QUAND JEAN-LOUIS DEBRÉ ÉVOQUAIT LE VILLAGE DE SES ANCÊTRES JUIFS
Cet article de Julie Malaure est paru en décembre 2019 dans l’hebdomadaire Le Point. Le décès de Jean-Louis Debré, à 80 ans il y a 3 jours, lui a donné une nouvelle jeunesse. M.W.
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Une enquête préliminaire est ouverte à Westhoffen. Après Herrlisheim en 2018, Quatzenheim en début d’année, c’est au tour de ce petit village du Bas-Rhin d’être victime d’une attaque antisémite. 107 stèles tombales, sur les 700 que compte le cimetière du village alsacien, ont été profanées mardi 3 décembre. Des croix gammées taguées à la bombe aérosol noire, ainsi que le chiffre 14, signe de la mouvance du suprémaciste blanc. Après les condamnations de ces actes par le président de la République Emmanuel Macron, le Premier ministre Édouard Philippe et le ministre de l’Intérieur Christophe Castaner, c’est au tour de l’ex-président du Conseil constitutionnel Jean-Louis Debré de dire son indignation. Les tombes de ses ancêtres, qu’il évoque dans son livre Une histoire de famille (Robert Laffont), ainsi que celles de la famille de l’ancien président Léon Blum, ont été saccagées. Jean-Louis Debré se rendra sur place en fin de matinée.
– Le Point: Quel lien particulier entretenez-vous avec ce village?
– Jean-Louis Debré: Ce petit village de Westhoffen est celui qui a été choisi par ma famille originaire de Bavière au moment de la Révolution. Elle s’est installée là, dans la banlieue de Strasbourg, car les juifs avaient le droit de travailler à Strasbourg mais pas d’y vivre. Dans ce petit village, il y avait deux grandes familles, entre lesquelles on retrouve des liens de parenté, celle de Léon Blum et la famille Debré. En 1870, mon arrière-grand-père a quitté l’Alsace et Westhoffen, où ses parents sont restés, pour partir à Paris, car, à la suite de la défaite de 1870, il ne voulait pas servir sous l’uniforme prussien. Il ne voulait pas trahir la République.
– Qu’entendez-vous par trahir la République?
– La République a accordé aux juifs de pouvoir pratiquer librement leur religion, de ne pas être persécutés ni désignés du doigt. Napoléon a permis aux juifs qui n’avaient que des prénoms de porter un nom de famille. Ce qui est amusant, c’est que, sous l’influence catholique, les noms des juifs ne devaient toutefois pas avoir de consonance juive. Or mon arrière-arrière-arrière-grand-père a pris le nom de «Debré», d’après la racine hébraïque de «Devarim», qui signifie porter la parole. Non pour parler mais pour transmettre.
– C’est un passé familial lointain. Pourquoi être resté attaché à ce village?
– Quelques mois avant de mourir, mon père m’a fait venir auprès de lui et, dans un effort énorme, m’a demandé ceci: «Quand le maire de Westhoffen te demandera quelque chose pour sa commune, tu le lui obtiendras, car c’est de là qu’est partie toute l’histoire de notre famille.»
– Quelle a été votre réaction à l’annonce de la profanation du cimetière?
– Ce qui vient de se passer dans le petit cimetière juif de Westhoffen, où je vais souvent, où des tombes portant le nom de Debré ont été marquées de croix gammées, est un acte pour moi terrible car c’est la négation du passé. En écrivant le livre Une histoire de famille, j’ai découvert que plus d’une dizaine de membres de ma famille n’étaient pas revenus d’Auschwitz, directement ou indirectement. Que, même si mon grand-père était agnostique, mon père catholique, ils n’ont jamais nié leurs racines juives. Et le fait d’affirmer aujourd’hui qu’on a des racines juives dérange. Je ressens une grande colère contre ces personnes qui oublient, en dessinant des croix gammées, ce qu’a été cette période de l’histoire pour des êtres humains.
– Pensez-vous qu’il y ait un lien entre le fait d’avoir mis en lumière le cimetière juif de Westhoffen dans votre livre et sa profanation?
– Je ne peux pas répondre à cette question, j’espère que non. Il y a quelques jours, un homme dans la rue, à Paris, s’est approché de moi et m’a dit: «j’ai appris que vous étiez d’origine juive.» J’ai répondu oui. Il m’a regardé et il est parti… On mesure à ces choses-là tout le poids de la haine. Et penser qu’aujourd’hui encore nous sommes dans cette haine… Dans quel monde vivons-nous?
– Vous rendez-vous à Westhoffen aujourd’hui même?
– Oui, avec le ministre de l’Intérieur, qui représente la République. Et de nouveau avec les membres de ma famille, le 18 décembre, pour une cérémonie privée. Ce que nous voulons, ce n’est pas seulement nous souvenir de nos parents ou grands-parents, mais nous recueillir pour toutes les familles dont les tombes ont été marquées. Ce cimetière, ce village, j’y allais avec mon père, j’y ai emmené mes enfants, pour ne jamais oublier qui nous sommes. Vous savez, il y a en nous des millions de cellules qui nous sont transmises de génération en génération, et il y a en moi des cellules de Westhoffen.
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