Le Point : Rien ne paraît pouvoir stopper l’escalade au Moyen-Orient. Vous étiez ce mardi en Conseil de défense autour du président de la République, que peut faire la France dans ce contexte hautement inflammable ?
Sébastien Lecornu : Il faut d’abord savoir nommer les responsabilités derrière l’agenda d’insécurité et de déstabilisation dans la région : il est porté par Téhéran et ses proxys, qu’il s’agisse des frappes conduites par le Hezbollah à la frontière nord d’Israël depuis un an, des frappes des milices chiites en Irak contre la coalition internationale en charge de la lutte contre le terrorisme, ou des attaques contre le commerce maritime international par les Houthis en Mer Rouge.
La sécurité d’Israël n’est pas négociable et c’est pourquoi les moyens militaires français ont été mis en alerte le 1er octobre pour parer l’attaque iranienne. Il faut aussi appeler très clairement Israël à ses responsabilités en matière de respect du droit international et de protection des populations civiles. C’est pourquoi la France appelle au cessez-le-feu à Gaza et au Liban et continuera de mettre les moyens militaires dont elle dispose, notamment les 700 soldats français qui servent au Sud Liban sous mandat onusien, au service des efforts de désescalade et de respect des résolutions des Nations-Unies.
La voix de la France porte moins dans la région…
C’est faux. La voix de la France est respectée, notamment parce que nous sommes engagés militairement dans la région. Nos 700 soldats de la Finul patrouillent toujours sur la ligne bleue [la frontière libano-israélienne, NDLR] dans des conditions difficiles. Très peu de pays disposent d’accès directs ou même d’ envoyés spéciaux, comme Jean-Yves Le Drian , capables d’être entendus aussi bien à Tel-Aviv qu’à Beyrouth. La France a aussi un canal direct avec Téhéran. On dit que nos messages de désescalade ne sont pas écoutés, mais je crois pouvoir dire que les Américains ont eux aussi parfois du mal à se faire entendre de certains…
La période dans laquelle nous sommes correspond à un nouveau moment de rupture stratégique, inédit depuis la fin de la guerre froide. Les menaces anciennes de type terrorisme n’ont pas disparu, tandis que la compétition entre grandes puissances a repris, y compris sous « voûte nucléaire ». Les sauts technologiques, la militarisation de l’espace et du numérique, la guerre informationnelle et l’exploitation des fragilités économiques permettent à des compétiteurs de mettre en oeuvre des menaces dont l’effet peut être gravissime. L’un des risques aujourd’hui pour la France est d’être défaite sans avoir été envahie.
Militarisation de l’espace, du numérique, guerre informationnelle… permettent à des compétiteurs de mettre en oeuvre des menaces dont l’effet peut être gravissime.
Vous reconnaissez que la France est à la traîne dans certains domaines. Lesquels ?
Je suis hanté par notre échec collectif sur les drones, qui date d’il y a dix ou quinze ans. Au lieu d’essayer de rattraper éternellement notre retard, j’ai décidé de sauter une génération technologique. En 2030, la France doit être à la pointe sur les différentes gammes de drones. Cette question passionne beaucoup le chef de l’État, qui me met une saine pression sur le sujet. [Sourire.]
Concernant l’IA, vous avez oeuvré au lancement de l’agence ministérielle pour l’intelligence artificielle de défense (Amiad), qui doit s’appuyer sur un mégacalculateur assez secret, le « plus grand d’Europe », selon vous. Vous pouvez nous en dire plus ?
J’ai créé une agence complètement internalisée, un petit arsenal avec les meilleures équipes et des programmes d’application disruptifs. Cette agence servira de locomotive pour le pays car on permettra à des entreprises civiles de venir se brancher sur ce supercalculateur, dont – vous me pardonnez – je ne divulguerai pas les caractéristiques à ce stade. Nous serons une des premières puissances au monde en matière d’IA militaire et, à coup sûr, la première d’Europe.
Vous entrez dans votre huitième année comme ministre. C’est un record de longévité sous Emmanuel Macron !
Ma relation avec Emmanuel Macron s’est construite au fil du temps. Je suis fondamentalement loyal. Cette loyauté permet de créer la confiance, non seulement vis-à-vis de lui, mais aussi vis-à-vis de mes interlocuteurs dans ce ministère. Ensuite, à la différence peut-être de certains de mes semblables de ma génération en politique, j’ai une sobriété naturelle par mon caractère, je ne m’expose pas facilement. Je pense que, quand on n’a rien à dire, c’est bien de se taire. Communiquer tout le temps et être faible dans les actes ne permet pas d’être endurant sur le long terme. Enfin, mon engagement politique a été transformé par ce ministère unique. Je voulais fondamentalement être ici. »
LE PLUS.
BIO EXPRESS. Fils d’une secrétaire médicale et d’un technicien de l’industrie aéronautique, Sébastien Lecornu a fait des études de droit à l’Université Paris 2 Panthéon Assas.
De 2008 à 2012, il est conseiller du Secrétaire d’État aux Affaires européennes puis du ministre de l’Agriculture, Bruno Le Maire.
En 2014, il est élu maire de Vernon puis, en 2015, président du Conseil départemental de l’Eure. Il sera réélu aux élections municipales en mars 2020, conseiller départemental en juin 2021 et désigné à nouveau président du Conseil départemental de l’Eure en juillet 2021.
Sébastien Lecornu a, par ailleurs, été élu sénateur en septembre 2020. Il a décidé de ne pas siéger à la Haute-Assemblée, en respect de la loi sur le non-cumul des mandats, afin de poursuivre l’exercice de ses fonctions ministérielles.
Sébastien Lecornu est nommé le 21 juin 2017 Secrétaire d’État auprès du ministre d’État, ministre de la Transition écologique et solidaire dans le gouvernement d’Édouard Philippe.
En 2018, il est nommé ministre délégué en charge des collectivités territoriales. Il co-anime alors le Grand Débat National, qui s’est tenu à l’initiative du Président de la République début 2019 en réponse la crise sociale de l’automne 2018.
En juillet 2020, il est nommé ministre des Outre-mer dans le gouvernement de Jean Castex. Dans ce cadre, il supervise la gestion de la crise sanitaire dans les 12 territoires ultramarins français, répartis dans les trois océans. Il a également accompagné la fin de l’Accord de Nouméa en organisant les deux dernières consultations pour l’accession de la Nouvelle-Calédonie à la pleine souveraineté.
Depuis le 20 mai 2022, il est ministre des Armées.
Sébastien Lecornu est également colonel de réserve dans la gendarmerie nationale.
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