L’Ombre de la Halakha sur les Litiges Civils : La Knesset Élargit l’Aire des Tribunaux Religieux
Dans les couloirs feutrés de la Knesset, à Jérusalem, l’air vibrait d’une tension palpable lundi soir. Par 63 voix contre 43, le parlement israélien a franchi une étape décisive en approuvant en première lecture un projet de loi audacieux. Baptisé « loi sur l’arbitrage des tribunaux religieux », ce texte ambitionne de transformer les tribunaux rabbiniques en véritables arbitres des querelles civiles, un domaine jusqu’ici réservé au droit séculier. Initié par une coalition d’élus ultra-orthodoxes, il marque une avancée significative pour ceux qui voient dans la halakha, la loi juive traditionnelle, un pilier indispensable à la résolution des conflits quotidiens. Pourtant, cette mesure soulève un vent de contestation, accusée de fragiliser les fondements de l’égalité en Israël.
Au cœur de cette réforme se dressent quatre figures emblématiques des partis Judaïsme unifié de la Torah (UTJ) et Shas : Moshe Gafni, Yisrael Eichler, Yaakov Asher et Yinon Azoulay. Ces députés, piliers de la coalition gouvernementale menée par Benjamin Netanyahu, défendent un principe simple mais chargé de symboles : offrir aux citoyens un choix authentique. Pour eux, nombre d’Israéliens, imprégnés de traditions ancestrales, aspirent à trancher leurs différends – qu’il s’agisse de dettes commerciales, de voisinages houleux ou de partenariats professionnels – sous l’égide de la halakha. Le texte prévoit que, moyennant une convention signée par les deux parties, les tribunaux rabbiniques puissent statuer comme des arbitres officiels. Cela ne s’arrête pas là : la mesure englobe aussi les tribunaux sharia pour les communautés musulmanes, soulignant une volonté d’équité interreligieuse.
Cette initiative n’émerge pas du néant. Depuis plus d’une décennie, ces instances religieuses interviennent déjà de manière informelle dans des litiges civils, souvent à la demande des fidèles. Des milliers de cas, allant de petites créances à des contrats complexes, ont ainsi été réglés dans l’ombre des synagogues ou des yeshivot, sans que l’État ne leur accorde de reconnaissance formelle. Le projet de loi vient donc officialiser cette réalité, ancrant dans le code civil une pratique qui, selon les promoteurs, répond à un besoin profond de cohérence culturelle. Dans un pays où la religion imprègne encore les sphères personnelles comme le mariage ou le divorce – domaines monopolisés par ces tribunaux depuis la fondation d’Israël en 1948 –, cette extension semble logique pour les ultra-orthodoxes, qui représentent environ 13 % de la population et pèsent lourd dans la stabilité du gouvernement.
Mais cette avancée suscite un tollé retentissant, porté par des voix progressistes et féministes. Le Réseau des femmes israéliennes, fer de lance du combat pour l’égalité de genre, alerte sur un glissement dangereux. En déplaçant des affaires civiles vers un système judiciaire dominé par des juges masculins et imprégné de normes patriarcales, la loi risque de priver les plaignantes de recours équitables. Imaginez une employée orthodoxe contestant un licenciement discriminatoire : sous la halakha, son témoignage pourrait valoir moins que celui d’un homme, et les pressions communautaires la pousseraient à renoncer à un procès séculier. Les femmes haredim, issues des milieux ultra-orthodoxes où les mariages précoces et les rôles genrés sont la norme, apparaissent particulièrement exposées. Des études internes à l’organisation estiment que plus de 70 % des litiges familiaux actuels impliquent déjà des inégalités flagrantes, et cette réforme pourrait amplifier le phénomène dans le domaine civil.
Le débat dépasse les frontières de la Knesset. Cette loi s’inscrit dans une série d’accords politiques noués par la coalition pour consolider son assise : en échange du soutien haredim, le gouvernement avance sur des réformes sensibles, comme la régulation des médias ou l’allègement du service militaire pour les religieux. Critiques de l’opposition, menée par Benny Gantz et Yair Lapid, y voient une offensive contre la laïcité, un pilier de l’État juif démocratique. Des experts juridiques craignent que cela n’ouvre la porte à des recours en cascade, où les plus vulnérables – minorités ethniques, immigrants récents – se retrouvent piégés dans un arbitrage inégal. Historiquement, les tribunaux rabbiniques, héritiers d’une tradition millénaire remontant au Talmud, ont su adapter la halakha aux défis modernes, mais leurs détracteurs soulignent que l’ère numérique et les normes internationales exigent plus de transparence.
Prochain jalon : le texte atterrira bientôt sur le bureau de la commission parlementaire aux affaires constitutionnelles, où il sera disséqué, amendé, ou peut-être enterré sous le poids des amendements. Entre aspiration à l’harmonie religieuse et garde-fous démocratiques, Israël navigue en eaux troubles, où chaque vote redessine les contours d’une société plurielle.
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