INSOLITE. Un bain médiéval juif de 800 ans, resté enfoui pendant des siècles : « ils ont fouillé et ils ont trouvé »
Le bain rituel juif de la rue des Charpentiers à Strasbourg, daté de 1200, est l’un des plus anciens de France. Ce monument historique qui évoque l’installation de la première communauté juive en Alsace est d’habitude fermé au public, mais nous avons retrouvé les clefs pour vous le faire visiter.
De l’extérieur, rien ne laisse deviner le trésor qui se cache derrière la porte du 20 rue des Charpentiers, en plein cœur de Strasbourg (Bas-Rhin). Un mikvé datant de l’an 1200, l’un des trois derniers bains médiévaux de la communauté juive encore existant en France.
Un mikvé ou miqvé (les deux orthographes existent) est un bain rituel utilisé par les juifs. Il s’agit du plus ancien vestige encore debout de la présence de la communauté israélite dans la capitale européenne.
Sa découverte rocambolesque, sur la seule base de rumeurs, date de seulement 40 ans, en 1984. Une tradition orale conservait la mémoire de l’existence d’un bain rituel au point qu’une des maisons proches était désignée par le hoftnàme (appellation d’une maison) Zum Judenbad, « Au bain des juifs ». Mais celui-ci n’avait jamais été trouvé.
Le mikvé médiéval de Strasbourg (Bas-Rhin) est l’un des plus anciens de France. La taille de la pièce est de 9 m². • © Maxime Clady, France Télévisions
Les adresses n’existaient pas au Moyen Âge. Chaque maison ou immeuble avait un petit nom, un surnom. Le hoftnàme servait ainsi à nommer l’ensemble des habitants et occupants d’une propriété.
Quand la tradition orale rejoint l’histoire
En 1984, lorsque la grande imprimerie Istra qui se trouvait sur le site a cessé ses activités, des voix se sont élevées pour réclamer des fouilles préventives afin de retrouver le patrimoine de « l’ancien village juif médiéval de Strasbourg ». Il se situait entre les actuelles rues des Juifs et des Charpentiers. « Il ne s’agissait pas d’un ghetto », précise Nathalie Belhoste, guide-conférencière, « tous les gens vivaient ensemble à l’époque ».
Le musée de l’œuvre Notre-Dame de Strasbourg conserve les premières épitaphes et inscriptions lapidaires juives du XIIe siècle. Il est attesté que « le village juif » comportait notamment une boucherie, une hostellerie, une boulangerie, une synagogue, un mikvé et un cimetière.
Ce mikvé est le témoin intense de la vie du judaïsme au Moyen Âge, en Alsace Nathalie Belhoste Guide-conférencière
Les fouilles ont duré six mois. L’histoire a donné raison à la tradition orale. Les bains rituels ont été retrouvés à presque huit mètres de profondeur. « Ils ont fouillé, et ils ont trouvé ! », s’émerveille la guide. Le monument a immédiatement été classé au titre des Monuments historiques.
Le bassin du mikvé médiéval de Strasbourg (Bas-Rhin), peut accueillir 500 litres d’eau pure, directement issu de la nappe phréatique. • © Maxime Clady, France Télévisions
Ce bain rituel médiéval était utilisé pour l’ablution nécessaire aux rites de pureté familiale. Il était notamment utilisé par les femmes après leurs règles, pour les conversions ou avant les mariages.
Le nom mikvé est présent dans l’Ancien Testament. Il signifie un « rassemblement d’eau ». Les premières constructions de mikvaot en France en tant que bains rituels remontent aux premières diasporas juives, c’est-à-dire au Moyen Âge.
Pour cette purification, l’eau du mikvé doit être pure selon la tradition, ne pas avoir été manipulée par l’homme. « C’est ce que nous voyons ici », affirme Nathalie Belhoste. « Au centre de cette cave de 9 m² se trouve un bassin en pierre pouvant contenir 500 litres d’eau provenant directement de la nappe phréatique ». Les murs présentent des niches qui pouvaient accueillir des chandelles. Juste avant l’entrée au bassin, un petit local, toujours visible, servait de vestiaire.
La preuve de la présence des juifs en Alsace depuis le Moyen Âge
Au zénith de la pièce, un immense trou a été percé dans la pierre. « Cela permettait de recueillir l’eau de pluie qui est aussi considérée comme de l’eau pure », explique la conférencière. Le sentiment d’être dans un site sacré est vraiment prégnant. Peut-être est-ce la fraîcheur du lieu ou le silence qui y règne qui donne ces sentiments.
Juste derrière l’entrée se présentent quelques marches d’escalier, puis c’est le vide. « Il est impossible d’accéder au bassin, les escaliers se sont effondrés » concède Nathalie. En revanche, il est tout de même possible de suivre leurs traces laissées sur les murs. « Cela devait ressembler au mikvé médiéval de Friedberg en Allemagne, l’un des mieux préservés de l’architecture juive en Allemagne ».
Bain rituel juif de Friedberg, Allemagne. • © K.Augustin, Stadtarchiv Friedberg
Seule déception malgré la magie du lieu. Il n’y a plus d’eau dans le bassin. La nappe phréatique est descendue à cet endroit, en 800 ans, à plus de 8 mètres de profondeur par rapport au XIIIᵉ siècle. Ce sont les travaux de canalisation du Rhin et de l’Ill qui ont notamment provoqué l’assèchement de la petite piscine.
« Les juifs sont sans doute présents à Strasbourg depuis l’Antiquité, venus avec les légions romaines, mais nous n’avons trouvé aucune trace de leur passage. En revanche, nous savons qu’une diaspora israélite est arrivée en 1146 depuis l’Allemagne et depuis la France où ils subissaient des exactions durant la deuxième croisade. Ce mikvé de 1200 marque donc la présence tangible de leur communauté et leur implantation. C’est le témoin intense de la vie du judaïsme à cette époque ». Au-dessus du bain rituel public devait se trouver la synagogue qui a disparu.
La présence de ce vestige est d’autant plus remarquable, qu’il est le dernier de cette époque moyenâgeuse.
Dans le mikvé médiéval de Strasbourg (Bas-Rhin), les niches servaient à accueillir des chandelles et le trou zénithal à déverser l’eau de pluie. • © Maxime Clady, France Télévisions
La triste journée du 14 février 1349, le jour de la Saint-Valentin, reste encore dans la mémoire collective de Strasbourg : un immense pogrom. 2000 habitants juifs ont été arrêtés et brûlés vifs sur l’actuel Place de la République. Tous leurs biens ont été confisqués et les lieux de cultes rasés. C’est sans doute à ce moment-là que le mikvé public a été définitivement fermé. Les juifs survivants ont dû se convertir ou fuir.
En 1391, Strasbourg, qui est une ville libre et prend ses décisions de manière indépendante, décide de chasser définitivement les juifs. Aucun juif n’a pu habiter la ville pendant 400 ans. Cette terrible sentence ne sera levée que par les révolutionnaires de 1789. Il faudra attendre encore presque 200 ans pour que le mikvé soit enfin rendu au public.
Un mikvé qui garde ses secrets
Aujourd’hui, le mikvé de la rue des Charpentiers ne se visite plus. Il garde ses secrets. Néanmoins, des visites guidées privatives peuvent être proposées sur demande auprès de l’Office de Tourisme de Strasbourg.
Le mikvé médiéval de la rue des Charpentiers de Strasbourg (Bas-Rhin), ne se visite plus. Néanmoins, des visites privatives peuvent être organisées sur demande. • © Maxime Clady, France Télévisions
JForum.fr avec france3-regions.francetvinfo.fr
Écrit par Éric Vial
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