C’était noté : après deux années à nous rouler dessus niveau pouvoir d’achat et ticket de caisse, l’inflation allait enfin se calmer en 2024. Mais ça, c’était sans compter sur « l’effet papillon » le moins attendu de cette fin d’année. Des actes de pirateries en mer Rouge.
Venus du Yémen, les rebelles Houthis disent agir en représailles aux bombardements menés à Gaza. Ils visent tout navire « ayant des liens avec Israël ». Et par « liens avec Israël », les rebelles brassent large. Il ne suffit pas qu’un bateau en vienne ou s’y rende. Tout navire d’une Nation ayant des lieux avec l’Etat hébreu – ou faisant des affaires avec – est considéré comme une cible. Il ne fait donc pas bon de naviguer en mer Rouge par les temps qui courent.
12 % du trafic maritime mondial
Face à cette menace, de nombreux navires décident de ne plus emprunter ces flots. Ces derniers jours, quatre des cinq plus grandes compagnies maritimes au monde – CMA CGM, Maersk, MSC et Hapag-Lloyd –, ainsi que le pétrolier britannique BP, ont annoncé ne plus emprunter le détroit de Bab Al-Mandab.
Large de seulement 27 kilomètres – ce qui rend les navires facilement interceptables –, ce détroit permet d’entrer dans la mer Rouge depuis le golfe d’Aden, puis de franchir le canal de Suez et d’arriver en Méditerranée, vers les ports européens et d’Afrique du nord. « C’est donc un lieu de trafic maritime extrêmement important, puisqu’il relie l’Europe et l’Afrique de l’Ouest à l’Asie », note Sébastien Jean, économiste spécialiste du commerce international et directeur de recherche à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae). Environ 12 % du trafic maritime international transite quotidiennement par le canal de Suez, qui ne mène quasiment à rien si le détroit de Bab Al-Mandab est bloqué de l’autre côté.
L’énergie également impactée
A ces échanges commerciaux Asie-Europe s’ajoute un troisième pôle, et non des moindres : le Moyen-Orient, son pétrole et son gaz. La mer Rouge longe l’Arabie saoudite, qui possède les deuxièmes plus grosses réserves mondiales d’or noir. Elle reste également un formidable raccourci européen pour le Qatar et son gaz, précise Benjamin Poba, économiste spécialiste de l’énergie. « Huit millions de barils de pétrole circulent chaque jour sur la mer Rouge, développe l’expert, ainsi que plus de 5 % des cargaisons mondiales de gaz naturel liquéfié. »
Et pour contourner la Mer Rouge et rejoindre l’Europe et/ou l’Asie, la solution « alternative » est de longer toutes les côtes africaines par le Cap de Bonne-Espérance. Ce qui est beaucoup, beaucoup plus long. « Cela peut prendre d’une à deux semaines de navigation supplémentaires », indique Sébastien Jean. En plus de désorganiser les flux maritimes, ce temps perdu n’est évidemment pas sans conséquence sur les coûts : plus de carburant, plus de salaires de personnel… Et donc, in fine, des prix plus élevés une fois arrivée à destination. Tous les produits venant d’Asie sont impactés : vêtements, matières premières comme le fer, et objets du quotidien fabriqués là-bas, comme les jouets (mais pas de panique, ceux de Noël sont déjà arrivés depuis longtemps).
2021 en pire
C’est particulièrement le cas pour l’Europe, l’Afrique occidentale, le Moyen-Orient et l’Inde. « Ce sont les pays qui bénéficient le plus d’habitude de la mer Rouge, car les plus proches géographiquement du canal de Suez ou du détroit de Bab Al-Mandab. Pour la Chine, cela impacte un peu moins les prix, parce que le différentiel entre passer par la mer Rouge ou par le Cap de Bonne-Espérance est moins grand », poursuit Sébastien Jean. Depuis le début des raids engagés par les Houthis, le prix du baril de Brent a augmenté de 7 % et dépassé le cap symbolique des 80 dollars.
Ce scénario rappelle peut-être quelque chose au plus fans d’actu d’entre vous. Entre le 23 et le 29 mars 2021, un porte-conteneurs échoué avait bloqué le canal de Suez. Au moment de la réouverture du passage, 425 navires étaient en attente. La revue spécialisée Lloyd’s List avait alors calculé que chaque jour passé à libérer le passage perturbait la circulation de 9 milliards de dollars de marchandises supplémentaires.
Mais ce qui se passe actuellement pourrait devenir pire. « Le navire échoué était certes un gros problème, mais un problème dont on savait qu’il serait réglé en quelques jours. Là, la situation pourrait durer plusieurs mois, il n’y a pas de fin définie, ce qui aurait beaucoup plus d’impact sur le trafic mondial », craint Sébastien Jean. Idem pour le pétrole et l’énergie. « En 2021, vu que l’incident était de courte durée, les pays avaient puisé dans leur réserve et les prix du cours du baril n’avaient pas été trop impactés », relaie Benjamin Poba. Pour ne pas perdre trop de temps, les Etats-Unis ont annoncé une coalition de 10 pays, dont la France, pour calmer les velléités Houthis. Mais dans combien de temps y parviendront-ils ? Allez, bonne année 2024 quand même.
La source de cet article se trouve sur ce site