Quelques vagues chez les supporteurs e-sport, avant même de faire la holà. La communauté de la Karmine Corp (aussi abrégé KCorp ou KC) a été secouée cette semaine par les révélations d’une enquête de la Revue XXI, qui rapporte des conflits entre les dirigeants du club. Mais les fans les plus actifs de l’esport français ne veulent pas laisser cette polémique gâcher le KCX, grande messe du club à mi-chemin entre spectacle, concert et match d’exhibition, qui a lieu ce samedi à La Défense Arena.
« Quand j’ai vu ça, je me suis dit : « Ça fait chier quand même. » », râle Tahzio, fan de la KCorp. « Ça », c’est un long article dans lequel le magazine d’investigation revient sur les origines de la KCorp, ainsi que sur un conflit opposant deux cofondateurs du club : « Kameto », de son vrai nom Kamel Kebir, et « Prime », aka Amine Mekri. La publication affirme notamment que ce dernier a utilisé l’argent de KC pour des dépenses personnelles, et a joué de la réputation du club pour obtenir des financements pour ses propres activités. Le tout a provoqué des tensions, qui ont depuis été partiellement résolues grâce au recrutement d’un directeur, Arthur Perticoz.
Des fans de longue date
Comme tous les fans interrogés, Tahzio a commencé par suivre Kameto sur Twitch. Pour lui, c’était en 2017, « à l’époque de Fortnite avec Gotaga ». Il a commencé à s’intéresser à la Karmine quand cette équipe créée par le vidéaste en 2020, s’est hissée, après un an d’existence, en LFL, le championnat français de League of Legends.
« Pouvoir supporter une équipe et vibrer ensemble avec ton streamer favori, c’est super, raconte Sam, qui suit Kameto depuis ses tout débuts, sur la web tv Eclypsia. On peut suivre des compétitions e-sports, et le faire avec Kamel c’est du bonus. » Mais l’engouement a grandi bien au-delà du streameur. « Très vite, ça a dépassé la personne de Kameto, et je me suis attaché à l’équipe, aux joueurs, explique Ferdinand, qui a aussi commencé à suivre les exploits de la Karmine en LFL. Aujourd’hui, je prends plus de plaisir à regarder de matchs de la KCorp que des matchs de l’équipe de France de football. »
Supportérisme et storytelling
Et quand le Blue Wall – les supporteurs ultras de l’équipe – se déplace, l’ambiance n’a rien à envoyer aux matchs de foot. « Cette ambiance, c’est une fierté française, décrit Tahzio. Quand les gens viennent chez nous il y a toujours du bruit, des chants, on sait encourager. C’est l’ADN du club. » « Il y a eu un vrai engouement de la communauté, le tout poussé par Kamel qui répétait en stream qu’il adore l’ambiance stade de foot, complète Sam. Le PDG de G2 [une équipe e-sport européenne], en a parlé pour dire que les fans ont une nouvelle manière de supporter leur équipe depuis l’arrivée de KCorp en LEC [le championnat européen]. »
Pour de nombreux fans, les KCX donnent un rendez-vous et un exhutoire concret à toute cette passion. « Je suis allé au KCX3 sans savoir à quoi m’attendre, j’ai été choqué de l’ambiance du stade, de la ferveur et de la passion, se souvient Ferdinand. Je hurlais sur d’autres jeux que je comprenais à peine, je n’ai plus eu de voix pendant trois jours. Ça m’a donné l’impression d’être à une Coupe du monde. » L’an dernier, cette rencontre a rassemblé 28.000 personnes à la Défense Arena.
Mais crier ensemble ne fait pas tout. « On a des codes et une culture du supportérisme issu du foot, mais aussi des spécificités uniques, précise Tahzio. Le narratif est très important dans l’e-sport en général, on s’approche un peu d’une ligue comme le catch. Et la KC dispose d’un art du storytelling qu’on ne retrouve pas ailleurs. » Le petit club français, fondé par un enfant de Corbeil-Essonnes, qui gravit les échelons en attendant de gagner un jour les Worlds, ça fait rêver. « « Ce qu’on est en train de monter, c’est un Disney de l’e-sport », décrivait Arthur Perticoz à XXI.
« J’avais peur que l’événement soit cancel »
Alors, quand la Revue XXI sort son enquête lundi, la communauté est attristée par ce cassage d’ambiance. Certains y voient même une volonté de nuire, à cinq jours de la grande messe. « Au début il y a eu un peu de colère, un réflexe de « clubisme ». J’avais peur que l’événement soit cancel, admet Tahzio. Puis, j’ai réalisé que c’était important qu’on apprenne ces infos, notamment sur le côté business qui est très présent dans l’e-sport. On se doutait qu’il y avait quelque chose avec Prime, mais on ne savait pas quoi : veut-il se désengager du projet ? S’est-il disputé avec Kameto ? L’article a mis des mots sur des choses que l’on voyait un peu. » « Toute ma timeline ne parlait que de ça, renchérit Ferdinand. C’est attristant sur la situation du club. C’est un milieu très opaque, enclin au copinage, donc c’est intéressant que le journalisme d’investigation se penche dessus. Ça permet de comprendre que c’est une très grosse structure, et pas seulement des matchs de League of Legends. »
Au milieu de cette polémique : Prime. « Les points factuels qui m’ont été reprochés sont liés à ma mauvaise communication et mes erreurs d’apprentissage sur la partie business, se justifie-t-il dans un communiqué. Je me suis excusé à maintes reprises depuis 2022 et nous avons pris des mesures pour ajuster ces points en interne. » Des arguments qui peinent à convaincre une communauté déjà suspicieuse. « Dans la communauté, il y a un écrasant soutien à Kameto. Pour moi, Prime n’a pas une bonne réputation, souffle Tazio. Quand ils s’étaient associés, ça m’avait un peu inquiété, et cette enquête confirme ma mauvaise image de lui. » « On voit quand même que ça a affecté beaucoup Kamel, toute la scène s’est rangée derrière lui et l’a soutenu, approuve Sam. Au contraire la réponse de Prime en stream sonnait « fausse » et peu convaincante. J’étais triste pour Kamel. »
A présent, les fans de la KCorp redoutent seulement ce qu’il pourrait se passer si Prime apparaissait sur scène au KCX4, samedi (alors qu’il était absent au précédent). « Je n’ai pas envie de renvoyer une mauvaise image de la KCorp, pas envie que Prime soit bousculé ou insulté, souhaite Tahzio. Je déteste quand l’équipe souffre d’une image toxique. Mais au contraire, j’espère que la communication sera bien gérée, et que ce sera une après-midi encore plus forte en émotion, avec une banderole de soutien à Kameto. […] La fête n’en sera que plus belle. »
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