Prix Goncourt : « J’avais le cœur battant » raconte Kamel Daoud, « j’attends depuis des années »
Le lauréat du prix Goncourt 2024 pour son roman « Houris », Kamel Daoud, a été l’invité de Sonia Devillers ce mardi 5 novembre.
Kamel Daoud Journaliste et écrivain algérien
« J’attends depuis des années », confie sur France Inter Kamel Daoud lauréat le Goncourt, le plus prestigieux prix littéraire français, pour « Houris », fiction sur les massacres de la « décennie noire » en Algérie, entre 1992 et 2002, qui est interdite dans le pays. « J’avais le cœur battant », raconte l’écrivain sur l’annonce du prix, « cela donne du sens à beaucoup de choses », juge l’écrivain. « On ne peut pas ne pas plonger dans sa mémoire. La joie, quand elle est trop intense, verse dans le cliché. »
Kamel Daoud, lauréat du Prix Goncourt pour « Houris » : « Est-ce que j’ai attendu longtemps le résultat ? Oui, je pense que je l’attendais depuis des années. J’avais le coeur battant, cela donne du sens à beaucoup de choses. » #le710inter pic.twitter.com/2rHYCdnss8
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Il tient ainsi à rendre hommage à ses parents, et notamment à sa mère « qui ne sait ni lire, ni écrire, qui n’a jamais été à l’école ». « Elle a rêvé pour moi de succès, de visibilité, de grandeur« , raconte-t-il. « C’est votre rêve, payé par vos années de vie. À mon père décédé. À ma mère encore vivante, mais qui ne se souvient plus de rien. Aucun mot n’existe pour dire le vrai merci », a écrit Kamel Daoud sur son compte X après avoir reçu le prix Goncourt.
C’est votre rêve, payé par vos années de vie. À mon père décédé. À ma mère encore vivante, mais qui ne se souvient plus de rien. Aucun mot n’existe pour dire le vrai merci. pic.twitter.com/y1mYhcnsLZ
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« Vous n’imaginez pas les sacrifices dans une Algérie socialiste pauvre à l’époque. Ces moments où mon père faisait semblant de ne pas finir son assiette pour que je puisse manger. Ils ont sacrifié beaucoup de choses. » « Une des premières langues que l’on déchiffre dans sa vie ce sont les silences de ses propres parents », juge l’écrivain. « La première langue c’est un paradoxe. Ce n’est pas bavardé, c’est se taire. »
Kamel Daoud : « Une des premières langues que l’on déchiffre dans sa vie, ce sont les silences de ses propres parents. La première langue, ce n’est pas bavarder, c’est se taire. » #le710inter pic.twitter.com/fJN3BYNXVr
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« Mon personnage ne peut pas parler mais il imagine une langue »
« Houris », qui désigne dans la foi musulmane les jeunes filles promises au paradis, est un roman sombre sur le destin d’Aube, jeune femme muette depuis qu’un islamiste lui a tranché la gorge le 31 décembre 1999. Choisissant comme narratrice une femme, Kamel Daoud situe l’intrigue d’abord à Oran, la ville où il a été journaliste lors de la « décennie noire », puis dans le désert algérien, où Aube part retrouver son village. « Nous avons une langue magnifique à l’intérieur de nos têtes qui s’exacerbe avec l’amour, la haine, a rancune, la passion, l’inquiétude et nous avons une langue extérieure. Ecrire c’est passer de la langue intérieure à la langue extérieure. » « Mon personnage ne peut pas parler mais il imagine une langue. »
« J’ai vécu le français comme une langue intime, secrète. J’étais dans une famille qui ne le parlait pas, ne le lisait pas et le seul endroit où j’avais une île à moi tout seul, une île de milliardaire, c’était la langue française. Je croisais des femmes nues, des tapis volants, des bateaux, de très belles choses. »
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« Ce sont les femmes qui payent nos libertés »
« Il n’y a personne qui parle arabe dans le monde arabe », précise Kamel Daoud. « C’est une illusion occidentale. Nous parlons nos langues. » Il revient aussi sur l’oppression que subissent les femmes, en Iran notamment. « Ce sont les femmes qui payent nos libertés », dit-il. « Comment pouvons nous prétendre à des vies saines lorsque le rapport à la femme est pathologique. »
Kamel Daoud revient enfin sur l’interdiction de son livre en Algérie, la vente d’ouvrages portant sur la guerre civile de 1992-2002 étant illégale. Malgré cette interdiction, son livre circule tout de même, mais sous les manteaux. L’écrivain ironise d’ailleurs sur le fait qu’une telle interdiction représente le meilleur moyen pour « faire circuler le plus rapidement » un livre. « Il accède au statut de la pomme biblique », s’amuse-t-il. En dehors de son propre livre, Kamel Daoud affirme que l’enjeu derrière ces interdictions est de savoir « quels livres seront sous les yeux des lecteurs » algériens. « Peut-être par le mien, pas ceux de Gallimard, mais peut-être des livres qui vont produire des lois où l’on va interdire aux femmes de parler à voix haute », prévient-il.
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