« Sous l’égide d’Anne Hidalgo, un sommet des maires européens a réuni à l’Hôtel de Ville des élus locaux et des responsables gouvernementaux, aux côtés d’organisations pro-israéliennes. Un énième exemple d’instrumentalisation de la lutte contre l’antisémitisme, où les mêmes cibles sont visées et où la diabolisation du boycott revient en force, alors même que la Cour de cassation vient d’en reconnaître la légalité », écrit Orient XXI, dans un article dont nous publions des extraits.

« Le sommet 2025 de Paris des maires contre l’antisémitisme (2025 Paris Mayors Summit Against Antisemitism), organisé chez Anne Hidalgo (Parti socialiste) et sous son patronage le 20 novembre, en marge du 107e Congrès des maires de France qui se tenait du côté de la Porte de Versailles, est passé sous les radars des médias nationaux. Tout au long de la journée et des interventions, le mélange des genres sera permanent. À ce niveau, ce n’est plus de l’instrumentalisation, c’est du rabâchage.
Dans la liste des organisateurs, on trouve la Ville de Paris, le Conseil de l’Europe, le Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), le Congrès juif européen — branche du Congrès juif mondial — et surtout, l’organisation Combat Antisemitism Movement (CAM), dont les représentant·e·s interviennent à plusieurs moments de la journée. Fondé en 2019 aux États-Unis, l’organisation a fait de la répression des mouvements étudiants sur les campus une de ses priorités. En France, le CAM a pour partenaire la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (LICRA), qui s’est récemment illustrée en demandant au ministre de l’enseignement supérieur d’annuler un colloque au Collège de France sur la Palestine et l’Europe. L’organisation UN Watch est leur partenaire suisse, notamment connue pour cibler les rapporteurs spéciaux des Nations unies pour les Territoires occupés et les accuser d’antisémitisme1. Une quinzaine d’organisations israéliennes sont également partenaires du CAM, dont NGO Monitor2. Et surtout, le ministère israélien de la diaspora, qui avait déjà organisé le colloque sur l’antisémitisme à Jérusalem, en mars 2025, en y conviant toute l’extrême droite mondiale.
Shannon Seban fait partie de la fine équipe du CAM, aux côtés d’André Azoulay, ancien conseiller du roi du Maroc. Directrice d’affaires publiques Europe chez le groupe Altice France — propriété de Patrick Drahi, tout comme Altice USA qui détient la chaîne pro-israélienne i24News3 —, elle est présente à la fois comme directrice des affaires européennes du CAM et comme élue (Renaissance) au conseil municipal de Rosny-sous-Bois (Île-de-France). Dans son allocution de bienvenue — prononcée en anglais, la République appréciera —, elle évoque l’horizon des municipales, la « valeur française de la laïcité » et les Français juifs qui, comme elle, se trouveraient ciblés à la fois par l’extrême gauche et l’extrême droite — dit celle qui passait la veille sur CNews.
Ne pas « importer le conflit »… tout en ne parlant que de cela
Sans surprise, tout le sommet est placé sous le signe du 7 octobre 2023. La maîtresse de cérémonie, Natalie Sanandaji, est responsable des affaires publiques du CAM et « survivante du Festival Nova », comme le stipule sa biographie. Elle ne manque pas de qualifier le 7 octobre d’« un des jours les plus meurtriers pour les juifs depuis l’Holocauste ». L’idée de ne pas « importer le conflit », selon l’expression consacrée, ne vaut visiblement que lorsqu’il s’agit de parler des Palestiniens. Raphaël Enthoven, participant à la deuxième table ronde de la journée, affirme d’ailleurs sans sourciller : « Il ne s’agit pas d’importer le conflit. » Il avait auparavant pris le temps d’expliquer comment les soutiens de la Palestine « minoraient les crimes du Hamas », et « majoraient ce que fait Israël », en prétendant qu’il y a génocide, apartheid et famine — autant de réalités inexistantes pour le polémiste. (…)
Sur cette équivalence entre antisionisme et antisémitisme, qui constitue un des moteurs essentiels du discours sur le « nouvel antisémitisme », Anne Hidalgo se présente comme un modèle. Dans son allocution d’ouverture du sommet, l’édile de Paris exprime le souhait que tous les maires présents adoptent, à l’image de la Ville de Paris, la définition de l’antisémitisme promue par l’IHRA (l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste), également adoptée par Israël. (…)
On retrouve également dans le document de présentation les deux chevaux de bataille défendus durant le sommet des maires et portés en France, au niveau gouvernemental, par Aurore Bergé et la Dilcrah (Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT) : le renforcement de l’arsenal juridique, et le ciblage des établissements scolaires et universitaires. (…)
Durant la première table ronde de la journée intitulée « Des stratégies nationales à l’action locale », Mathias Ott, à la tête de la Dilcrah, salue la nouvelle circulaire pénale du garde des Sceaux, en date du 22 octobre 2025, relative au traitement judiciaire des propos antisémites, antisionistes et des discours de haine au sein des établissements d’enseignement supérieur. (…)
Lorsque scander un slogan comme « From the river to the sea, Palestine will be free » (Du fleuve à la mer, la Palestine sera libre) ou afficher la carte de la Palestine historique en appelant à la décolonisation sont interprétés comme des actes et des discours appelant à la destruction d’Israël — et donc antisémites —, on imagine l’impact d’une telle circulaire. (…)
L’antisémitisme, les Frères et le « racisme objectif »
Les propos publiés sur les réseaux sociaux sont notamment ciblés par cette volonté de renforcer la réponse pénale, comme le montre la table ronde intitulée « Sécurité, application de la loi et menaces numériques. Protéger les communautés juives aujourd’hui ». L’ombre du livre de Nora Bussigny sur les « nouveaux antisémites », qui utiliseraient ces moyens pour propager leur haine, plane sur le sommet. Or ces derniers, comme on le sait, se trouvent principalement chez la gauche et parmi les « islamistes », c’est-à-dire les musulmans.
À l’instar de l’article du Point6 s’offusquant de la tenue du colloque sur la Palestine au Collège de France, où « anti-israélien » et « anticolonial » font office d’actes d’accusation, la question palestinienne est également présentée au sommet des maires comme le maillon d’une chaîne plus menaçante : celle du grand complot islamiste — plus précisément frériste — contre la France et l’Occident. Déjà pendant le café d’accueil, Saad Amrani, chef commissaire de la police de Bruxelles, défenseur du modèle marocain dans la lutte antiterroriste et d’une coopération sécuritaire renforcée entre la Belgique et le royaume chérifien, affirme dans une discussion à bâtons rompus : « Dans les quartiers, le lavage de cerveau a été tel par les Frères musulmans, que ce discours [faire de l’éducation sur l’antisémitisme] rentre par une oreille et sort de l’autre. » (…)
« l’antisémitisme c’est la matrice de la haine elle-même. C’est la raison pour laquelle on peut même penser qu’il a précédé l’invention du judaïsme », ose Raphaël Enthoven.
Faute d’avoir existé avant l’antisémitisme, les juifs ont beau précéder la création de l’État d’Israël de quelques dizaines de siècles, ils n’auront eu de cesse, sous les dorures de la salle des fêtes de l’Hôtel de Ville, d’être associés à Tel-Aviv. Tant pis pour l’accusation de double allégeance. (…)
Peter Paltchik, judoka olympique israélien, évoque le boycott sportif dont il a fait l’objet, mais se souvient notamment de ce moment, aux Émirats arabes unis, où il se tenait sur le podium : « Une grande fierté pour moi et pour la nation juive », alors que le drapeau israélien est hissé et l’hymne national retentit. Les soutiens du boycott auraient donc raison, et le sport institutionnel est bel et bien la vitrine de l’État ? Mathias Ott aussi juge, visiblement, subsidiaire la distinction entre juif et israélien : il déplore que l’on veuille censurer « des musiciens de confession juive ou qui viennent d’Israël ».
La fin de journée voit aussi les interventions d’Aurore Bergé, qui a décidé de faire de la lutte contre l’antisémitisme son tremplin politique, et de Joshua Zarka, l’ambassadeur d’Israël en France, qui passe presque autant de temps à commenter la situation française — vous avez dit ingérences russes ? — qu’à défendre la politique génocidaire de son pays sur les plateaux. En attendant 2027, la question palestinienne et, par extension, celle de l’islam semblent bien parties pour être parmi les principaux enjeux des municipales de mars 2026.
Source : https://orientxxi.info/A-Paris-une-mise-en-scene-rabachee-de-la-lutte-contre-l-antisemitisme
Orient XXI est un média indépendant, en libre accès et sans publicité.
Vous pouvez nous soutenir en faisant un don défiscalisé.
CAPJPO-Europalestine
La source de cet article se trouve sur ce site


