Norbert Jorion, Du Nouveau à l’ancien Testament. L’Évangile de Mathieu et les Écritures. Cerf 2025
Ce livre analyse un aspect crucial des contestations judéo-chrétiennes; comment traiter les Écritures ? Comment concevoir les relations entre le corpus global? Doit-on les séparer formellement les unes des autres, comme le recommandait avec insistance Marcion, ce qui lui valut une condamnation sans appel de la part des autorités ecclésiastiques. Marcion jugeait nécessaire d’extirper toute racine juive du sein de l’église catholique. Cette dernière a bien compris qu’on lui demandait d’arracher à tout jamais les racines juives et le judéo-christianisme. Comment faire subsister un organisme religieux, si on le privait de ses racines ? L’église a su déjouer le complot anti-juif conçu par Marcion au IIe siècle de notre ère…
L’auteur de ce sympathique ouvrage plaide lui aussi pour une sorte de solidarité entre les deux Écritures: il recommande de lire les deux Testaments dans une sorte de prolongement naturel, en déployant de gros efforts pour restaurer une harmonie doctrinale entre l’Ancien et le Nouveau… Tout le livre est bâti sur ce théorème : d’où le titre. Il y aurait, selon l’auteur, une dialectique entre le Nouveau et l’Ancien. Les racines qui portent le Nouveau lui sont indispensables, mais comment faire pour que l’église ne vide pas de son contenu toute la législation biblique, neutralisée par une sorte d’allégorèse qui bannit le sens littéral et fait prospérer l’esprit des commandements ?
Il y a autre chose : comment permettre une telle lecture de la Bible hébraïse qui n’irait pas, à plus ou moins longue échéance, vers la relégation des sources juives, bibliques ou postbibliques ?
Ce livre tente de rechercher dans l’Ancien des arguments en faveur de la personne de Jésus. Dans chaque chapitre l’auteur reprend quelques hautes figures de l’Évangile dont il faut les annonciateurs de la venue du Christ d’un point de vue chrétien, cela est parfaitement légitime, mais d’un point de vue juif c’est totalement inacceptable. Et c’est là tout le problème : redorer le blason ce l’Ancien Testament (Bible hébraïque) en lui concédant un rôle éminent est, certes, séduisant mais réduit le vieil écrit hébraïque à une sorte de faire-valoir , un r pôle ancillaire. Souvent, la fameuse phrase de Jésus concernant le sens précis du terme «accomplir» est citée mais on ne comprend toujours pas comment on peut établir une correspondance, un accord entre l’exégèse rabbinique et l’exégèse patristique
En revanche, l’importance accordée à Mathieu ne laisse pas d’être juste. Il se prête mieux à cette exégèse qui veut nous convaincre de la congruence entre une poignée de hautes figures de la Bible hébraïque et la personnalité de Jésus.
L’auteur reprend dans un certain sens les relations spécifiques qui existent, selon lui, entre cet Évangile selon Mathieu et les témoignages de la Bible hébraïque. Mais il utilise constamment les termes d’Ancien Testament et de Nouveau Testament qui n’ont de sens que dans le cadre religieux alors que ses analyses revêtent une certaine approche scientifique ou historique…
L’ouvrage avec toutes ses qualités intrinsèques porte une incontestable imprégnation chrétienne. Ce qui ne me gène guère car il existe une lecture chrétienne, voire christologique de la Bible. Le problème est de déterminer dans quelle mesure une concordance centre l’approche chrétienne ce la Bible et les Évangiles :la thèse de cet ouvrage si stimulant est qu’il importe de ne jamais séparer la partie juive et la partie chrétienne car cela porterait atteinte à l’ensemble des deux livres qu’il nomme l’Ancien et le Nouveau Testament. Il faut les lire ensemble car ils renferment une seule vérité, celle de Jésus, selon l’auteur.
Mais ce livre a aussi une qualité à mes yeux, car il m’a rappelé un livre de Léo Baeck (mort en 1956) qui traite la même question; publié en 1938 dans une Allemagne nazie, il traite lui aussi de ces problématiques sous le titre suivant : L’Évangile en tant que document fondamental de l’histoire religieuse du judaïsme…. Je l’avais traduit en français et publié aux éditions Bayard. A la demande de l’éditeur français, j’ai contracté le titre ainsi, L’Évangile une source juive (Paris, 2002).
Ce livre n’a pas eu le retentissement qu’il aurait mérité, surtout en raison de cet appel au secours que le rabbin Léo Beach lance à l’intention de ses compatriotes allemands partageant la même foi, les mêmes Écritures quoiqu’avec des interprétations différentes. Dans mon introduction à cette traduction de l’allemand, j’ai parlé d’une bouteille à le mer (Flaschenpost) qu’aucune autorité religieuse en Allemagne ne s’est donnée la peine de lire et d’agir en conséquence.
Dans ce livre, Baeck va le plus loin possible dans sa tentative de rapprochement entre les juifs et les chrétiens Il souligne que l’on aurait tort, du côté juif, de réduire l’importance de Jésus dans l’histoire. Il dit même que l’on aurait tort de passer devant Jésus sans s’arrêter (vorbeigehen). En d’autres termes qu’il convient d’y regarder de plus près, non pas pour changer de religion mais pour bien comprendre ce qu’il représente aux yeux de millions d’hommes… Ce livre de Léo Baeck, écrit à la veille de la grande tourmente du judaïsme européen, donc de la Shoah, montre qu’on aurait peut-être pu éviter le pire…
Je cite quelques lignes des concluons de Norbert Jorion dans son beau travail: Dans les pages qui précèdent, j’ai tenté de montrer que Jésus était le cœur de toutes les Écritures. Partant, je soutiens qu’il est dangereux de disjoindre les deux Testaments…
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