Désormais, disiz souhaite que son pseudonyme s’écrive intégralement en minuscules. Nulle coquetterie typographique là-dedans : il s’inspire de la démarche de l’intellectuelle féministe états-unienne bell hooks qui refusait les majuscules pour s’effacer symboliquement et faire ainsi passer ses textes et idées au premier plan.
« Ce qui est important pour moi dans ce projet, c’est d’être au second plan et de mettre en avant le fait qu’il est une œuvre collective, conçue avec mon entourage et les musiciens, et souligner cet esprit de groupe. » Ainsi disiz nous parle-t-il de son nouvel (et quatorzième) album, on s’en rappellera pas, qui s’est classé à la deuxième place des ventes dès la semaine de sa sortie fin novembre. Un disque très réussi, traversé par le spleen (Baudelaire, confie-t-il, est l’une des plumes qui stimule le plus le grand lecteur qu’il est).
L’artiste, qui a commencé par le rap en 2000, poursuit son incursion sur des sentiers pop et variété entamée avec L’Amour, son précédent opus, paru en 2022 et certifié disque d’or. On y entend aussi des sonorités shoegaze ou electro. L’ensemble ne souffre pas de cette dispersion et trouve même une cohérence dans ces contrastes mélodiques. Autre paradoxe : alors que l’album est travaillé par la mémoire faillible et l’évanescence, nombre de morceaux, qui imprègnent instantanément et durablement l’esprit, semblent loin d’être condamnés à l’oubli.
Le titre de l’album est aussi celui d’un des morceaux qui y figure. La chanson « on s’en rappellera pas » est la clé pour comprendre le disque ?
Exactement. Si je devais définir une thématique principale, ce serait le rapport au temps. J’ai vingt-cinq ans de carrière, j’ai eu un premier succès à 19 ans [J’pète les plombs], quelques autres par la suite et là, ces quatre dernières années, j’ai eu de francs succès. Ce disque parle de ça, de l’intensité de toutes ces années, de ma trajectoire, mais aussi de celui de ma mère, et également de nous, de l’humanité…
C’est-à-dire ?
Je suis né en 1978, j’ai 47 ans, j’observe la société. Le changement du monde, je l’ai vécu. Je suis d’une génération qui sait ce que c’est de grandir sans les téléphones portables. Aujourd’hui, ils sont partout, au restaurant, aux repas de famille, tout le monde a le nez dessus. C’est un discours de boomer, mais j’ai l’âge. Je vois ce que l’humanité perd, et peut-être pas ce qu’elle gagne. Le rapport à la mémoire aussi a changé. Quand j’étais au collège, au lycée, on étudiait les atrocités de la Seconde Guerre mondiale, donc je suis au courant de ce que l’humanité, dans ses plus abyssales profondeurs, a pu faire. Jamais je n’aurais pensé qu’à mon âge, je vivrais à une époque où l’humanité retomberait dans ces travers et ferait que certaines parties du monde sont à feu et à sang. « On s’en rappellera pas », c’est aussi une manière de dire qu’on ne se rappelle pas des leçons de l’histoire.
D’où un désarroi ?
C’est plus qu’un désarroi, c’est une déchéance. Ce n’est plus le même paradigme. Et ça m’impacte. Le disque est pétri de la violence que j’ai vécue venant du milieu d’où je viens, mais aussi plus largement celle de la guerre, des rapports de prédation, de domination, et les échappatoires que sont l’ivresse ou l’anesthésie dans le consumérisme, par exemple.
Vous vous sentez une responsabilité ? Celle de porter certains propos au détour d’un texte ? Par exemple en évoquant Adama Traoré dans le vers d’une chanson…
Quand j’étais plus jeune et que je rappais, il y avait ce souci un peu parfois caricatural de « représenter », mais je ne suis le porte-voix de personne. Je suis papa, je m’occupe de ma famille. A côté de ça, je suis en alerte, je suis sensible. Dans mon art, je ne transige pas avec les choses qui me traversent et ce n’est pas pour me défausser que je ne veux pas en parler en dehors. C’est juste que, participer au brouhaha, j’ai passé l’âge. Mon combat, dans cette période de montée des tensions, c’est d’être dans la douceur, la bienveillance, le respect, les Bisounours. Je pense que c’est le choix le plus courageux.
Avez-vous une méthode de création précise ?
Ma démarche pour concevoir ma musique est méticuleuse. C’est comme en peinture : j’ai une base, un croquis, il y a un bout de rythmique qui me plaît ou quelques accords posés, et ça me suffit à écrire une chanson. Après, je demande l’avis de plusieurs personnes, je propose telle rythmique, tels accords. Cela fait comme plusieurs couches, j’ai peut-être soixante ou soixante-dix pistes. Ensuite, avec mes comparses, j’entre dans le détail, je choisis, j’enlève, je trouve, j’arrange, c’est un travail d’orfèvre.
Sur l’album, vous avez invité Kid Cudi, Théodora, Iliona, ou Prinzly pour des feats. Le duo avec Laurent Voulzy sur la chanson « surfeur », est en revanche une collaboration plutôt inattendue…
C’était un de mes rêves de faire un duo avec lui. Dans ma mémoire musicale, il a une province à lui. En écoutant Cœur grenadine, Belle-Île-en-Mer, Marie-Galante ou Mes nuits avec Kim Wilde… je convoque une esthétique, des sensations, c’est comme enfiler des chaussons. Ces chansons passaient à la radio quand j’étais enfant… Laurent Voulzy est doux. Il est comme un repère. Il est métis comme moi. C’est pour ça que je suis allé le chercher.
Cette chanson, est une sorte de conte moral. C’est l’histoire d’un homme qui se met au surf pour séduire une femme qui ne s’intéresse qu’aux surfeurs. Puis elle s’éprend d’un maître nageur et le malheureux se console en se disant qu’au moins, maintenant, il sait surfer. C’est peut-être le morceau le plus léger de l’album…
Cette chanson arrive sur l’album juste après paroboy dans laquelle je chante « Tu pleures sur Laurent Voulzy » alors que j’évoque mon adolescence dans les quartiers à Évry, un quotidien et un environnement parfois anxiogènes. Puis je parle d’une fille rencontrée en vacances, qui est issue d’un autre milieu social que moi et qu’en quelque sorte je m’interdisais d’aimer. Ensuite, surfeur parle de la même époque. C’est une métaphore de la France, d’une société et d’un pays auxquels tu essayes de plaire. Et tu as beau opérer des changements, entrer dans les conventions, dans tous les cas, on te rejette parce que tu ne corresponds pas à ce qu’on attend de toi, physiquement ou par rapport au milieu d’où tu viens. Je comprends qu’on puisse aborder cette chanson du côté léger. Cependant, la chanter avec Laurent Voulzy, métis qui lui aussi a connu le racisme, ça faisait sens.
La source de cet article se trouve sur ce site

