Sanctions : l’Europe s’aligne sur Washington
L’Europe s’apprête à franchir une étape décisive dans sa politique à l’égard de l’Iran. La France, l’Allemagne et le Royaume-Uni – souvent désignés sous l’appellation « E3 » – ont décidé de recourir au mécanisme dit de « snapback » prévu par l’accord nucléaire de 2015. Cette procédure, inscrite dans le Plan d’action global commun (JCPOA), permet à tout État signataire de rétablir automatiquement les sanctions de l’ONU si l’Iran est jugé en infraction de ses engagements.
Cette décision marque un revirement complet de la diplomatie européenne, longtemps attachée à la négociation avec Téhéran. Elle reflète l’impact de la guerre en Ukraine et le rapprochement stratégique de l’Iran avec la Russie, qui inquiète désormais les chancelleries européennes.
Une mécanique juridique redoutable
Le chercheur Thierry Coville, spécialiste de l’Iran à l’IRIS, explique que la clause de retour en arrière était prévue dès l’origine : « Si un État membre considère que l’Iran ne respecte pas ses obligations, toutes les sanctions de l’ONU suspendues peuvent être réactivées. » Le processus prévoit une période de trente jours, destinée à laisser une chance aux négociations. Si aucun compromis n’est trouvé, le retour des sanctions est automatique.
Concrètement, le Royaume-Uni et l’Union européenne devraient préparer une nouvelle législation pour appliquer progressivement ces mesures. Les entreprises seront contraintes d’examiner attentivement leurs contrats, notamment les clauses liées aux sanctions, afin de savoir si elles doivent suspendre ou résilier leurs engagements.
Impact économique attendu
Même si les échanges entre l’Europe et l’Iran sont déjà réduits, Coville souligne que les conséquences pour l’économie iranienne seront lourdes : isolement accru, inflation renforcée et difficulté à attirer des capitaux étrangers. « Nous parlons d’un marché de 90 millions d’habitants, jeune et dynamique, mais qui se retrouve de plus en plus coupé des flux internationaux », note-t-il.
Pour Daniel Martin, juriste du cabinet HFW, l’effet direct des sanctions de l’ONU ne doit pas être exagéré. Celles-ci sont en général moins contraignantes que les sanctions américaines ou européennes. Toutefois, les banques et ONG devront adapter leurs pratiques et vérifier leur conformité juridique. « Les institutions financières devront identifier les gels d’avoirs imposés et réévaluer leurs relations avec toutes les entités iraniennes », explique-t-il.
Une pression politique inédite
Au-delà de l’économie, cette décision traduit une évolution géopolitique majeure. Selon Coville, l’Europe, autrefois perçue comme le moteur de la diplomatie avec l’Iran, se rapproche désormais de la ligne dure américaine. « L’alignement sur Washington découle directement du rôle de l’Iran en Ukraine, où Téhéran fournit des drones à la Russie », précise-t-il.
Trita Parsi, analyste au Quincy Institute, met en garde contre les conséquences stratégiques de ce choix. Selon lui, le snapback, conçu initialement pour prévenir une guerre, risque désormais d’accélérer la confrontation. Il estime que ce mécanisme pourrait offrir une couverture politique à des actions militaires israéliennes contre l’Iran, renforçant le risque d’escalade.
Parsi souligne également le paradoxe actuel : « L’Iran était déjà à la table des négociations lorsque Israël et les États-Unis ont repris leurs bombardements. Or les E3 exigent que Téhéran retourne aux discussions, sans demander à Washington de modérer ses actions. » Dans ces conditions, les chances d’un compromis diplomatique semblent fragiles.
Les entreprises face à l’incertitude
Les milieux économiques européens observent cette évolution avec prudence. Déjà marginal, le commerce avec l’Iran risque de devenir encore plus risqué. Les sociétés qui maintiennent des liens doivent anticiper de possibles ruptures contractuelles. Martin évoque même l’usage de clauses de « force majeure » ou « d’impossibilité de paiement » pour justifier des suspensions d’activité.
Les gouvernements européens, eux, considèrent ce réalignement comme une nécessité stratégique pour préserver la cohésion transatlantique. Dans un contexte de tensions avec la Russie et de guerre en Ukraine, la position de l’Iran est perçue comme un défi direct à la sécurité européenne.
Une diplomatie sous pression
À l’approche de la réimposition des sanctions, le mois de négociations prévu par le mécanisme sera crucial. Pour Coville, si aucun accord n’est trouvé, « tout le monde sera perdant ». L’Iran subirait un isolement renforcé, tandis que l’Europe perdrait toute marge de dialogue avec Téhéran.
Parsi va plus loin : « Le dispositif imaginé en 2003 pour éviter une guerre pourrait, en 2025, rapprocher la région d’un conflit majeur. » L’avenir dépendra donc de la capacité des acteurs à utiliser ce laps de temps pour rechercher une désescalade, objectif qui paraît chaque jour plus difficile à atteindre.
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