Dix ans. Une décennie de fermeté, de reprise en force des villes, d’un pouvoir verrouillé aux alliés puissants. Dix ans balayés presque d’un revers de main. La prise rapide d’Alep par les rebelles syriens associés aux islamistes extrémistes de Hayat Tahrir al-Sham (HTS), la semaine dernière, a brusquement fragilisé le régime de Bachar al-Assad, qui s’est maintenu à la tête de l’Etat depuis le début de la guerre civile, en 2011. Depuis, le vacillement du pouvoir du président se confirme, avec la prise de Hama ce jeudi.
« La reprise d’Alep est un tournant dans le conflit », reconnaît Bayram Balci, chercheur au Ceri Sciences po Paris. La guerre civile, qui avait commencé en 2011 au cœur du Printemps arabe, s’était retournée en faveur de Bachar al-Assad en 2015 avec le soutien de la Russie, bien aidée aussi par l’irruption dans le conflit de l’Etat islamique. Alep, deuxième ville du pays et poumon économique de la Syrie, avait été reprise par le régime en 2016, et il avait continué sa progression les années suivantes.
Une opposition plus « mature »
Depuis trois ans, le front n’évoluait plus, le régime syrien ne parvenant pas à faire tomber les bastions rebelles. Et cette opposition a profité de ce temps pour se renforcer. « Les deux acteurs importants de la prise d’Alep sont HTS et les rebelles de l’armée nationale syrienne, soutenue par la Turquie », précise Bayram Balci. Deux groupes marqués par leur rapport à l’islam : « un islam radical pour HTS, qui a tout de même rompu avec Al-Qaida », et un islam « séculier, moins radical » côté rebelles. Ces derniers « ont pris en maturité et appris des leçons du passé », souligne le chercheur.
Dans la région d’Alep, les civils qui fuient le conflit n’ont pas été ciblés par les rebelles. « Il n’y a pas d’exaction contre les minorités chrétiennes et kurdes », note Bayram Balci. Car les rebelles n’ont qu’un objectif : combattre Bachar al-Assad. « Le but de la révolution, c’est de renverser ce régime », a d’ailleurs confirmé ce vendredi auprès de CNN Abou Mohammed al-Jolani, le chef de HTS. Après Alep, Hama est tombée, ouvrant la route à Homs, avant Damas. Mais les rebelles pourraient temporiser. « S’étendre trop pourrait les affaiblir », prévient Bayram Balci.
Bachar al-Assad, seul au monde ?
Le timing de cette percée coïncide avec les difficultés de l’Iran et du Hezbollah face à Israël et de la Russie face à l’Ukraine. Des alliés de Bachar al-Assad. Mais si « la Russie n’a pas les moyens d’aider Bachar à reprendre Alep », l’aviation russe pourrait tout de même « bombarder massivement Idlib pour forcer les rebelles à y revenir ». Un acte « irresponsable et criminel » toutefois, qui risquerait d’envenimer les relations entre la Turquie, soutien des rebelles, et le Kremlin.
Alors, sur qui Bachar al-Assad peut-il compter ? Le Hezbollah, épuisé par le conflit avec Israël, profite du cessez-le-feu pour se reconstruire. L’Iran ne semble pas plus en mesure d’intervenir. Désormais, « c’est la Turquie qui est en position de force », affirme Bayram Balci. Ankara a justement annoncé une réunion avec la Russie et l’Iran au sujet de la Syrie, qui se tiendra ce samedi à Doha.
La carte de la future Syrie
Sur le terrain, les forces gouvernementales continuent de se replier, abandonnant du matériel. « Dans le pire des cas pour lui, Bachar al-Assad pourrait perdre Homs et se retrouver à la tête d’un tout petit Etat alaouite, minorité dont il est issu, sur la côte », dessine Bayram Balci. Mais il ne lâchera pas son poste, lui qui « a toujours été incapable de négocier ». Le reste de la Syrie se fera donc sans lui.
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« Le morcellement durera encore des années », prévient le chercheur. Sur une large partie sud, les rebelles sunnites, « qui représentaient 80 % de la population et ont été évincés par Bachar », vont devoir s’implanter durablement. Au nord, les zones contrôlées par les milices kurdes pourraient rester en place. Les forces kurdes syriennes ont par ailleurs indiqué ce vendredi s’être déployées dans des secteurs de l’est auparavant tenue par les forces du gouvernement, à Deir Ezzor. A partir de là, « les sunnites vont-ils négocier une confédération avec les Kurdes ? » La réponse ne sera sans doute pas connue avant des années, et passe par une nouvelle stabilisation du conflit.
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