Quand l’armée libanaise adopte les éliminations ciblées

Le Liban traverse une phase de tensions inédites, à la croisée de plusieurs dynamiques sécuritaires, politiques et régionales. Alors que le débat sur le désarmement du Hezbollah s’intensifie, l’armée libanaise vient de franchir une étape marquante : pour la première fois, elle a conduit une élimination ciblée dans la région de Baalbek, en utilisant un drone militaire dans une opération qui a coûté la vie à plusieurs individus recherchés.

L’incident s’est déroulé dans le quartier de Sharawena, fief connu pour ses réseaux criminels, au cœur de la vallée de la Bekaa. Selon l’armée libanaise, les hommes abattus – dont les identités correspondent aux surnoms d’« Abou Salah », « Sultan » et « P.Z. » – figuraient parmi les trafiquants de drogue les plus influents et les plus dangereux du pays. Ils étaient recherchés pour divers crimes, notamment des assassinats de soldats, des enlèvements et des attaques armées contre des postes militaires.

Cette action musclée marque un tournant stratégique. L’armée, longtemps critiquée pour sa passivité face à certaines zones d’ombre du territoire, affirme désormais sa volonté de reprendre la main. Elle a précisé que les individus tués étaient impliqués depuis des années dans la diffusion de drogues et autres substances toxiques, incitant la jeunesse libanaise à la criminalité. Plusieurs tentatives d’arrestation avaient déjà été entreprises, parfois au prix de blessures dans les rangs des soldats.

Un geste fort du président Aoun
Le nouveau président libanais, Joseph Aoun, semble déterminé à ne pas laisser passer cette opportunité d’imposer une reprise du contrôle étatique sur les régions échappant à la loi. Son mandat coïncide avec une pression croissante des institutions libanaises – et d’acteurs internationaux – en faveur du désarmement du Hezbollah et du renforcement des institutions légitimes, à commencer par l’armée.

La mission s’annonce cependant périlleuse. Le Hezbollah, affaibli politiquement mais toujours armé, voit dans ces événements une tentative déguisée de l’affaiblir par l’intérieur. Les discours de ses dirigeants, comme celui de Naïm Qassem, soulignent leur rejet d’un processus qu’ils considèrent comme imposé de l’extérieur, notamment par les États-Unis et Israël. Pour Qassem, les réformes en cours visent moins la souveraineté du Liban que sa soumission aux intérêts occidentaux.

Le rôle des renseignements israéliens et syriens
Selon des sources sécuritaires israéliennes, cette opération de l’armée libanaise s’inscrit dans un cadre plus large, alimenté par un mécanisme de coordination mis en place après le cessez-le-feu. Israël affirme avoir transmis des informations précises sur les activités de certains groupes opérant à Baalbek, ce qui aurait permis à l’armée libanaise d’agir avec efficacité.

Plus encore, Israël estime que les véritables dommages infligés récemment au Hezbollah sont davantage dus aux actions de l’armée syrienne qu’à celles du Liban. Sous les ordres du général Al-Juliani, les forces syriennes auraient bloqué plusieurs transferts d’armes destinés au Hezbollah, coupant ainsi l’un des principaux canaux d’approvisionnement de l’organisation via l’axe Iran-Syrie-Liban.

Hezbollah : infiltration présumée dans l’armée
Malgré ces avancées apparentes, l’armée libanaise reste minée par des soupçons d’infiltration. L’armée israélienne affirme que le Hezbollah aurait mis en place un réseau de collaborateurs au sein des forces libanaises. Certains officiers et soldats recevraient régulièrement des sommes d’argent en échange d’informations confidentielles ou de leur silence face aux mouvements d’armes et de combattants.

Les autorités israéliennes assurent avoir partagé ces données avec leurs homologues américains, exigeant l’éviction des personnes compromises. Selon elles, un engagement plus fort de Washington dans la restructuration des forces armées libanaises pourrait amplifier les tensions internes, notamment avec le Hezbollah.

Double coup dur pour le Hezbollah
Cette élimination à Baalbek intervient dans un contexte de fragilité accrue pour le Hezbollah. La veille, un responsable de l’organisation, Hussam Qassem Gharab, a été tué par une frappe aérienne israélienne dans la région de la Bekaa. Gharab était accusé d’avoir coordonné des tirs de roquettes vers le plateau du Golan à partir de la Syrie.

Deux coups successifs qui affaiblissent non seulement l’infrastructure militaire du Hezbollah, mais aussi son image de force intouchable. Plus encore, le groupe perd progressivement le soutien politique de certains alliés traditionnels, notamment dans les communautés chrétienne et sunnite, désormais plus enclines à soutenir le transfert de la puissance militaire à l’État.

Un tournant dans l’équilibre libanais ?
Le discours de Naïm Qassem, qui a succédé à Hassan Nasrallah après son assassinat, a marqué un changement de ton. Moins conquérant, plus défensif, il évoque un Hezbollah en retrait, qui appelle au dialogue tout en dénonçant une prétendue offensive conjointe entre Israël, les États-Unis et certaines factions libanaises.

La situation reste cependant explosive. L’ombre d’un affrontement interne n’est pas à exclure, tant le désarmement du Hezbollah est une ligne rouge pour le mouvement chiite. Pourtant, les dernières évolutions semblent indiquer une montée en puissance de l’armée libanaise, soutenue discrètement par les puissances occidentales et une majorité silencieuse au sein de la société libanaise, de plus en plus favorable à une normalisation des rapports de force internes.

Alors que le Liban cherche à retrouver sa souveraineté, la confrontation entre institutions officielles et forces parallèles s’annonce décisive pour l’avenir du pays.

Jforum.fr