Bientôt quatre-vingt-un ans. Bientôt quatre-vingt-un ans qu’il a franchi les grilles du seul camp de concentration en France géré par les nazis. Ce 26 novembre 1943, Henri Mosson avait découvert malgré lui le Struthof, en Alsace. A 19 ans, le jeune homme venait d’être condamné à mort pour des actes de résistance. Le commandant du camp était allé plus loin.
« Il nous a dit : « Vous êtes des voyous. Vous êtes entrés ici par la grande porte et vous ressortirez par la cheminée » », se souvient le désormais centenaire (101 ans), toujours là. Apte à témoigner et entretenir la mémoire.
« La durée de vie était en moyenne de 90 jours »
Au camp de Natzwiller-Struthof (Bas-Rhin), où Emmanuel Macron se recueillera samedi à l’occasion des 80 ans de la Libération de Strasbourg, « mon numéro était le 6290 », dit-il, avant de le répéter en allemand, langue dont la connaissance l’a sauvé d’une mort certaine. « On avait nos numéros à coudre sur nos vêtements mais je l’ai cousu de travers. Je me suis alors pris la plus grande claque de ma vie. J’ai lancé au SS un « Warum ? (pourquoi ?) », il a compris que je parlais allemand. J’ai alors été affecté à la désinfection » des vêtements avec lesquels les détenus arrivaient. « C’était un peu une planque. »
« Pour les autres, ceux qui ne parlaient pas allemand, la durée de vie était en moyenne de 90 jours. J’en ai vu qui mouraient en trois jours », ajoute l’ancien détenu classé « Nacht und Nebel » (nuit et brouillard), comme tous les opposants politiques voués à disparaître sans laisser de traces.
Chaque jour, les prisonniers ramassaient leurs morts qui, eux aussi, devaient être présents aux appels tenus sur la place du camp. Ils « ramenaient les cadavres sur le dos », se souvient Henri Mosson, avec une apparente froideur. « On devient absolument insensible », s’excuse celui qui est l’un des derniers rescapés du Struthof toujours en vie.
Engagé dans la Résistance avec des amis dès ses 17 ans, il avait été arrêté dans un maquis près de Dijon (Côte d’Or) et condamné à mort le 29 juin 1943. Il avait alors fait « connaissance avec la rigueur » nazie, dit-il pince-sans-rire : en prison, ses tortionnaires le pendent par les mains des journées durant. « Le matin, mes pieds touchaient à peine le sol. Le soir, ils touchaient bien. »
Il pesait 38 kg à son retour chez lui
Il échappe au peloton d’exécution et est envoyé au fort de Romainville (Seine-Saint-Denis). « C’était une réserve d’otages », où les nazis puisaient pour leurs exécutions en représailles d’assassinats de soldats allemands. Là aussi, il échappe à la mort. « Passer la journée. Résister », c’était sa motivation, explique-t-il. « J’ai toujours eu espoir. »
Fin août 1944, à l’approche des Alliés, les nazis évacuent le Struthof. Les détenus sont transférés vers d’autres camps, pour finir à celui de Munich-Allach. « Un jour, on s’est réveillé et il n’y avait plus de gardiens », se souvient Henri Mosson.
Mais, à son retour en France, ce n’est « pas la liesse » qui l’attend. « Les gens nous ont pris pour des bêtes curieuses ». « Je pesais 38 kg quand je suis rentré » en Bourgogne. « On n’avait à manger que du bouillon de choux-raves. A la fin, on n’avait plus que des orties en bouillon. »
Peu importe. Il se reconstruit et, féru de sport mécanique, il devient contrôleur technique des Formule 1, rencontre les plus grands comme Alain Prost et Ayrton Senna. « J’ai fait trois fois le tour du monde », dit-il fièrement.
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Toute sa vie, il s’est fait passeur de mémoire, à ses quatre enfants, six petits-enfants et dix arrière-petits-enfants, mais aussi aux quelque « 200 écoles » où il est intervenu. « Même en Allemagne ». « Il faut informer les jeunes. On ne sait pas ce qui peut arriver », dit-il. « Vous pouvez avoir les Russes dans deux mois, ça peut recommencer. Vous avez vu l’Ukraine… » Le 5 janvier 2025, l’éternel résistant qui réside à Dijon (Côte d’Or) fêtera ses 101 ans, un cap qu’il est certain de passer. « J’ai toujours eu de la chance. »
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