C’est un phénomène que les enquêteurs de la police judiciaire observent avec inquiétude. Depuis quatre ans, les policiers constatent une hausse importante du nombre de « narchomicides ». « Plus de 90 % des affaires d’assassinats ou de tentatives d’assassinat s’expliquent par les contentieux entre trafiquants de stupéfiants », explique à 20 Minutes Yann Sourisseau, le chef de l’Office central de lutte contre le crime organisé (Oclco).
Dans cette guerre entre réseaux concurrents, 42 personnes ont été tuées depuis le début de l’année en France. Un chiffre en baisse, comparé aux six premiers mois de 2023, qui était une année « particulièrement criminogène ». Mais en augmentation de 22 % par rapport à l’année 2022 et de 32 % par rapport à l’année 2021. Les victimes ont en moyenne 25 ans, les auteurs 24.
Les policiers ont remarqué, depuis quelques années, un changement de méthode. « Auparavant, les auteurs étaient la plupart du temps les trafiquants de stupéfiants eux-mêmes. Aujourd’hui, ces derniers sous-traitent de plus en plus cette tâche à des équipes de jeunes tueurs à gages. Il s’agit de jeunes de moins de 25 ans, de délinquants de droit commun, qui n’ont jamais été suspectés d’avoir commis des faits en bande organisée. Ils sont recrutés par un commanditaire qu’ils ne connaissent pas, uniquement pour enlever, séquestrer, ou tuer des victimes qu’ils ne connaissent pas non plus », constate Yann Sourisseau.
« Ils exploitent les vulnérabilités des plus jeunes »
Ils agissent, détaille-t-il, « en petits groupes de trois à six personnes, sont très mobiles ». « Motivés par l’appât du gain, ils sont capables d’agir partout en France et à l’étranger. Le commanditaire leur fournit, via des intermédiaires, la logistique nécessaire : un logement « conspiratif », des armes, un véhicule… Ce sont des jeunes complètement déshumanisés, qui n’ont aucune empathie, qui n’ont plus de repères. Ce sont des malfaiteurs dangereux, capables de récidiver à de multiples reprises. »
Qui sont-ils, ces ados engagés comme tueurs à gages ? Philippe Pujol les connaît bien. Le journaliste, qui a longtemps travaillé à La Marseillaise, a consacré plusieurs livres au trafic de drogue qui gangrène les quartiers de la cité phocéenne. Un travail minutieux et documenté, récompensé par le prestigieux prix Albert Londres en 2014. Son dernier ouvrage, Cramés, les enfants du monstre*, raconte le destin de ces jeunes broyés par les réseaux qui exploitent leurs « vulnérabilités ».
« Entre 2010 et 2015 », les chefs ont commencé à « déléguer » certaines tâches, celles où « on prend le plus de risques comme la vente sur le point de deal », aux « petits ». « Le but du jeu, c’est qu’une seule personne en prenne le plus possible. C’est ultra-capitaliste comme façon de faire. C’est également de payer le moins possible celui qui est en dessous et de faire en sorte qu’il ne devienne pas demain ton concurrent. Pour cela, ils exploitent les vulnérabilités des plus jeunes. »
152 victimes de moins de 20 ans
Les têtes de réseaux vont profiter de « l’appétence pour la violence » de ces adolescents à la santé mentale fragile, l’attiser en leur donnant de la coke, les « valoriser » lorsqu’ils commettent certaines choses pour eux. Et faire de certains des « bébés tueurs ». « Ils vont transformer des petites névroses en pathologie », souligne Philippe Pujol. Surtout, ces jeunes, qui rêvent de fortune qu’ils ne toucheront jamais, vont très vite se retrouver sous l’emprise de ces chefs qui les paient au début et leur fournissent de la drogue. « Ils se retrouvent avec des dettes et beaucoup deviennent des esclaves. Certains vont devenir des bourreaux. S’ils tombent sur un dingo, ils vont lui faire croire qu’ils lui donneront 50.000 euros pour commettre un assassinat, mais ils savent que le minot se fera choper. L’avantage pour les dealers d’avoir ces jeunes-là, c’est qu’ils se font attraper ou tuer très vite, et ils sont très vite hors circuit. Ce n’est pas du banditisme organisé, c’est quelque chose de totalement chaotique. »
En 2023, 152 victimes recensées par la police avaient moins de 20 ans. Le chef de l’Oclco assure néanmoins que le travail d’enquête permettant de « démanteler des réseaux » a des « effets » sur le nombre de règlements de compte. L’an passé, 241 personnes ont été mises en cause et écrouées. Parmi elles, seize mineurs de moins de 15 ans, quatre de moins de 16 ans et neuf de moins de 17 ans. « Le renseignement est primordial, souligne Yann Sourisseau. Il faut savoir contre qui nous luttons, connaître les malfaiteurs, leurs projets, leurs contentieux, leurs moyens d’action. Tout cela nous permet de les surveiller plus efficacement et de les interpeller, avant qu’ils passent à l’acte ou juste après. La police judiciaire mobilise énormément de moyens pour être le plus efficace possible. »
*« Cramés, les enfants du monstre », de Philippe Pujol, éditions Julliard, paru le 5 septembre 2024, 224 pages, 19,90 euros.
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