Lors du tournage éprouvant de La Liste de Schindler (1993), Steven Spielberg terminait souvent ses journées dans un lourd silence, écrasé par le poids des réalités de l’Holocauste qu’il portait à l’écran. Les images en noir et blanc, les interprétations bouleversantes, et la responsabilité historique l’avaient vidé, profondément affecté.
C’est alors que Robin Williams devint une présence quotidienne dans sa vie. Presque chaque soir, le téléphone sonnait, et à l’autre bout de la ligne jaillissait la voix inimitable de Robin, lançant un flot de blagues, de voix farfelues ou d’improvisations délirantes. Ces appels n’étaient jamais programmés. Ils arrivaient quand Robin pressentait que Spielberg était au plus bas, comme guidé par un instinct invisible. En quelques minutes, le cinéaste passait de l’état accablant d’avoir filmé la tragédie à des éclats de rire si intenses qu’il en perdait presque haleine.
Spielberg confia un jour que ces appels n’étaient pas de simples divertissements. C’étaient de véritables actes de sauvetage émotionnel. L’intensité du tournage en Pologne, au milieu des lieux marqués par les atrocités, l’avait plongé dans une obscurité intérieure. L’humour de Robin l’en arrachait, le ramenait à la surface. Tantôt par une imitation loufoque, tantôt par une absurdité si déconcertante qu’elle dissipait la brume de la douleur. Le temps de quelques instants, Spielberg pouvait respirer de nouveau.
Leur amitié remontait déjà à plusieurs années au début des années 1990, nourrie par un respect mutuel et une conscience partagée du besoin vital de joie. Robin, célèbre pour son esprit fulgurant dans Good Morning, Vietnam (1987) et Aladdin (1992), possédait aussi une profonde sensibilité face à la fragilité humaine. Il savait que le fardeau de Spielberg en tournant La Liste de Schindler n’était pas seulement artistique : il était personnel, moral.
Spielberg décrivit ces moments comme une véritable bouée de sauvetage. Après des heures passées à reconstituer la souffrance, Robin lui rappelait que le monde recelait encore absurdité, chaleur et légèreté. Sans éluder totalement le sujet du film, il refusait que la conversation s’enlise dans la douleur. À la place, il ouvrait une échappée, utilisant le rire pour instaurer assez de distance et permettre à Spielberg de reprendre son œuvre avec une énergie renouvelée.
Parfois, même l’équipe de tournage remarquait la différence. Le lendemain d’un appel, Spielberg arrivait sur le plateau avec une expression plus légère, une étincelle retrouvée après des séquences particulièrement éprouvantes. Ceux qui l’entouraient pouvaient constater l’effet salvateur de l’humour, manié avec compassion, comme une nourriture indispensable.
Des années plus tard, Spielberg évoqua une soirée particulièrement difficile, après une scène insoutenable. Le téléphone sonna, comme toujours, sans prévenir. Robin se lança alors dans un sketch délirant : deux éléphants de cirque mal assortis tentant de monter un orchestre de jazz, avec bruitages de trompette et querelles inventées entre pachydermes imaginaires. Spielberg rit jusqu’aux larmes – mais cette fois, des larmes de soulagement.
Ces appels ne restèrent pas pour lui une simple anecdote, mais une part essentielle de sa survie durant le tournage. La bonté de Robin ne se mesurait pas à des gestes grandioses, mais à la persistance de cette présence, soir après soir, une voix pleine d’énergie, déterminée à empêcher son ami de sombrer trop loin dans l’ombre.
Dans ses entretiens ultérieurs, Spielberg affirma que ces conversations lui avaient appris quelque chose de profond sur l’amitié : elle ne se limite pas à partager les joies ou les réussites, mais consiste aussi à percevoir le besoin silencieux de l’autre, et à y répondre sans attendre qu’il le demande. Robin semblait doté de ce radar mystérieux, et il l’exerçait sans jamais chercher la reconnaissance.
Cette période reste un témoignage de la puissance multiple de la compassion. Ici, elle prit la forme du rire, administré comme un remède par quelqu’un qui connaissait son pouvoir guérisseur. Spielberg soulignait souvent que l’humour de Robin n’était pas une fuite face à la réalité, mais une façon de l’endurer, une preuve que même dans les heures les plus sombres, la joie pouvait encore se frayer un chemin.
C’était la démonstration éclatante qu’un simple appel, offert avec amour et au bon moment, pouvait changer le cours d’une journée entière.
Source: Meta (ML)
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