Marine Le Pen : la justice va-t-elle faire l’erreur de trop ?

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Mardi soir, dans les salons cossus du Westin Paris Vendôme, face au jardin des Tuileries, marbre, dorures et tenues de soirée pour un cocktail mondain autour de Jordan Bardella. La figure montante d’un RN devenu respectable et puissant, classe et chic, à l’image de la couverture de son livre Ce que je cherche (Fayard), savoure son moment. Toute la crème du parti s’est déplacée en grand habit. Marine Le Pen bien sûr, mais aussi Éric Ciotti, venu honorer le président du mouvement auquel il s’est allié en quittant les rangs des Républicains. Les politiques se mêlent aux journalistes, à quelques sympathisants invités et à quelques « amis proches » de Bardella. Champagne, petits fours, le cocktail s’étire dans la soirée.

Certains invités, plus habitués à fréquenter le Palais de justice ces dernières semaines que les salons d’un palace, en profitent pour relâcher la pression accumulée alors que le réquisitoire est prévu pour le lendemain. « Prépare-toi pour la prison ! » plaisante l’un d’eux. Tous ont en tête les peines encourues pour les prévenus et les conséquences, notamment financières, que le procès pourrait entraîner pour le parti.

Les convives font silence lorsque le président du RN s’avance sur l’estrade pour un bref discours, devant trois immenses photos noir et blanc reproduisant son portrait en couverture du livre. L’auteur se félicite de son succès : « Rien que dimanche soir, nous avons écoulé 25 000 exemplaires », lance-t-il, d’une voix assurée. Quelques jours avant la sortie, il confiait à ses proches l’angoisse de l’auteur délaissé par l’indifférence du public. Au premier rang, Marine Le Pen, l’encourage, souriante, ne laissant rien paraître de l’attente inquiète du réquisitoire qui s’abattra sur elle le lendemain.

Un réquisitoire inédit

Tôt ce mercredi matin, Marine Le Pen retrouve les lumières agressives, tranchantes, du palais de justice, froid et minéral. Les huissiers austères succèdent aux portiers en livrée du Westin. Moins engageants… Les mines sont tendues, les plaisantins du soir ont recouvré un air sévère, fermé. Marine Le Pen se présente, encadrée de Bruno Bilde et Sébastien Chenu, deux de ses députés les plus fidèles. Au triomphe festif de la veille, succède la tragédie judiciaire. La pièce s’annonce saignante.

Vers 20 heures, le prononcé du réquisitoire s’abat avec une violence quasi-sismique. Le parquet frappe avec la plus grande sévérité : cinq ans de prison contre Marine Le Pen, dont deux fermes aménageables, cinq ans d’inéligibilité assortie d’une exécution provisoire. En clair, les procureurs demandent, en cas de peine d’inéligibilité, que l’appel ne soit pas suspensif, ce qui reviendrait à empêcher Marine Le Pen de se présenter à la présidentielle en 2027. Une mesure inédite dans l’histoire judiciaire récente.

En moins de 24 heures, le Rassemblement national est passé de la confiance tranquille à la colère revancharde. Devant les caméras, Marine Le Pen apparaît sonnée après des réquisitions qui pourraient sonner la fin de sa carrière politique, même en cas d’appel. Une perspective inimaginable pour celle qui, à l’approche de sa quatrième tentative, n’a jamais paru aussi proche d’emporter l’Élysée. La veille encore pourtant, lors de la soirée de lancement du livre de Bardella, interrogée sur les accusations portées contre elle au tribunal, Le Pen affichait une insolente sérénité : « L’accusation accuse, ça ne me fera pas tomber de ma chaise. » Mercredi soir, devant les juges, la chaise a sans doute un peu vacillé.

Dans cette soudaine « morositude », une épreuve personnelle vient s’ajouter à l’éreintante réquisition. Son père, Jean-Marie Le Pen, patriarche historique du FN, 96 ans, a été hospitalisé d’urgence pour des examens consécutifs à « un état de faiblesse ». La nuit de jeudi à vendredi, Marine Le Pen la passe au chevet de son père, gérant les tourments familiaux et, à distance, les secousses telluriques du séisme judiciaire. Son père, lui aussi impliqué dans l’affaire des assistants parlementaires, n’était d’ailleurs pas en état de se présenter au tribunal. Touchée sur deux fronts – personnel et politique – Marine Le Pen s’attelle à préparer la riposte. Pour la première fois de sa longue carrière politique, l’impression de contrôle et de résilience qu’elle affecte dans les épreuves semble soudain fragilisée. Le parti tout entier est en état de choc, voyant son avenir politique menacé par des réquisitions d’une sévérité inédite.

Plaidoiries de la défense ce lundi

L’heure n’est pas tant à la mise en œuvre d’une stratégie, qu’à la survie. En attendant les plaidoiries de la défense ce lundi, le parti lance la contre-offensive politique, cherche à galvaniser ses soutiens. Par une mobilisation massive sur les réseaux sociaux, notamment sur X. Militants, cadres, élus – tous sont invités à poster une photo aux côtés de Marine Le Pen avec le hashtag #JeSoutiensMarine. Une pétition de soutien engrange les signatures sous le slogan « Soutenez Marine ! Défendez la démocratie. »

Prudente depuis l’entame du procès sur sa stratégie médiatique, Marine Le Pen décide de s’exposer en première ligne. Elle est la cible. Elle sera le bras vengeur. Après avoir sonné la charge de la brigade légère des élus, sous la bannière « des réquisitions quasi-fanatiques », accueilli le renfort de quelques soutiens parfois inattendus – ceux de Gérald Darmanin, Christian Estrosi ou encore Jean-Luc Mélenchon – elle sort la sulfateuse. Sur le plateau du 20 Heures de TF1 le discours est ciselé, frontal, calibré pour imprégner les esprits : « Ce réquisitoire est révoltant. Il est profondément outrancier. »

Marine Le Pen accuse frontalement les magistrats du parquet de vouloir la sortir de l’arène, sans la laisser combattre, à la loyale : « Ce n’est pas seulement une condamnation qu’on réclame, c’est ma mort politique, avec exécution provisoire. » Pas de place pour la retenue, Le Pen joue la victimisation et dénonce une justice partisane, politique, antidémocratique.

Loin du fracas politico-médiatique dans lequel « celle à qui il doit tout se débat », Jordan Bardella sillonne le sud de la France avec son livre en bandoulière, tout à sa campagne de promotion. De Toulon, chez son amie députée Laure Lavalette, à Nice, chez son soutien Éric Ciotti, il vend ses livres et soigne son image, épargné par le cyclone judiciaire qui risque d’emporter sa patronne.

La pudeur empêche la plupart de ceux qu’il rencontre de l’interroger à haute voix, mais la question affleure, mécaniquement, intuitivement : Jordan Bardella est-il prêt pour 2027 ? « Impossible », balaie-t-on dans l’entourage de la cheffe. « Impossible », peut-être, mais pas impensable. Il faudra bien l’envisager si au printemps prochain, le tribunal, dans son verdict suit les réquisitions du parquet, et change en un instant, le destin d’un parti et d’une femme et d’un homme.

JForum.fr et le JDD

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