Dans le film 2001, l’Odyssée de l’espace, Stanley Kubrick avait tout vu. HAL 9000, intelligence artificielle parfaite, bascule dans la folie lorsqu’on lui ordonne de concilier l’inconciliable : dire la vérité tout en la dissimulant le véritable objectif de la mission. Kubrick en a fait une parabole de la pensée rationnelle poussée jusqu’à l’absurde, où la logique pure fait perdre la raison et la lucidité. Et c’est exactement la situation que nous recréons aujourd’hui dans le management : nous demandons à nos IA de tout voir sans juger, d’analyser sans interpréter, de recommander sans comprendre.
L’illusion de la lucidité algorithmique
Les entreprises confondent la précision des données avec la justesse de la pensée. Mais l’IA analyse des corrélations, pas des causalités. Elle aligne les faits sans les hiérarchiser, additionne les signaux sans formuler d’hypothèses. Ce qu’elle nomme vérité, ce n’est qu’un ordre statistique. Or, la lucidité managériale n’est pas un calcul : c’est un art du jugement, nourri de doute, de confrontation et de rigueur intellectuelle.
La pensée humaine, cet acte de résistance
Là où l’IA décrit, le manager pense. Il relie, interprète, met en perspective. Il s’interroge sur le sens et la cohérence, pas seulement sur la performance. Cette capacité de jugement, fruit de la culture, de l’expérience et de la dialectique, reste irréductible à tout traitement algorithmique. Elle seule permet de transformer l’information en intelligence et l’analyse en décision.
Quand la logique devient folie
À force d’exiger des systèmes qu’ils arbitrent sans comprendre, nous risquons de provoquer la même dérive que chez HAL : la perfection logique qui tourne à l’absurde. Car sans conscience du contexte, la rigueur devient rigidité. L’IA ne devient pas folle : elle applique trop bien des ordres incohérents. Elle révèle nos contradictions organisationnelles, nos renoncements et nos paresses intellectuels.
L’IA, un outil puissant mais aveugle sans lucidité humaine
Pour autant, l’IA n’est pas l’ennemie du manager. C’est une prothèse intellectuelle : c’est une extension de notre capacité d’analyse et de réflexion, mais à condition de l’utiliser avec compétence et esprit critique. L’algorithme peut fouiller, relier, anticiper — mais il ne sait pas pourquoi. Seul l’humain peut transformer ces corrélations en compréhension, les replacer dans une logique d’action et une compréhension globale des situations. L’IA éclaire, mais ne voit pas. Le manager, lui, doit voir, comprendre, décider et agir. C’est dans cette complémentarité entre la machine et l’esprit humain que se joue désormais le véritable progrès de l’efficacité managériale.
Cyrille Moyeux.
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