Bunker de luxe, catastrophes technologiques, virus zombie… Vous reprendrez bien un peu de nouvelles séries postapocalyptiques à la rentrée ? Ça tombe bien, les plateformes de streaming ont prévu de quoi nous épouvanter par anticipation. Sur Netflix, le 19 septembre, les producteurs de la Casa de Papel nous embarquent dans El Refugio atomico, une satire sociale se déroulant dans un bunker de luxe abritant des riches après une apocalypse.
En octobre, Marvel Zombies débarque sur Disney+ et nous plonge dans l’univers Marvel, ravagé par un virus zombie. Et en novembre sur HBO/max, la deuxième saison de Dune Prophecy revient aux origines de l’histoire du Bene Gesserit, 10.000 ans avant les événements du film, où l’humanité a survécu à des catastrophes technologiques. Et ça, c’est sans compter sur les autres suites, avec The Testaments, un sequel de The Handmaid’s Tale, Alien Earth, un préquel d’Alien ou la saison 3 d’Alice in Bordeland.
« Notre monde traverse une forme d’effondrement »
Le filon de la science-fiction sauce dystopie et post-apocalypse ne s’épuise pas. Mais qu’est-ce qui nous fascinent autant dans les récits de fins du monde ? Pourquoi adorons-nous regarder des univers dévastés où quelques bandes d’humains survivent péniblement ? « Le premier enjeu qui apparaît, c’est le rôle de catharsis, retrace Fleur Hopkins-Loféron, historienne, spécialiste des imaginaires scientifiques. Cela brasse des grands récits qui vont fonder toute notre culture populaire, et des craintes qui sont partagées à l’échelle humaine, celles de la disparition, de la mort. »
Ces récits trouvent un fort écho dans un contexte de pandémies, de réchauffement climatique dû aux activités humaines, de délitement des liens humains et des conflits armés, avec la crainte d’une nouvelle guerre mondiale. « Ces récits réapparaissent frontalement dans nos imaginaires, car on fait le constat assez dramatique que notre monde traverse une forme d’effondrement anxiogène », estime la chercheuse indépendante.
S’armer face au pire
Ces dernières années, les thèmes de la catastrophe nucléaire (Fallout), du patriarcat nationaliste (The Handmaid’s Tale), des craintes liées aux technologies (Black Mirror), de la pandémie et de l’effondrement de la société (The Last of Us, Station Eleven) ont été explorées. Ce qui permet de se prémunir face aux désastres, explique Fleur Hopkins-Loféron. « Les littératures de l’imaginaire au sens large, que ce soit l’horreur, la fantaisie, la science-fiction, ont cette capacité à outiller notre esprit critique, à nous habituer à une catastrophe possible et à nous armer intellectuellement face à ce qui nous paraît impossible. »
Certaines séries d’anticipation sont plus glaçantes que d’autres. Black Mirror donne ainsi à voir des personnages qui vont être transformés par l’usage de la technologie dans des épisodes très (trop) réalistes. Le plus connu reste celui sur le crédit social, devenu réalité en Chine. Dans la saison 7, le premier épisode présente une avancée technologique qui vient réparer le cerveau au moyen d’un abonnement mensuel, dont les tarifs augmentent à chaque version…
Episode terrible, « qui montre que nous ne sommes que des produits du capitalisme, devenus des data, et cela angoisse profondément sur le plan ontologique », analyse la chercheuse, qui précise que la série s’inscrit dans la tendance de la science-fiction à repérer les signaux faibles, bâtis sur des connaissances scientifiques et technologiques. « Les scénaristes imaginent les conséquences possibles de ruptures géopolitiques, technologiques ou médicales, poursuit-elle. Et la série a popularisé pour le grand public ces peurs liées à la technologie, et surtout, la manière dont elle est devenue notre compagne, et non plus simplement un outil. »
Le moment du merveilleux-scientifique au XIXe siècle
Au tournant du XXe siècle, des récits de fins du monde s’inspiraient déjà des avancées technologiques pour interroger ces métamorphoses. C’est le moment du merveilleux-scientifique, avec des auteurs français comme son inventeur, Maurice Renard, Guy de Téramond, ou encore Jean de La Hire. Ce courant est défini par son chef de file comme « un roman d’hypothèses » avec une place centrale donnée à « la méthode scientifique dans le roman », rappelait Libération en 2023.
Parmi les thèmes récurrents, il y a « celui qui fait basculer la civilisation dans un âge antérieur, préhistorique, indique la chercheuse, qui a étudié cette littérature dans sa thèse. C’est une angoisse typique du début du XXe siècle. » Par exemple, le fer disparaît, l’électricité a été mangée par des extraterrestres, un déluge se déverse sur Paris ou la machine se retourne contre son créateur et tire les humains vers le bas.
Vive la « fin d’un monde »
Alors, faut-il avoir peur de l’Apocalypse ? « La grande question en germe dans ces fictions, c’est toujours quel monde on veut rebâtir », analyse Fleur Hopkins-Loféron. Fin du monde doit être entendu dans le sens premier du terme apocalypse, c’est-à-dire révélation, explique-t-elle, et comme la fin d’un monde. Et elle annonce la construction d’une nouvelle ère, qui vient questionner les structures de nos sociétés.
« Est-ce qu’on rebâtit un monde masculiniste plutôt patriarcal, où des sociétés de classe sont recréées, où les ressources de la planète sont extraites, ou est-ce qu’au contraire, on bascule, par exemple, dans une utopie, dans des villes solar punk, et avec un autre rapport au vivre-ensemble et au vivant ? », interroge-t-elle. Un courant de la SF dite positive s’est saisi de cette veine, face à ce que certains voient comme une confiscation des imaginaires par la dystopie.
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Mais même dans les fictions post-apocalyptiques, l’espoir est toujours là. Que ce soit dans The Last of Us, Fallout ou Silo, les héros ou héroïnes « vont retrouver de l’espoir en utilisant leur curiosité », expose la chercheuse, en faisant « ce geste de sortir du jardin d’Eden, avec l’idée de sortir de cet état de non-conscience pour redécouvrir le monde au-dehors. Et ces personnages, au gré des rencontres, vont se confronter à leurs traumatismes, se lier d’amitié, vont reformer des sociétés ». Et nous inspirer si les cataclysmes se multiplient après-demain (il est minuit moins 89 secondes à l’horloge de l’Apocalypse).
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