Dans le torrent d’actualités charrié chaque jour, l’information risque de passer inaperçue. Elle est pourtant cruciale. Sauf surprise de dernière minute, Benjamin Netanyahou comparaîtra à la barre de son procès pour corruption, fraude et abus de confiance à partir du 10 décembre. Son témoignage devrait s’étendre sur plus de deux mois, à raison de trois audiences par semaine.
Dans un monde parallèle où le 7 octobre n’aurait pas eu lieu, cette échéance aurait été un tremblement de terre. Netanyahou n’est pas le premier Premier ministre israélien à être poursuivi par la justice de son pays. Mais il est le premier à avoir regardé ses juges droit dans les yeux et continué à exercer ses fonctions, dans la plus parfaite légalité et au nom de la présomption d’innocence, qu’il a entièrement le droit de revendiquer.
Sa détermination, inédite, a néanmoins fait sauter plusieurs tabous traditionnels en politique : celui de se représenter aux urnes tout en étant embourbé dans des affaires, puis celui de former un gouvernement en étant officiellement inculpé et en cours de jugement. Tout ceci aurait été moins pénible si la justice israélienne n’était pas par ailleurs d’une lenteur effarante. Jugez plutôt : le procès pour les trois affaires (1000, 2000 et 4000) a démarré au printemps 2020 et ne fait comparaître qu’à présent, quatre ans et demi plus tard, son accusé principal. On estime qu’un verdict final ne sera pas rendu avant au moins trois ans.
Les cyniques diront que la situation profite à Bibi, qui s’est représenté aux urnes deux fois depuis le début des audiences. C’est possible. Ses démêlés avec la justice auront néanmoins causé tant de tort au pays qu’on aurait aimé qu’une exception soit faite, et les procédures accélérées. Imaginez un monde où un verdict aurait été rendu dès 2021, quel qu’il soit. Assaini, le système politique aurait été libre de s’occuper d’autre chose. Et qui sait, voir poindre la catastrophe du 7 octobre…On peut toujours rêver.
Une situation ubuesque.
Dans le monde réel, rien de tout cela ne s’est produit. Qui plus est, les protagonistes se sont révélés singulièrement naïfs – faisant signer au Premier ministre un simple accord de non-conflits d’intérêt, et que vogue la galère. Pouvait-on vraiment imaginer que Netanyahou passe sept ans au pouvoir sans toucher à un seul dossier judiciaire? Peut-être. Mais le plus ubuesque dans tout cela, c’est que personne n’ait anticipé que l’État hébreu puisse être en guerre, une fois l’échéance du témoignage arrivée. Or, nous y sommes. Pendant plus de dix semaines, Netanyahou devra s’enfermer dans une salle d’audience trois fois par semaine, des heures durant. C’est sans compter les longs moments de préparation qu’il devra passer, comme tout accusé, avec son équipe de défense. Peut-on imaginer une plus grande calamité dans le contexte actuel? Un double enjeu sécuritaire d’abord : qui prendra les décisions opérationnelles pendant que Bibi sera à la barre? Et comment s’assurer de la sécurité du Premier ministre lui-même alors que son emploi du temps et sa localisation exacte seront connus de tous durant ces deux mois? Quels monumentaux moyens devront être déployés, alors qu’un drone libanais a réussi à toucher sa résidence secondaire il y a quelques semaines à peine? Et puis, surtout, alors qu’Israël ploie sous le coup d’une guerre de désinformation toujours plus nocive, et que l’Etat hébreu doit se montrer intraitable face à ses ennemis – quel terrible impact médiatique que les images de son dirigeant dans le box des accusés?
Nommer un suppléant.
Pour toutes ces raisons, d’aucuns jugeaient indispensable de repousser l’audience. Le parquet a refusé la demande, et l’atmosphère politique dans le pays aurait de toute façon rendu la chose fort peu praticable. Mais il existe un autre moyen, et il est parfaitement légal et plausible: le Likoud peut nommer un suppléant à Netanyahou le temps de livrer sa version des faits.
Que ce soit via une consultation éclaire ou simplement dans le cadre de la liste parlementaire existante (Yariv Levin est aujourd’hui numéro 2 du parti). C’est peut-être le moment de le rappeler : Israël est une démocratie parlementaire, et ses citoyens élisent des listes électorales, et non des candidats au suffrage direct. Son caractère dominant le ferait facilement oublier, mais Netanyahou doit ses fonctions à son parti et non l’inverse, et ce parti peut lui demander de se mettre à l’écart.
Les amateurs d’Histoire savent d’ailleurs que ce modèle politique est hérité des Britanniques qui ne se sont pas privés, eux, de répudier leurs chefs de partis à plusieurs reprises, sans passer par des élections générales. Exemple proéminent en date : le populaire Boris Johnson, contraint à la démission par ses camarades Tories après le scandale des soirées à Downing Street pendant l’épidémie du Covid.
Un signal parlementaire fort
On n’en demande pas tant à Netanyahou, maintes fois plébiscité par les urnes. Mais l’intérêt national implique un retrait temporaire. C’est l’occasion pour le Likoud de se ressaisir et de se montrer à la hauteur du grand mouvement de droite libérale qu’il a longtemps été. Au-delà de toutes les considérations déjà mentionnées, cette décision serait également un signal fort au nom de la Knesset. Celui d’une vigueur parlementaire retrouvée après des années de faiblesse et d’impotence. Et l’occasion de rappeler à la communauté internationale que la guerre n’est pas celle d’un seul homme, mais est bien menée de façon collégiale, pour le peuple et par le peuple. Car c’est bien la leçon retenue par les Israéliens depuis que le ciel leur est tombé sur la tête, même si la vieille garde politique ne le sait pas encore. Ils sont désormais seuls maîtres de leur destin. C’est le peuple qui s’est battu le 7 octobre et c’est le peuple qui continuera de se battre en 2025 et au-delà. Avec ou sans Netanyahou.
La source de cet article se trouve sur ce site