Symbole d’un rare moment d’émerveillement dans un pays meurtri par la guerre, un immense requin, protégé et admiré le long des côtes israéliennes, a fini dépecé sur les plages de Gaza.

Il a patrouillé le long des côtes israéliennes durant des semaines sans que nul ne lui cause le moindre préjudice. Les océanographes et bénévoles de la protection de la nature l’ont escorté et protégé, le laissant nager à sa guise de Netanya à Ashkelon, en passant par le grand port maritime d’Ashdod où circulent de nombreux et dangereux navires de commerce. Des plages ont été interdites à la baignade et le public a été averti qu’il est l’un des rares et derniers membres d’une espèce en voie de disparition. A la grande joie des enfants et des adultes, cet énorme requin de plus de dix mètres de long a été un visiteur bienvenu après tous ces mois de guerre. Une sorte de touriste inattendu.
Comme pour n’importe quel touriste, il est fort déconseillé de se rendre à Gaza. S’il fallait malgré tout laisser sa liberté de mouvement à ce requin, c’est que le choix de ses proies et zones de chasse aide à maintenir la biodiversité des écosystèmes où il évolue. Malheureusement pour lui, à peine le grand requin s’est-il approché de la bande de Gaza qu’il a péri et été dépecé par une foule en liesse, aux mains couvertes de son sang.
La justification d’un tel acte de barbarie serait que les gazaouis ont faim. Nous ne reviendrons pas sur l’énormité de ce mensonge, ni sur les centaines de camions déversant des tonnes de nourriture dont le Burundi, où les gens meurent vraiment de faim, n’a jamais bénéficié avec tant de largesse. Question de chouchoutage et de vedettariat, sans doute.
Voici quelques informations qui donnent à réfléchir sur la misère à Gaza. Il y a deux millions d’habitants à Gaza et plus de onze millions en Haïti. Le montant annuel de l’aide humanitaire attribuée à un gazaoui s’élève à 1820 dollars (intentions de dons incluses). Celle allouée à un haïtien s’élève à 43 dollars. L’aide à Gaza vient de riches pays arabes, de l’Union européenne, de l’UNWRA, des USA et de dizaines d’ONGs plus ou moins agréées. Elle représente 31 % du PIB en aide reçue (et 100 % du PIB une fois les promesses de dons honorées). Pour Haïti, on est à 2,5 %. du PIB ! Depuis les massacres du 07 octobre 2023, Gaza a reçu une aide de centaines de millions de dollars supplémentaires. Un bonus ? Quant à la pêche, il faut bien connaître les réalités sur le terrain. Il y a 5000 pêcheurs professionnels à Gaza qui représentent un élément essentiel de l’économie et de la nutrition. De ce fait, ils jouissent d’un statut d’exception les exemptant de grèves et de participation aux émeutes.
La marine israélienne protège leurs intérêts surtout face aux incursions sauvages des pêcheurs égyptiens remontant d’El-Arish pour venir pêcher dans les eaux de Gaza, plus abondantes en poisson. J’ai été plusieurs fois leur invité pour un gueuleton au bord de la mer, face au port, afin de coordonner leur activité en regard des restrictions sécuritaires. L’étendue de leur zone de pêche autorisée varie selon la situation du moment, allant d’un minimum de 3 milles nautiques à partir de la côte jusqu’à 12 milles.
Les accords d’Oslo en prévoyaient 20 si ces bateaux de pêche cesseraient toute contrebande d’armes et d’explosifs. A la veille du 7 octobre, la zone avait été étendue, augmentant de plusieurs millions de shekels les revenus de l’industrie de pêche locale.
Et depuis 2022, une ferme d’élevage marin produisant des dizaines de tonnes de dorades opère dans les eaux proches du littoral gazaoui. Aujourd’hui encore, au moment où vous parcourez ces lignes, les restaurants de la ville de Gaza, tels que Bab-el-Babher et Roma Abou Hasira servent d’excellents plats de poissons et fruits de mer.
Et peut-être, de délicieuses tranches de requin frais… N’oublions pas que bien des denrées provenant de l’aide humanitaire font l’objet d’un intense commerce de marché noir. Les marchés de Gaza débordent de sacs de farine et de riz frappés du logo des Nations Unies ou d’autres organisations, en vente libre sur les étals. Alors, ce qui s’est échoué sur les rives de Gaza, ce n’est pas juste un requin. Ce qui a été écharpé, mutilé, ce n’est pas juste un animal. C’est la décence. C’est la civilisation. Et notre humanité.
Tribunes de guerre, par Raphaël Jerusalmy, commentaires de Mohamed Sifaoui, éditions David Reinharc. Tribunes de guerre 2023-2025 – broché – Raphaël Jérusalmy – Achat Livre | fnac
https://www.fnac.com/a21765530/Raphael-Jerusalmy-Tribunes-de-guerre
Partager :
La source de cet article se trouve sur ce site

