La route commerciale Etats-Unis-Inde passe par Haïfa
Donald Trump vient de recevoir, ces 12 et 13 février 2025, le Premier Ministre Indien Narendra Modi, alter ego de Binyamin Netanyahu pour le continent indien. Il lui a promis le renforcement des liens commerciaux via une immense route reliant l’Amérique, l’Europe à l’Asie et au Golfe, puis l’Inde, qui n’a pas d’agale dans toute l’histoire de l’humanité. Le Port de Haïfa sera une plaque tournante et le foyer démultiplicateur des échanges dans cette vaste stratégie de redistribution des cartes éco-géostratégiques. J’avais publié ce texte, moins de 3 semaines avant le 7 octobre 2023, dans Israël-Magazine. La guerre a éclipsé ses perspectives, mais le cours de la vie diplomatique et commerciale reprend peu à peu son cours…
Courageux soldats indiens libérateurs de Haïfa, en 1916
Haïfa est, aujourd’hui, en situation de renouer, au profit de l’Asie mineure et centrale, avec sa vocation première : ce port fut construit pendant la Première Guerre Mondiale pour servir les ambitions impériales des Britanniques, entre l’Orient et l’Occident. Un siècle et quelque plus tard, le Premier Ministre Benyamin Netanyahou a proclamé, lors de la cession du port privatisé au milliardaire Gautam Adani, début janvier 2023 : « Il y a plus de 100 ans, et pendant la Première Guerre mondiale, ce sont de courageux soldats indiens qui ont aidé à libérer la ville de Haïfa. Et aujourd’hui, ce sont des investisseurs indiens très solides qui aident à libérer le port de Haïfa ».
La concurrence sino-indienne pour la possession du port
De quel danger fallait-il « libérer » Haïfa ? Très longtemps, les sociétés chinoises ont fait en sorte de s’imposer dans la gestion portuaire de Haïfa, le plus grand port israélien, qui gère environ 50% du trafic maritime israélien, soit 30 millions de tonnes de fret annuel sur un total de 62 millions de tonnes.
En effet, une entreprise chinoise (Shangaï International Port Group) a remporté l’exploitation, pendant 25 ans, du nouveau terminal achevé en septembre 2021 et qui a la capacité de faire accoster des navires d’une longueur de 400m. Cette partie du port est dotée du must technologique, qui permet de réduire les coûts de la vie, du producteur jusqu’au consommateur, de stimuler la concurrence entre les 3 ports israéliens (avec Ashdod et Eilat) et d’accueillir des cargos de gros tonnage. Haïfa reste aussi le plus développé car le mieux sécurisé du pays, par une présence quasi-constante de navires de la Vème flotte américaine.
Haïfa-Mumbaï, boussole d’un nouvel axe stratégique
Deux bouleversements stratégiques majeurs ont eu lieu sous nos yeux, en janvier, puis les 9 et 10 septembre 2023 (temporairement mis en échec par l’effroyable pogrom du 7 octobre-NDLR) :
- Tout d’abord, le groupe indien Adani a versé une somme tout-à-fait colossale de 1, 2 milliard de dollars américains pour emporter la propriété du site. Elle était nettement supérieure à toutes les autres offres.
- Lors du G20, Joe Biden a annoncé, sans préciser ni date ni budget, avoir l’accord d’Israël, de l’Arabie Saoudite, de la Jordanie, des Emirats Arabes Unis et de l’Inde, pour bâtir un corridor maritime et ferroviaire reliant entre eux tous ces pays. De la rencontre à la Maison Blanche du Premier Indien Modi et de Donald Trump, on peut déduire que celui-ci est pressé de mettre en oeuvre et de conclure.
Ces deux projets, en réalité, semblent n’en faire qu’un, en raccordant l’Inde à l’Europe via Israël et l’ensemble des pays du Golfe. Dans l’esprit des maîtres de l’économie à Washington, par l’entremise des Accords d’Abraham, qui se renforcent au fur et à mesure, un grand ensemble économique, énergétique et militaire se dégage de ce tableau, avec ces deux places fortes et innovantes aux deux bouts de la trajectoire : le bijou technologique de l’Etat hébreu et le port du grand concurrent asiatique de Pékin : Mumbaï, sur le continent indien.
Le Contre-Modèle des Nouvelles Routes de la Soie
Gautam Adani est l’atout-maître que possédaient, depuis longtemps, dans leur manche les Premiers Ministres Indien, Narandra Modi et Israélien, son ami Binyamin Netanyahou. Leur vision se traduit, à la fois, par la somme supérieure aux autres offres qu’il a assuré et par l’analyse géostratégique qui sous-tend l’ensemble du raisonnement. Ce sentiment de totalité retrouvée se reflète au cœur du discours de Joe Biden en septembre 23 et de Donald Trump, en février 2025, dans la promesse de connexion transasiatique passant par les états du Golfe. Cette fois, l’Amérique, l’Europe disposent d’une route alternative et concurrente aux nouvelles routes de la Soie qu’envisage de développer « l’Empire du Milieu ». Ces voies commerciales et politiques chinoises traduisent le projet de domination que nourrit Pékin, notamment grâce à l’importation massive de pétrole iranien, mais aussi en traitant, en « outsider » de la puissance américaine, directement avec l’Arabie Saoudite et les pays du Golfe. Ainsi, le pays de la Cité Interdite a-t-il arrangé le rapprochement entre Riyad et Téhéran, qui semblait contrarier les aspirations à la même opération entre le Prince Mohammed Bin Salman et Binyamin Netanyahou. Au Moyen-Orient, c’est « le Cheval Fort », celui qui a le plus d’atouts dans son jeu, qui l’emporte, quelle que soit la mise préalable.
Israël et l’Arabie Saoudite ne sont plus pressés de conclure
On a pensé que le projet de ce corridor n’était réalisable qu’à condition que le royaume wahhabite n’entre dans la boucle des Accords d’Abraham avec Jérusalem. Mais, avec une telle infrastructure, cette condition n’est plus contraignante à ce stade (c’est-à-dire qu’elle n’impose pas de céder au dogme de la « solution à deux Etats », lecture de plus en plus marginale dans les rapports diplomatiques) : tout porte à croire que les économies moyen-orientales vont refleurir grâce à ce raccourci ferroviaire et maritime, en laissant de la souplesse à la diplomatie pour resserrer les liens entre les régimes, quand le moment viendra :
Lorsqu’on doit passer par bateau du Golfe arabo-persique vers la Méditerranée, la distance totale représenter 6.000 km de transit, en payant une taxe de plusieurs milliers de dollars pour la traversée du Canal de Suez. A l’inverse, grâce aux voies ferroviaires, la distance entre les deux ports de Haïfa et celui de Damman, en Arabie saoudite se réduit à 2.000 km, engrangeant une économie massive pour tous les acteurs engagés dans cet ouvrage collectif.
Israël, carrefour central dans les deux sens
Dans l’ensemble des projets en cours, à cause de deux conflits déterminants sur le plan régional, Haïfa est devenu incontournable, y compris pour les pays arabes :
- Par impossibilité de transiter par la Syrie, depuis plus de dix ans, à cause de la Guerre Civile, l’Irak, la Jordanie et de nombreux autres pays sunnites ont eu besoin d’exporter leurs marchandises par une voie tierce accueillant le transit en camions : Israël a renforcé son infrastructure routière entre Haïfa et Beit She’an, à la frontière avec la Jordanie, vers le Col Sheikh Hussein, pour atteindre ensuite l’Europe, par bateaux.
- L’invasion russe de l’Ukraine a proprement « terrorisé » l’ensemble des Occidentaux et la, jusque-là, très pacifique Allemagne, qui se consacrait à « la paix par l’économie ». De fait, les pays européens ont appelé Israël sur deux dossiers liés à leur survie : la fourniture d’hydrocarbures, puisqu’il devenait dangereux de dépendre de Gazprom, et la couverture de leur défense anti-aérienne, par l’achat du « Hetz 3 » (ou Arrow), de la « Fronde de David » et de quantités de missiles.
Haïfa devient un relais incontournable, entre les gisements de Léviathan, la liquéfaction du gaz exportable d’Egypte ou de Jordanie et les pays d’Europe. Israël investit donc dans son réseau routier et la construction de navires.
La reconstruction de Kyriat Shmona, perle de Galilée
Sur le tracé ferroviaire prévu, Jérusalem met en place un nouveau train à grande vitesse qui traversera le pays : de Kiryat Shmona au nord jusqu’à Eilat. Ces deux villes aux antipodes du pays, ont constituée des cibles du Hezbollah et des Houtis. Leur sécurisation devient indispensable.
En réalité, quand les cœurs saoudiens battront à l’unisson, au moins en termes économiques, comme c’est le cas avec les Emirats, ce premier tronçon d’Eilat est censé se prolonger jusqu’à… Riyad. Comme les intérêts deviennent convergents, on comprend que les adaptations politiques nécessaires devraient logiquement s’ensuivre au fur et à mesure.
Accroître la connectivité de l’ensemble des pays concernés
D’autre part, les états impliqués posent des câbles, à la fois pour la transmission électrique et la connectivité numérique. D’immenses tuyaux seront raccordés entre eux pour l’exportation d’hydrogène propre, en vue de générer un Moyen-Orient plus stable, communiquant, prospère et intégré.
Ainsi, Israël et l’Inde deviennent les premiers bénéficiaires directs de la nouvelle « Guerre Froide » sino-américaine.
Les grandes idées sont rarement « révolutionnaires » et reprennent des concepts qui étaient déjà dans l’air du temps. Mais pour que l’explosion économique envisagée de toute la Galilée, autour de Haïfa, devienne réalité, un certain nombre de dossiers en souffrance doivent trouver des solutions urgentes : on pense d’abord à la neutralisation du Hezbollah et des Houtis, qui ont constitué des postes prioritaires de l’investissement sécuritaire, durant le conflit d’octobre 2023, qui ne cesse de se prolonger. Il faudra aussi mettre le « paquet » contre l’augmentation de la criminalité en secteur arabe dans cette région et des meurtres politiques, veillant à décourager des municipalités d’organiser les élections et des clans de présenter leurs candidats, de crainte qu’ils ne soient lâchement assassinés.
Avec les grands aménagements portuaires, qui génèrent l’appât du gain, les autorités devront penser, tout simplement à faire… le ménage et à assurer la paix sociale et frontalière au sens plein du terme.
Et un « Emirat » libre de présence iranienne à Gaza-Port ?
En élargissant le scope, du nord au sud d’Israël, on comprend mieux la volonté trumpienne de « déplacer provisoirement » une population gazaouïe vers l’Egypte et la Jordanie, afin que ces états bénéficiaires de l’aide américaine contribuent aussi à la paix régionale et à l’élimination de ce « nid de frelons » gazaouï : ce dernier entre pleine dans la contre-stratégie iranienne, mobilisant les Houtis en Mer Rouge pour frapper la liberté de navigation, qui, d’autre part, semble aussi embarrasser les prjets chinois…
https://terre-des-juifs.com
La source de cet article se trouve sur ce site