Djibouti, Gabon, Hong Kong, Saint-Kitts-et-Nevis, Liberia, îles Marshall, Mongolie… Le Boracay, aussi appelé Pushpa, change régulièrement de pavillon. Ce navire de 244 mètres de long n’a pas le droit de transporter le pétrole russe qu’il achemine pourtant dans les pays qui veulent bien encore s’en procurer. En l’occurrence l’Inde. Alors il brouille les pistes.
Le bâtiment a été intercepté samedi par les commandos de la marine française près de Saint-Nazaire, ce qui a mené à l’ouverture d’une enquête et le jugement prochain du commandant du navire, un homme de nationalité chinoise, pour « refus d’obtempérer ». Ce pétrolier fait partie de la « flotte fantôme » russe. Des navires qui pullulent autour du globe depuis les sanctions imposées par les Européens sur les hydrocarbures russes, en réponse à l’invasion en Ukraine.
L’or noir qui finance la guerre
Le but, pour l’Europe, est de couper les recettes qui permettent à Moscou de financer sa guerre en Ukraine. « Il est extrêmement important d’accroître la pression sur la flotte fantôme parce que ça réduit clairement la capacité de la Russie à financer son effort de guerre », a ainsi appelé Emmanuel Macron ce jeudi à Copenhague, à l’ouverture d’un sommet de la Communauté politique européenne (CPE).
D’après le président français, le commerce pétrolier imputé à cette flotte représente « plus de 30 milliards d’euros » pour la Russie et permet de financer « 30 à 40 % de son effort de guerre » contre l’Ukraine. Ce genre d’opérations comme celle menée au large de Saint-Nazaire peuvent alors « tuer le modèle économique en retenant pendant des jours ou des semaines ces navires et en les forçant à s’organiser différemment », a suggéré le président français à ses partenaires européens, annonçant une réunion des chefs d’Etat-major sur le sujet.
Un « jeu du chat et de la souris »
Selon les estimations de l’Union européenne, cette flotte comprendrait plus de 440 bateaux et chaque jour, « entre 10 et 15 passent au large de Brest », a confié à l’AFP une source militaire. « Ils changent plusieurs fois de pavillons, d’immatriculation » rendant leur interpellation compliquée, explique l’analyste géopolitique Louis Duclos.
D’autant qu’ils restent souvent dans les eaux internationales, à la limite des eaux territoriales pour rester à distance des autorités des pays concernés. « C’est un vrai jeu du chat et de la souris », résume le spécialiste.
Une guerre loin de la ligne de front
Les membres de la flotte fantôme sont-ils uniquement là pour le pétrole ? En plus de permettre à l’Etat russe d’exporter son or noir, ces bateaux sont soupçonnés d’aider à des opérations d’espionnage, voire d’intimidation. Une semaine après le survol d’infrastructures stratégiques au Danemark, la question est plus que jamais posée. « La Russie utilise ces navires pour mener une guerre hybride », confirme l’analyste géopolitique Louis Duclos. Il cite l’épisode des câbles sous-marin endommagés en mer Baltique ou celui de capteurs russes espions autour du Royaume-Uni. « C’est probablement depuis cette flotte fantôme qu’ont été lancés les drones au-dessus du Danemark ou de l’Allemagne », avance-t-il. Hasard ou pas, le Boracay croisait au large du Danemark au moment des survols de drones.
Des actes, imputés à la Russie, qui sont particulièrement agressifs. Au Danemark, ces drones ont interrompu le trafic aérien de plusieurs aéroports ; des bases militaires de l’Otan et des centrales nucléaires en Allemagne ont été survolées. « Les aéroports sont des infrastructures critiques des pays », insiste Louis Duclos. Avec ces attaques « hybrides », « la Russie franchit un nouveau palier et met plus de pression, analyse le spécialiste. Le message qu’elle fait passer, c’est : « on peut vous atteindre, on peut vous espionner, à tout moment » ».
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Et d’ajouter : « Ces aéronefs n’étaient pas chargés en explosifs mais pourraient l’être ». Cette agression reste néanmoins « en dessous du seuil de guerre ouverte », ce qui complique la réponse à apporter. Mais pour Emmanuel Macron, elle est claire : il faut les abattre.
Le commandant jugé en février
Concernant le Boracay, la France a saisi une opportunité samedi en procédant à un contrôle pour vérifier la destination, la cargaison, la nationalité du navire. Une opération « motivée par les incohérences présentées par le pétrolier quant à sa nationalité », a expliqué ce jeudi le procureur de Brest.
Le commandant sera jugé en février prochain. Quant au navire, le communiqué du parquet ne précise pas s’il va pouvoir reprendre le large.
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