RFI et France 24 : quand la « cohérence éditoriale » masque le parti pris sur la guerre à Gaza
Bérengère Viennot
Les chaînes du service public ont diffusé en interne un lexique sur le conflit israélo-palestinien, imposant à leurs journalistes un vocabulaire qui relève plus d’éléments de langage que de l’information.
Une des citations les plus célèbres de Shakespeare, dans Roméo et Juliette, parle de mots : « What’s in a name ? A rose by any other name would smell as sweet » (« Qu’y a-t-il dans un nom ? Quand bien même s’appellerait-elle autrement, une rose sentirait toujours aussi bon »). Shakespeare étant mort en 1616, on voit que le débat sur la manière de nommer les choses ne date pas d’hier.
Si la vie était simple, le nom de chaque personne, de chaque objet et de chaque concept désignerait strictement la même réalité pour tout le monde. Il n’en est rien évidemment et il y a fort à parier que le parti pris, la mauvaise foi, l’idéologie et la manipulation sont nés à la minute où les humains ont prononcé leurs premiers mots.
Génocide, Cisjordanie « occupée », « déplacements forcés »
Le 14 octobre, les rédactions de RFI et de France 24 ont communiqué à leurs journalistes un document interne annoncé comme un « lexique pour évoquer les territoires palestiniens occupés » et contenant des instructions justifiées par « un souci de cohérence éditoriale ». On y lit par exemple qu’il n’est pas souhaitable de parler à l’antenne de « Judée-Samarie », et que dans le cas où le mot serait prononcé par « un.e invité.e » ou dans un document sonore, il convient de le « contextualiser ».
On y découvre aussi que le Hamas, organisation terroriste responsable, entre autres, des attaques du 7 octobre 2023 contre Israël au cours desquelles au moins 1 219 personnes (en majorité des civils) ont été tuées et 251 prises en otage, et qui depuis le cessez-le-feu se livre à des exécutions sommaires à Gaza, ne doit pas être systématiquement qualifié à l’antenne de « terroriste » – qu’il faut se contenter de rappeler que l’Union européenne ou les États-Unis le désignent comme tel.
On y apprend que si le terme « génocide » n’est pas « repris à notre compte pour Gaza », il convient d’évoquer « évidemment les accusations de génocide par telle ou telle organisation ». Évidemment.
On y constate également que les journalistes sont priés d’évoquer « systématiquement » que la Cisjordanie est « occupée », et que pour Gaza et Jérusalem-Est, il convient de ne le rappeler que « dans les commentaires ». Enfin, on y lit que les « évacuations de population » qui ont eu lieu à Gaza pendant la guerre pour éviter que les populations civiles ne se retrouvent sous les bombardements israéliens annoncés doivent être qualifiées de… « déplacements forcés ».
« Cohérence éditoriale » ou manipulation informationnelle ?
C’est sous couvert de « cohérence éditoriale » que sont introduites toutes ces prescriptions lexicales pour le moins orientées. La cohérence éditoriale est un des éléments d’une charte journalistique : il s’agit d’adopter un lexique homogène pour que le lecteur s’y retrouve, d’un article à l’autre, tant d’un point de vue stylistique (tel journal, par exemple, choisira systématiquement d’apposer l’abréviation M. ou Mme devant des noms propres) que du point de vue de la ligne éditoriale (selon qu’on écrit « Kiev » ou « Kyiv », on n’évoque pas le même point de vue).
RFI, qui émet dans plus de 150 pays, est une des radios les plus écoutées au monde. France 24, chaîne diffusée dans plus de 185 pays, se targue d’être « en première ligne dans la lutte contre les manipulations de l’information ». Les deux appartiennent à France Médias Monde, groupe de service public qui affirme offrir l’accès à « une information libre, indépendante, vérifiée, honnête, équilibrée et experte […] Contre toute forme de manipulation ».
Interrogé à ce sujet, le groupe répond que cette démarche de cohérence éditoriale est « un travail interne » s’appuyant « sur les dénominations utilisées par les Nations Unies, qui sont celles du droit international, dans une recherche constante d’impartialité. »
Le parti pris de chaînes qui exigent de tous leurs journalistes de n’employer qu’un vocabulaire délibérément orienté pour atténuer le caractère terroriste du Hamas, ou de ne mettre en avant que les violences commises par Israël, relève en effet d’une certaine « cohérence éditoriale ». Un problème sémantique se pose néanmoins : c’est une cohérence qui va à l’encontre des grandes déclarations de principes de ces chaînes du service public (dont le budget annuel global est financé à 95 % par la TVA), supposées fournir une information la plus objective possible.
Cette « cohérence éditoriale » bien mal nommée renvoie en réalité à la définition de ce que l’on appelle des « éléments de langage », c’est-à-dire des éléments de communication préétablis, mis au point par un parti politique, un groupe de communication ou une institution religieuse, qui permettent de maîtriser le discours et de l’orienter dans la direction voulue au détriment de toute objectivité. Et, dans ce cas, qui lient les mains des journalistes qui voudraient utiliser un vocabulaire le plus neutre possible.
Qu’y a-t-il dans un nom ? Si une rose ne perd pas son parfum quand on la nomme autrement, la manipulation informationnelle reste de la malhonnêteté intellectuelle, même lorsqu’on la baptise du joli nom de cohérence éditoriale.
Une chronique signée Bérengère Viennot
Source: www.lepoint.fr
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