines sont :

שמע ישראל – Deutéronome 6:4–9

והיה אם שמוע – Deutéronome 11:13–21

קדש לי כל בכור – Exode 13:1–10

והיה כי יביאך – Exode 13:11–16

Mais l’ordre dans lequel ces passages sont placés dans le boîtier de la tête (téfiline shel rosh) diffère entre les deux traditions.

L’ordre selon Rachi est un ordre chronologique selon la Torah :

קדש לי כל בכור (Ex. 13:1–10)  והיה כי יביאך (Ex. 13:11–16)  שמע ישראל (Deut. 6:4–9)  והיה אם שמוע (Deut. 11:13–21)

C’est l’opinion majoritaire et la pratique la plus répandue, notamment chez les Séfarades et Ashkénazes.

L’ordre selon Rabbénou Tam est différent :

קדש לי כל בכור (Ex. 13:1–10)   והיה כי יביאך (Ex. 13:11–16)   והיה אם שמוע (Deut. 11:13–21)   שמע ישראל (Deut. 6:4–9)

Rabbénou Tam inverse l’ordre des deux derniers passages de Deutéronome.

Pour Rachi, l’ordre des sections suit celui de la Torah. Pour Rabbénou Tam, la troisième section est *« Vehaya im shamoa »* et la quatrième est *« Shema »*. Les kabbalistes ont expliqué que les deux opinions ont de la valeur, et qu’idéalement, il convient de mettre les deux paires de tefillin.

Comme on le sait, une grande controverse existe sur l’ordre des quatre sections des tefillin : *« Kadesh »* (Exode 13, 1–10), *« Vehaya ki yeviacha »* (Exode 13, 11–16), *« Shema »* (Deutéronome 6, 4–9) et *« Vehaya im shamoa »* (Deutéronome 11, 13–21). En toute simplicité, selon chaque opinion, celui qui agit selon l’autre ne remplit pas la mitsva, car : « Rav Hananel dit au nom de Rav : Celui qui inverse l’ordre des sections — elles sont invalides »** (Mena’hot 34b).

L’ordre selon Rachi et Rabbénou Tam

Pour Rachi, l’ordre suit celui de la Torah. Autrement dit, lorsqu’on se tient face à la personne qui met les tefillin, à droite se trouve la section *« Kadesh »*, ensuite *« Vehaya ki yeviacha »*, puis *« Shema »* et enfin à gauche *« Vehaya im shamoa »*. On parle donc de *« sections dans l’ordre »*.

Mais selon Rabbénou Tam, la troisième section est *« Vehaya im shamoa »* et la quatrième *« Shema »*. Autrement dit, *« les Vehaya au centre »* (les deux sections commençant par « Vehaya » étant au milieu). Cette divergence concerne également les tefillin du bras (bien que selon le Semak §153, pour les tefillin du bras, Rabbénou Tam est d’accord avec Rachi).

Cette controverse est fondée sur l’interprétation d’un enseignement des Sages :

« Les maîtres enseignent : Quel est leur ordre ? « Kadesh Li » et « Vehaya ki yeviacha » – à droite ; « Shema » et « Vehaya im shamoa » – à gauche » (Mena’hot 34b).

Pour Rachi, l’ordre est continu, suivant celui de la Torah. Pour Rabbénou Tam, si tel était l’ordre, le texte aurait dû mentionner les sections d’un seul tenant. Le fait d’indiquer deux à droite et deux à gauche montre que les deux de droite commencent du côté droit vers l’intérieur, et celles de gauche du côté gauche vers l’intérieur.

Une controverse ancienne

On pourrait se demander : comment Rabbénou Tam, petit-fils de Rachi, a-t-il pu contredire son grand-père, alors que toute sa famille suivait son enseignement, et que les tefillin qu’il reçut jeune suivaient sûrement l’opinion de Rachi ?

En réalité, cette controverse est ancienne, et depuis des générations, de nombreuses communautés suivaient déjà l’ordre *« les deux Vehaya au centre »* (comme Rabbénou Tam). Ainsi, lorsque Rabbénou Tam déduisit du Talmud que tel était l’ordre correct, il contesta son grand-père et rejoignit l’avis d’autorités antérieures, comme cela est rapporté dans les Tossafot (Mena’hot 34b, sur « Vehakore »).

Selon l’opinion de Rachi, pensaient les Guéonim d’Eretz Israël et l’auteur du *Shimusha Rabba*. Cette opinion ressort aussi de la *Mechilta de Rabbi Yishmaël* (Traité de Pessa’h, chapitre 18). Rabbénou Tam, pensait comme Rav Saadia Gaon, Rabbénou Hananel et le Rif. D’après certains Richonim, c’est également ainsi que pratiquaient Rav Sherira Gaon et son fils Rav Haï Gaon (Tossafot et Roch). Cela est aussi rapporté dans le *Tiqouné Zohar* (introduction 9a) au nom du Talmud de Jérusalem.

Le témoignage du Rambam

Le Rambam (Maïmonide), né environ quarante ans après Rabbénou Tam, a tranché (Hilkhoth Tefillin 3:5) que les sections doivent être ordonnées comme dans la Torah (selon Rachi). Les sages de Lunel lui demandèrent pourquoi il avait changé la tradition, eux ayant appris de leurs maîtres et des Guéonim — en premier lieu Rav Haï Gaon — qu’il fallait « les deux Vehaya au centre »* (selon Rabbénou Tam).

Le Rambam leur répondit (Responsa §249) qu’au départ, il était de leur avis et c’est ainsi qu’étaient ses tefillin en Occident (Espagne et Afrique du Nord). Mais lorsqu’il arriva en Égypte, il constata que tous les habitants d’Eretz Israël et des environs suivaient Rachi, et reçut le témoignage que les Guéonim d’Eretz Israël et même Rav Haï Gaon suivaient cette pratique. Il changea donc pour suivre Rachi.

Son témoignage sur la pratique en Occident correspond aux propos de Rabbi Yehouda barcelonais, qui vivait deux générations avant lui, et qui apparemment ne connaissait pas l’opinion de Rachi.

Le processus de décision

Il semble qu’avant Rachi et Rabbénou Tam, cette question n’avait pas encore été tranchée définitivement. Il existait simplement des communautés importantes qui suivaient l’un ou l’autre avis. C’est à partir de la remise en question de Rabbénou Tam, rapportée dans les Tossafot, que la controverse prit de l’ampleur. Certains conservèrent leur tradition, d’autres adoptèrent l’une des opinions, et certains sages recommandèrent aux pieux de mettre deux paires de tefillin afin de sortir du doute (comme le firent le *Sefer HaTerouma*, le Roch, le Tour et Rabbénou Yerou’ham).

Cependant, dans l’école du Ramban, la décision fut prise de suivre Rachi sans tenir compte de l’avis de Rabbénou Tam. Comme l’écrivit le Rashba (Miou’hasot §234), ainsi pratiquaient le Ramban et Rabbénou Yona. Parallèlement, en Ashkénaz, l’opinion de Rachi s’est enracinée et fut adoptée (Mordekhaï, Lois des tefillin §729). Le Maharal écrivit également (§137) que l’usage est de suivre Rachi, et que seuls ceux qui sont *reconnus pour leur piété mettent les deux paires.

Comment cette controverse est-elle née ?

Une question majeure se pose : comment une telle divergence a-t-elle pu surgir dans une mitsva transmise de génération en génération, au point qu’une opinion invalide l’autre ?

On peut expliquer cela comme une conséquence tragique de l’exil. Les bouleversements et les persécutions ont provoqué des perturbations dans la transmission des traditions, menant à l’émergence de coutumes erronées. Ainsi, les Richonim se sont divisés sur ce qu’était la tradition authentique et ce qui relevait de l’erreur.

La position des kabbalistes

Les kabbalistes ont expliqué que les deux opinions ont de la valeur, car chaque ordre de sections reflète une intention spirituelle et une unification spécifique. Par conséquent, idéalement, il est bon de mettre les deux paires de tefillin, afin de faire allusion aux deux types de kavana (intentions).

Sur cette base, on comprend que les deux traditions ont des racines anciennes, comme cela s’est confirmé lors de la découverte de tefillin datant de l’époque des Tannaïm (sages de la Mishna), dont certains étaient selon l’ordre de Rachi et d’autres selon celui de Rabbénou Tam.

Enseignement du Ari zal

Le Ari zal (dans Shaar HaKavanot, discours sur les tefillin, §6) enseigne que :

* Les tefillin de Rabbénou Tam proviennent des « intellects du père » (mo’hin de-Aba),

* Celles de Rachi des « intellects de la mère » (mo’hin de-Ima).

  Dans ce monde-ci, on suit l’opinion de Rachi ; dans le monde à venir, celle de Rabbénou Tam.

  Cet enseignement repose sur le *Tiqouné Zohar Hadash* (14a).

  Le *Ben Ish Haï* (Vayéra §21) ajoute même que depuis l’époque de Moïse, on mettait déjà deux paires de tefillin.

L’ordre des sections n’était pas considéré comme indispensable

Dans cette optique, on peut comprendre qu’à l’origine, on ne considérait pas l’ordre des sections comme un élément invalidant. La discussion portait uniquement sur la manière la plus appropriée de réaliser la mitsva, ce qui explique l’existence de différentes opinions.

De plus, certains expliquent que même les propos du Talmud qui affirment que l’ordre est indispensable ne sont valables que selon l’opinion d’Abayé, alors que selon Rava (Mena’hot 35a), l’ordre n’invalide pas la mitsva.

Même selon ceux qui estiment que l’ordre est invalidant, cela ne concernerait que les commandements d’ordre rabbiniques mais pas selon la Torah (cf. Bessamim Rosh §24 ; Rav Yitz’hak Taïeb, auteur de Erekh HaShoul’han ; le Maharcha dans Da’at Torah sur Mena’hot 34b ; et Rav Kasher dans les suppléments à Torah Shelemah §1).

La décision du Choul’han Aroukh

Dans le Choul’han Aroukh (Ora’h Haïm 34, §1–3), il est tranché que l’usage suit l’opinion de Rachi, mais que celui qui est pieux et craignant Dieu (yere chamayim) mettra les deux paires.

Cependant, il est précisé :

« Cela ne doit être fait que par quelqu’un qui est reconnu pour sa piété. »

Il y est aussi écrit que la bénédiction ne doit être récitée que sur les tefillin de Rachi, et que la personne doit avoir l’intention de s’acquitter de la mitsva uniquement avec la paire valide selon la vérité.

Les autres tefillin sont considérées comme de simples lanières.

Sinon, selon de nombreux décisionnaires, on transgresserait l’interdit de « Bal Tosif » (interdiction d’ajouter à la Torah) — soit de manière toranique (Ba’h), soit rabbinique (Taz, Mahatstit HaShekel), comme expliqué dans le Michna Beroura (34, note 7) et Yabia Omer (vol. 1, Ora’h Haïm 3).

L’avis des kabbalistes

Les kabbalistes ne sont pas d’accord avec le Choul’han Aroukh sur deux points :

  1. Selon eux, il faut avoir l’intention de s’acquitter de la mitsva avec les deux paires, car chacune possède une élévation propre.
  2. Tout Juif, et pas seulement les personnes connues pour leur piété, devrait mettre les deux paires de tefillin (*Mahazik Berakha* sur Ora’h Haïm 34:2).

Ainsi écrit le Ben Ish Haï (Vayéra §22), qui explique également que l’on ne récite pas la bénédiction sur les tefillin de Rabbénou Tam à cause de leur élévation spirituelle, car **nous n’avons pas la capacité d’attirer la lumière spirituelle qu’elles véhiculent.

NOTA : il n’y a pas lieu d’opposer le Choul’han Arourkh aux Kaballistes.  Rabbi Yossef ben Ephraïm Karo (1488, Tolède (Couronne de Castille) – 1575, Safed (Empire ottoman)), également nommé Qaro ou Beth Yossef, est l’une des plus importantes autorités rabbiniques du judaïsme. Talmudiste, grand kabbaliste, législateur et codificateur, en rédigeant le Choulhan Aroukh, il devient le plus grand décideur halakhique du peuple juif.

Comme d’autres grands sages de notre histoire rabbinique, Rabbi Yossef Caro a connu des phénomènes surnaturels. Parmi ceux-ci, l’histoire des visites qu’il reçut d’un Maggid – Ange envoyé du Ciel – qui le guidait lorsqu’il prononçait ses phrases sur la loi juive, lui révélant de nombreux enseignements de la Kabbale, est légendaire. Le rabbin Chlomo Alkabetz a déclaré avoir été témoin, aux côtés du rabbin Caro, d’une de ces visites, avec d’autres témoins confirmant le fait. De tels enseignements du Maggid sont enregistrés dans l’une des œuvres du rabbin Caro, « Maguid Meisharim ». Cependant, le rabbin Chaim David Azulai (le Chidah) déclare que seulement 1/50 de ce manuscrit a été publié. Les rencontres du Rabbin Caro avec l’Ange ont eu lieu au sous-sol du bâtiment qui abritait le Beit Midrash et le Beit Din de Tzfat. La partie de ce bâtiment qui mène au sous-sol est restée fermée depuis, en raison d’une tradition locale selon laquelle le Maggid serait toujours là.

L’avis du Gaon de Vilna (le GRA)

À l’inverse, le GRA (Gaon de Vilna) estime que même un pieux reconnu n’a pas à mettre les tefillin de Rabbénou Tam, car la halakha a été tranchée selon Rachi et Maïmonide.

Et si l’on commence à prendre en compte toutes les opinions divergentes en matière de tefillin, il faudrait mettre chaque jour 24 paires, voire 64 paires, selon certains calculs. (Le texte n’entre pas dans le détail, mais mentionne qu’il existe d’autres débats aussi importants que celui de Rachi/Rabbénou Tam.)

La voie correcte est de suivre la halakha tranchée et la tradition des communautés juives, qui a valeur de Torah.

Il est raconté que Rabbi ‘Haïm de Volozhin demanda au GRA avec douceur :

« Je comprends pourquoi vous ne mettez pas les tefillin de Rabbénou Tam, afin de ne pas perdre un instant sans les tefillin de Rachi qui sont prioritaires. Mais moi, qui de toute façon passe plusieurs heures sans tefillin, que perde-je à en mettre quelques heures par jour, pour m’acquitter de l’obligation selon toutes les opinions ? »

Le GRA lui répondit :

« Si tu veux t’acquitter selon toutes les opinions, tu devras mettre 24 paires de tefillin. » Et selon un autre témoignage (*Si’a’h Eliyahou*), il aurait dit 64 paires.

Rabbi ‘Haïm ajouta :

« Mais le Zohar dit bien que les tefillin de Rabbénou Tam sont ceux du monde à venir ? »

Le GRA répondit :

« Ce n’est pas le sens littéral du Zohar. Mais celui qui veut aller vers le monde à venir peut les mettre. »

Depuis qu’il entendit ces paroles du « Dieu vivant » (le GRA), Rabbi ‘Haïm arrêta de mettre les tefillin de Rabbénou Tam.

Quelle est la pratique aujourd’hui ?

Dans la pratique :

Ceux qui suivent les décisionnaires de la halakha, aussi bien séfarades qu’ashkénazes, ne mettent que les tefillin de Rachi. Seuls les pieux reconnus mettent aussi ceux de Rabbénou Tam, avec la condition qu’ils n’accomplissent la mitsva qu’avec la paire véritable.

Ce fut la coutume en :

Syrie, Irak et Égypte (Pade Et Avraham, vol. 2, p. 292),

Tunisie, où seuls les rabbins mettaient les deux paires (Alé Hadass – Tefillin §32),

Yémen, où même les rabbins ne mettaient pas les tefillin de Rabbénou Tam (Etz Ha’haïm, lois des tefillin, ordre des sections ; Peoulat Tsadik, vol. 3, §210).

C’est également la pratique des élèves du GRA et de la majorité des communautés ashkénazes, où même la plupart des rabbins ne portent que les tefillin de Rachi.

Il en allait de même au Maroc, où presque personne ne mettait ceux de Rabbénou Tam, y compris les rabbins (Shemesh Oumagen, vol. 3, Ora’h Haïm §58:4).

Ceux qui suivent l’enseignement kabbalistique mettent les deux paires sans faire de condition, car selon le Ari zal, les deux sont nécessaires et véridiques.

Aujourd’hui, la majorité de ceux qui suivent cette voie sont les ‘hassidim ashkénazes.

Il existe aussi un autre groupe qui suit la méthode de Rabbénou Tam seule, ceux qui se conforment aux enseignements kabbalistiques de Rabbi Yossef ‘Haïm, auteur du Ben Ish Haï.

En résumé

Il convient à chaque personne de suivre la coutume de ses ancêtres. Et s’il a un grand rav reconnu, qu’il suive ses directives.

הרב אליעזר מלמד – Rav Eliézer Melamed

JForum.FR

La rédaction de JForum, retirera d’office tout commentaire antisémite, raciste, diffamatoire ou injurieux, ou qui contrevient à la morale juive.

La source de cet article se trouve sur ce site

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

PARTAGER:

spot_imgspot_img
spot_imgspot_img