«Je sais que beaucoup de gens ont peur et je leur dis « n’ayez pas peur ». » Le maire de Marseille a tenté, mercredi, de rassurer ses administrés. Il faut dire qu’une semaine après le meurtre de Mehdi Kessaci, le frère du militant Amine Kessaci engagé contre le narcobanditisme, la ville est encore sous le choc. « On doit dire à cette pieuvre, à cette mafia, qu’on n’a pas peur, a ajouté Benoît Payan. Ils ne nous feront pas taire. » Pourtant, dans certains quartiers de la cité phocéenne, des responsables associatifs n’osent plus s’exprimer sur le sujet. Selon nos informations, l’un d’eux a récemment été mis au courant, par le parquet, de l’existence de menaces le concernant. Il a été invité à se taire, le temps que la tempête passe.
Les trafiquants semblent donc en passe d’avoir atteint l’objectif qu’ils s’étaient fixé en tuant Mehdi Kessaci, à savoir imposer la loi du silence et diffuser la peur chez leurs ennemis : policiers, magistrats, journalistes, militants associatifs. « On ne se pose plus la question de savoir si un magistrat va se faire agresser ou assassiner. On se demande quand est-ce que ça va arriver, observe Ludovic Friat, le président de l’Union Syndicale des Magistrats. Je dis ça sans faire de catastrophisme, on voit bien qu’il n’y a plus de limite. Il y a une prise de conscience des magistrats que leur robe noire ne les protège plus ».
« Les problèmes de ce genre, on s’en débarrasse »
« Parmi ceux qui sont susceptibles d’entraver la bonne marche des affaires de ces organisations criminelles, il y a bien évidemment des policiers, des douaniers et des magistrats. Un juge d’instruction, un procureur qui fait correctement son travail, est perçu comme un empêcheur de se faire de l’argent tranquillement », ajoute le président de L’USM. Il souligne que « dans la culture criminelle de ces nouveaux groupes, les problèmes de ce genre, on s’en débarrasse ». « Soit grâce à la corruption, en achetant ou en menaçant une personne. Et si ça ne marche pas, on passe à l’étape suivante qui est de mettre un contrat sur la tête de quelqu’un. La vie humaine n’a plus grande valeur pour eux. »
Les magistrats marseillais ne sont pas les seuls visés par les menaces. « On voit bien que cela arrive aussi en province, gagnée elle aussi par le trafic de stupéfiants, signale Ludovic Friat. Cette culture narco, qui emprunte un peu à la mafia sicilienne, aux gangs narco d’Amérique centrale, irrigue le territoire. On a quelques exemples de collègues dans des villes moyennes qui ont pu être menacés. Et certains ont dû être changés rapidement de juridiction. »
« Un climat de vigilance accrue »
Les policiers marseillais, eux, essaient de garder leur « sang froid ». « Il est certain que l’étape d’après, ça sera inéluctablement de s’en prendre potentiellement à un élu, un magistrat ou un policier », souffle à 20 Minutes Eddy Sid, le porte-parole local du syndicat Un1té. « Les narcotrafiquants marseillais, plus qu’ailleurs, se sont cartellisés, internationalisés. Ils ont des ramifications au Moyen-Orient où ils blanchissent l’argent, en Europe de l’est où ils achètent des armes, en Afrique du Nord où ils récupèrent le produit, en Amérique du Sud, dans les ports autonomes », pointe le syndicaliste.
Mais « la peur ne se répand pas » dans les rangs des policiers phocéens. « Il y a un climat de vigilance accrue, c’est une nuance importante », insiste Eddy Sid. Et ce dernier d’ajouter : « On prend ce qu’on appelle dans notre jargon des précautions d’usage. Quand on rentre à la maison, on fait attention à ne pas être suivi, il y a peu de policiers marseillais qui habitent près de leur lieu de travail, c’est compliqué. Quand les collègues le peuvent, ils se sacrifient financièrement pour mettre leurs enfants dans le privé, pour éviter d’être surexposés. »
Des journalistes menacés
Selon le porte-parole marseillais d’Un1té, l’une des conséquences de cette guerre déclarée par les trafiquants est la perte « de policiers aguerris ». « Ceux qui ont le plus d’expérience sont usés après des années à prendre des risques inconsidérés. Les narcotrafiquants ont disséminé des armes de guerre dans toute la ville. Les collègues doivent de plus en plus faire usage de leur arme pour se protéger ou protéger les citoyens lors d’interventions censées être banales. On a de plus en plus de mal à fidéliser ces agents. Au syndicat, on demande, en plus de moyens supplémentaires conséquents, une prime de fidélisation importante. »
Et les journalistes qui traitent de ces sujets ? Ils sont eux aussi de plus en plus prudents. Il faut dire que trois d’entre eux, qui ont consacré un livre aux tueurs à gages – parfois très jeunes – recrutés par les trafiquants de stupéfiants ont fait l’objet de menaces il y a un an. Les auteurs se sont particulièrement intéressés à la DZ Mafia, un des clans de narcotrafiquants marseillais les plus puissants. Une enquête avait été ouverte, en novembre 2024, par le parquet de Marseille. Sous couvert d’anonymat, un confrère qui exerce dans la ville depuis plusieurs années ne cache pas son inquiétude, voyant dans le meurtre de Mehdi Kessaci « une bascule ».
« Ils ont peur, pour eux, pour leurs proches »
Il remarque que nombre de ses sources, « des militants, des travailleurs sociaux », qui jusqu’ici acceptaient d’évoquer le sujet des trafics de drogue, se montrent désormais bien plus silencieux. « Ils ont peur, pour eux, pour leurs proches, leurs proches ont peur pour eux », résume-t-il. « Ça se tend surtout chez ceux qui sont amenés à parler du narcotrafic, chez les élus, les journalistes. Mais on ne sent pas la panique dans la ville. C’est juste que les cibles semblent de plus en plus nombreuses. Ce ne sont plus simplement des groupes de narcos qui s’entretuent. On se demande si, en en parlant, ça pourrait en agacer certains au point d’être victime de ce type de méthode. »
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