Négociations secrètes Syrie USA Israël

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Selon la chaîne israélienne Channel 12, l’État hébreu aurait mené ces derniers jours des « discussions secrètes » avec de hauts responsables du gouvernement syrien concernant la possibilité d’une adhésion de la Syrie aux accords d’Abraham.

Atlantico : Historiquement, la Syrie a été en première ligne du refus de normalisation avec Israël. Qu’est-ce qui pourrait expliquer un tel revirement aujourd’hui ? Une normalisation entre la Syrie et Israël est-elle réellement envisageable ?

Cédric Labrousse : Il faut nuancer ce propos. Il y a toujours eu des lignes de dialogues, jamais officielles et directes, entre Damas et Tel Aviv à l’époque d’Assad. En 2008, donc assez récemment, Bachar al-Assad, alors qu’il entamait un rapprochement avec l’Union Européenne, notamment à l’initiative de la France, avait laissé entendre qu’il visait à établir des relations « normales » avec Israël. C’est dire si le principe d’une normalisation entre les deux pays n’est pas qu’une affaire récente. Le point de blocage du Golan étant davantage idéologique qu’autre chose. Cela fait longtemps que Assad fils en avait fait le deuil. Et le nouveau pouvoir, s’il dénonce aussi, chose logique vos à vis de l’opinion publique syrienne, cette occupation du Golan, sait très bien qu’il ne le reprendra pas de sitôt. Le vrai point de crispation, désormais, repose sur les récentes occupations syriennes en Syrie, notamment le Jabal Hermoun (qui pourra servir dans une négociation future ?).

Une normalisation entre la Syrie et Israël ne sera pas effective à court terme. Mais les éléments se mettent en place pour favoriser la marche vers un tel résultat. Et la politique de Donald Trump dans ‘a région a tout à voir avec cet objectif.

La reconnaissance implicite du nouveau régime syrien par Trump peut-elle être vue comme un levier pour relancer les accords d’Abraham et repositionner la question palestinienne dans l’agenda diplomatique régional ?

Il faut à la fois déconnecter ces deux sujets pour les reconnecter ensuite. La question syrienne est une question bien à part pour Israël. De ses quatre voisins frontaliers étatiques arabes, la Syrie est, avec le Liban, l’un des deux derniers États à ne pas reconnaître l’existence d’Israël. Les administrations américaines ont toujours tenté d’amadouer celui qui fut le lion de Damas, Hafez al-Assad, avec la célèbre entremise de Kissinger. Elles eurent quelques espoirs dans les années 2000 avec le fils. Mais sans que cela n’aboutisse. Avec l’arrivée d’un nouveau pouvoir à Damas, l’administration Trump veut relancer ce principe de normalisation. Avec un pays devenu un des plus pauvres de la région et dont une large partie a été ravagée par la guerre, al-Sharaa est, il faut l’admettre, dans une position plus fragile quant aux exigences des puissances régionales et des États-Unis. L’opportunité, si l’on peut dire, est donc plus ouverte pour obtenir des avancées de sa part. Et si, à moyen-terme, les saoudiens, puissants alliés du nouveau régime syrien, venaient à signer eux même les accords d’Abraham, cela ajouterait au possible alignement syrien.

Pour la question palestinienne, on sent que l’administration Trump veut obtenir à terme une forme d’État, qui ne satisfera guère les palestiniens de plusieurs camps. Car Trump veut toujours que les tensions se calment, partout. C’est mauvais pour les affaires. Sauf les tensions qu’il crée lui-même pour régler les affaires. Il a récemment négocié directement avec les Houthis yéménites, pourtant ennemis acharnés d’Israël, pour obtenir la sécurité du commerce dans la région du Golfe d’Aden. Il veut, à terme, et cela le met en confrontation, certes jamais directement, avec l’agenda politique de Netanyahou, qui se révèle, lui, un élément de blocage qui persiste dans un règlement potentiel…

Tout cela prépare-t-il la voie à un deal entre l’Occident, la Ligue arabe et Israël, articulé autour de la relance des accords d’Abraham et d’une éventuelle reconnaissance d’un État palestinien ?

Il est évident que tout ce grand chambardement géopolitique et diplomatique pose les bases d’un vaste accord régional. C’est l’objectif des États-Unis depuis des décennies. En ayant brisé l’arc iranien, le plus hostile à Israël, Tel Aviv et Washington ont mis les pays arabes devant le fait accompli : le dernier grand adversaire a été mis K.O. et ses groupes armés alliés ont vu leurs têtes éliminées.

Quand on regarde le panorama des soutiens au nouveau régime syrien, il faut signaler que les pays ayant normalisé avec Israël ou imaginant le faire sont nombreux. La Turquie reconnaît Israël depuis quasiment sa proclamation. Les Emirats Arabes Unis, qui se sont rapprochés d’al-Sharaa, ont signé les accords d’Abraham. L’Arabie Saoudite était sur le point de le faire en 2023. Et en 2024, son représentant au Royaume-Uni a laissé entendre que le sujet est sur la table, malgré Gaza. Al-Sharaa se voit graisser la planche si je puis dire. Mais tous ces pays disent conserver leur exigence commune de voir naître un État palestinien. 

De nouveau, le principal obstacle à une avancée plus sérieuse, c’est Benjamin Netanyahou. Ses refus obstinés, son acharnement dans sa politique sur Gaza, quand bien même s’il est désavoué par une minorité de l’opinion publique israélienne. Donald Trump n’hésite plus à faire sans lui : la négociation pour un otage israelo-américain détenu par le Hamas s’est faite sans l’entremise d’Israël…Sauf que dans la réalité la pression militaire israélienne est la cause réelle de cette libération.

Quelles sont selon-vous les conséquences immédiates sur l’équilibre des forces au Moyen-Orient et de ce réchauffement entre les Etats-Unis et la Syrie ?

La conséquence première,  outre la perspective d’une relance économique syrienne qui va favoriser des dynamiques économiques régionales, consiste à détacher la Syrie de l’Iran, et lui bloquer la route vers le Liban. La Syrie est un pays carrefour. Carrefour entre le monde turc et le monde arabe. Carrefour entre le monde arabe et, par delà la Méditerranée, l’Europe. De nombreux projets vont être relancés ou lancés, passant par la Syrie. Gazoducs, oléoducs, voies de transports (ferroviaire, routier…). Et l’on sent les puissances régionales et les États-Unis, mais aussi des pays européens, soucieux d’être engagés dans cette reconstruction.

La normalisation entre Damas et Washington envoie aussi un message à l’État hébreu. Tout en voulant favoriser à terme une normalisation avec Israël, les États-Unis rappellent aussi qu’Israël va devoir aussi faire des compromis. Rappelons que le gouvernement actuel à Tel Aviv dénonce le nouveau pouvoir syrien comme terroriste (tout en recevant une de ses délégations en coulisses comme récemment révélé par Haaretz). Et voilà que même Trump serré la main du dirigeant voisin. Pour Benjamin Netanyahou, c’est encore un désaveu contourné et indirect du moins cela apparît comme tel. Mais rien n’indique qu’il n’y ait pas un jeu de rôles dans cette affaire.

Quels types de rééquilibrages régionaux ou de recompositions stratégiques pourrait entraîner une éventuelle adhésion de la Syrie aux accords d’Abraham ?

L’on pourrait assister à un rôle encore plus important des pays du Golfe au Levant. S’ils sont déjà bien implantés au Liban (l’Arabie Saoudite y est influente, notamment avec ses alliés sunnites) ou encore dans les territoires palestiniens (le Qatar finance l’administration qui gouverne Gaza), ils vont pouvoir avancer davantage de pions. Leurs investissements, diplomatiques comme financiers, publics comme privés, en Syrie, va consolider leur présence dans la région. 

Pour les États-Unis, c’est aussi la confirmation du renforcement d’un glacis militaire et sécuritaire autour de l’Iran, afin de maintenir la pression sur ce pays, et notamment sa politique régionale tout autant que sur son programme nucléaire. L’effondrement du régime syrien a mis fin au pont de liaison direct territorial entre l’Iran et ses alliés au Levant (comme le Hezbollah). La normalisation avec Damas est aussi un message envoyé à Téhéran dans ce vaste jeu d’échecs : nous avons fait tomber une de vos pièces maîtresses.

Pour Israël, enfin, les normalisations lui sont favorables car la liste d’adversaires, même indirects, diminue peu à peu. Et c’est toujours une bonne chose quand vos ennemis potentiels sont moins nombreux.

NDLR – La plupart des commentateurs semblent manquer de recul avec Trump. Ils ont déclaré qu’il avait lâché Zelenski, il n’en est rien. Que Trump ruine l’économie américaine ! C’est le contraire qui se produit. Tous les pays ont négocié avec lui, ou sont en train de le faire sur les droits de douane. Il vient de ramasser un pactole de plusieurs milliers de milliards de dollars au Moyen-Orient, résorbant ainsi une part non négligeable de son déficit. Ces commentaires sont le produit de l’idéologie, et non d’un raisonnement rationnel. Beaucoup se précipitent à conclure des divergences entre Trump et Netanyahu sans en réalité savoir que tout cela est planifié, même  les apparentes contradictions. Il faut savoir attendre avec Trump, car il a déjà préparé les coups qui suivent et n’a pas peur d’apparaître se contredire.

Atlantico

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