L’armée israélienne qui contrôle le sud de la bande de Gaza autorise des gangsters locaux à piller et rançonner les camions de l’aide humanitaire internationale, tout en attaquant les policiers palestiniens, considérés comme Hamas, qui cherchent à s’y opposer pour que l’aide arrive effectivement à la population palestinienne affamée, selon une vaste enquête du quotidien Haaretz publiée lundi.
Les faits rapportés par les reporters du journal, Nir Hasson et Yaniv Kubovich, confirment la volonté israélienne de priver la population du maximum d’aide, y compris lorsque des camions sont autorisés à entrer dans la bande de Gaza, et d’aggraver la famine et le chaos, au sud comme au nord du territoire palestinien martyr.
Citant des sources au sein d’ONG internationales, le journal précise que des hommes armés appartenant à deux clans du district de Rafah ont bloqué une grande partie des cargaisons d’aide entrant à Gaza par le passage de Kerem Shalom. Le pillage est systématique, ont-ils déclaré, mais Tsahal ferme les yeux. Et comme certains groupes d’aide refusent de payer de l’argent pour leur protection, l’aide finit souvent par stagner dans des entrepôts sous le contrôle de l’armée israélienne.
L’aide transportée par ces convois contient la grande majorité de la nourriture et de l’équipement dont les Gazaouis ont désespérément besoin, puisque les importations commerciales ont presque complètement cessé.
Les mêmes sources affirment que le pillage des convois reflète l’anarchie totale qui règne à Gaza en raison de l’absence de tout gouvernement civil fonctionnel. Dans plusieurs cas, ajoutent-ils, les derniers éléments des forces de police locales ont tenté d’intervenir contre les pillards, mais ont été attaqués par les troupes israéliennes, qui les considèrent comme des membres du Hamas.
Les organisations humanitaires affirment qu’il n’existe aucune solution qui permettrait à l’aide d’atteindre les habitants sans qu’une force de police, palestinienne ou internationale, soit déployée à Gaza. Mais le gouvernement israélien et l’armée israélienne s’y opposent. Le gouvernement israélien dit que c’est à l’armée de prendre la responsabilité de la distribution de l’aide, mais les troupes s’y opposent catégoriquement.
Le problème des bandes armées s’est aggravé depuis que l’armée israélienne a pris le contrôle du poste frontière de Rafah entre Gaza et l’Égypte en mai et que l’Égypte a fermé le poste en réponse. Jusqu’alors, Rafah était le principal canal d’acheminement des marchandises vers Gaza. Depuis lors, la plupart de l’aide est entrée par le poste israélien de Kerem Shalom, mais des bandes armées contrôlent la zone du côté de Gaza.
Ces dernières semaines, les vols ont tellement augmenté que les cartes distribuées par les Nations Unies indiquent que ce tronçon de route est à haut risque, avec une note attribuant ce risque principalement à l’effondrement de l’ordre civil.
Les camions qui arrivent de Kerem Shalom traversent la zone le long de la frontière égyptienne, contrôlée par l’armée israélienne, puis tournent vers le nord en direction de Rafah, où les gangs les attaquent. Des sources au courant du processus de distribution de l’aide affirment que les gangs arrêtent les camions en érigeant des barricades improvisées ou en tirant sur les pneus. Ils exigent ensuite un « droit de passage » de 15 000 shekels (4 000 dollars). Tout chauffeur qui refuse risque d’être enlevé ou de se faire voler le contenu de son camion.
Des sources travaillant à Gaza affirment que les attaques armées ont lieu à quelques centaines de mètres des troupes israéliennes. Certains groupes d’aide affirment que les chauffeurs de camion attaqués ont même demandé l’aide de l’armée israélienne, mais que l’armée a refusé d’intervenir. De plus, disent-ils, l’armée leur interdit d’emprunter des routes alternatives considérées comme plus sûres.
« J’ai vu un char israélien et un Palestinien armé d’un fusil Kalachnikov à seulement 100 mètres », a déclaré à Haaretz un haut responsable d’une organisation travaillant à Gaza. « Les hommes armés frappent les chauffeurs et prennent toute la nourriture si on ne leur paye pas ce qu’ils appellent cyniquement leurs ’frais de protection’ ».
Pour éviter cela, certaines ONG acceptent de payer. Les paiements sont généralement effectués par l’intermédiaire d’une société palestinienne. Plusieurs sources affirment que des officiers du COGAT (l’administration militaire israélienne de la population civile palestinienne) leur ont même recommandé de travailler avec cette société, laquelle partage les fruits des rançons et du pillage avec les clans armés.
« J’ai tout essayé », dit le haut responsable de l’aide humanitaire. « Nous voulions voyager par d’autres routes, mais l’armée israélienne nous l’a interdit. Nous avons essayé de venir à 5 heures du matin en espérant que les voleurs ne seraient pas encore là, mais cela n’a pas aidé. Nous avons même essayé de négocier avec les hommes armés et de leur expliquer qu’il s’agissait de nourriture pour les gens, mais cela n’a pas aidé non plus. »
Haaretz s’est fait confirmer l’information par des responsables de l’armée. Ces mêmes officiers de haut rang ont ajouté qu’à un moment donné, le gouvernement a même envisagé de confier officiellement à la pègre la distribution de l’aide aux habitants de Gaza, mais qu’il préfère pour le moment rester dans le flou : on laisse les bandits piller, et on n’intervient pas.
La zone de pillage
A environ un kilomètre de Kerem Shalom, peu avant les quartiers est de Rafah, il y a une zone que l’armée appelle « la zone de pillage ». C’est là que la plupart des pillages de camions d’aide ont lieu. Pourtant, la zone est sous le contrôle total de l’armée israélienne, avec des troupes stationnées à quelques centaines de mètres, et parfois moins, des barrages routiers érigés par les hommes armés sur la route.
L’armée de l’air israélienne surveille la zone à l’aide de drones tandis que des observateurs de Tsahal surveillent ce qui se passe depuis le sol. Les soldats opérant à Gaza disent qu’ils sont très familiers avec les pillages, qui, selon eux, sont devenus une routine. Lors d’une visite des forces de Tsahal dans le nord de Gaza pour les journalistes, des reporters ont vu un convoi d’aide humanitaire se diriger vers le sud. Un officier leur a dit : « Dans 500 mètres, ils seront pillés. » Aucun des soldats n’a semblé surpris.
Les observateurs militaires, au sol et dans les airs, opèrent 24 heures sur 24 le long des routes logistiques que l’armée a pavées dans toute la bande de Gaza. Ce sont les routes que les convois d’aide empruntent. Les chauffeurs de camion et les responsables des organisations humanitaires internationales affirment que les soldats peuvent voir les attaques contre les convois, mais ne font rien.
L’armée israélienne affirme qu’une autre route a récemment été ouverte dans le sud de Gaza, qui permettra aux chauffeurs de camion de contourner la zone de pillage. Pourtant, plusieurs incidents se sont déjà produits le long de cette route également. Les Palestiniens affirment que les gangs continuent de collecter de l’argent pour protéger les convois d’aide en les laissant entrer dans les « zones sûres » et dans les zones de combat.
Un autre problème qui entrave considérablement l’entrée de l’aide dans l’enclave est la contrebande de cigarettes. Depuis que le siège total a été imposé à Gaza après le déclenchement de la guerre il y a un peu plus d’un an, le gouvernement a déterminé quels produits sont autorisés à entrer dans la bande de Gaza en tant qu’aide, et il a interdit les cigarettes. Mais les criminels et les marchands de Gaza ont créé un réseau de contrebande de cigarettes en utilisant les camions d’aide. Les cigarettes de contrebande sont vendues dans l’enclave à des prix exorbitants qui peuvent atteindre 200 euros le paquet !
Dans certains cas, les cigarettes sont introduites en contrebande dans des colis d’aide humanitaire et récupérées par les pillards sur les tronçons de route qu’ils contrôlent. Dans d’autres cas, les cigarettes parviennent jusqu’aux entrepôts des organisations humanitaires et les gangs les saisissent au moment du déchargement de l’aide. La contrebande de cigarettes encourage le pillage et accroît les dangers auxquels sont confrontés les travailleurs humanitaires lorsqu’ils tentent de distribuer l’aide.
Les cigarettes sont apparemment insérées dans des sacs d’aide humanitaire en Égypte. Selon les organisations humanitaires, toutes les personnes concernées sont au courant de ce phénomène, y compris l’armée israélienne, mais personne ne fait rien pour l’empêcher. L’armée, ont-elles souligné, inspecte chaque article qui entre à Gaza, ce qui leur permettrait d’empêcher facilement la contrebande de cigarettes. Sinon, Israël pourrait tout simplement autoriser l’entrée légale de cigarettes.
Outre les dangers créés par la contrebande, la pénurie de cigarettes crée également d’autres dangers. La presse gazaouie regorge d’histoires sur des substances toxiques, notamment des insecticides et des pesticides agricoles, versés sur des feuilles séchées qui sont ensuite roulées pour fabriquer des substituts de cigarettes.
La « taxe » sur les distributeurs automatiques
Haaretz a reçu de nouvelles preuves de l’effondrement social dans la bande de Gaza. Le réseau électrique de Gaza ne fonctionne plus depuis un an, il est donc impossible d’utiliser des cartes de crédit et toute l’économie fonctionne grâce à l’argent liquide. Les billets sont usés et presque inutilisables.
Il ne reste qu’un seul distributeur automatique de billets en état de marche dans toute la bande de Gaza, dans la région de Deir al-Balah, et il est également contrôlé par un groupe armé. Quiconque retire de l’argent du distributeur doit verser 30 % du montant aux hommes armés qui contrôlent la région, selon certaines sources. Les Gazaouis recherchent des moyens créatifs de faire des affaires, et l’une des solutions les plus populaires consiste à transférer de l’argent entre les membres de la famille des résidents en Cisjordanie. Si l’acheteur et le vendeur ont tous deux de la famille en Cisjordanie ou dans un autre pays, la famille de l’acheteur transfère l’argent à la famille du vendeur pour finaliser la transaction.
En raison du manque d’électricité, il n’y a pas de lumière la nuit et la sécurité personnelle, en particulier pour les femmes et les adolescentes, est un gros problème. En outre, Israël interdit l’entrée de certains produits tels que des vêtements et des chaussures dans la bande de Gaza. Des récits provenant de l’enclave font état de nombreuses personnes portant des vêtements en lambeaux, certaines pieds nus ou avec des semelles bricolées.
La semaine dernière, le COGAT s’est félicité du succès de la campagne de vaccination contre la polio, qui a permis de vacciner 93 % des enfants de la bande de Gaza, auquel l’armée d’occupation n’a pourtant pris aucune part, seulement autoriser les soignants à vacciner les enfants. Une organisation humanitaire impliquée dans la campagne a voulu profiter de l’occasion pour donner à chaque enfant qui venait se faire vacciner un sac de farine, du savon ou autre chose pour encourager la vaccination et aussi aider leurs familles. Mais comme il n’y a pas de groupe capable de surveiller les centres de vaccination, on craint que toute collecte de nourriture, de savon ou d’autres objets de valeur n’attire des voleurs armés, qui pourraient perturber la campagne de vaccination. Finalement, il a été décidé de se contenter d’administrer une dose de vitamine A. « La vitamine A n’a pas de valeur marchande », explique l’un des participants, « donc personne ne la vole ».
CAPJPO-EuroPalestine
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