L’eurodéputée La France insoumise (LFI) Manon Aubry est rentrée à Bruxelles après un séjour en Israël qui s’est achevé brutalement : les autorités israéliennes l’ont expulsée et lui ont interdit d’entrer sur le territoire pour une durée de cinq ans. Cette décision intervient à l’issue d’une visite en Judée-Samarie et à Jérusalem, au cours de laquelle la députée a multiplié sur les réseaux sociaux des messages très virulents contre le gouvernement israélien, qualifiés de « haineux » et « mensongers » par les autorités du pays.
L’affaire a été médiatisée lorsqu’un député du Likoud, Boaz Bismuth, a interpellé le ministère de l’Intérieur israélien sur la présence de l’élue française sur le sol israélien. Sur X, il a salué son départ en des termes cinglants, qualifiant Aubry de députée « antisémite » et ironisant : « Au revoir et surtout ne reviens pas ! Nous avons claqué la porte derrière toi et l’avons verrouillée. » Pour une partie de la classe politique israélienne, la mesure d’éloignement apparaît comme une réponse assumée à un militantisme perçu comme hostile à l’État d’Israël.
De son côté, Manon Aubry conteste la version israélienne et affirme être repartie « comme initialement prévu ». Depuis le Parlement européen, elle a dénoncé les « tentatives d’intimidation du régime israélien » et mis en avant le contraste avec la situation des Palestiniens, qu’elle décrit comme privés de liberté de circulation et soumis à des « menaces » et « humiliations » quotidiennes. Elle assure que les scènes observées sur le terrain nourriront son engagement pour « mettre fin aux crimes de Netanyahou » et permettre au peuple palestinien de vivre « enfin en liberté ».
Les services israéliens de la population et de l’immigration ont, eux, détaillé les circonstances de l’entrée de l’eurodéputée. Arrivée par le point de passage d’Allenby (notre photo), à la frontière israélo-jordanienne, Manon Aubry aurait déclaré vouloir se rendre à Jérusalem. Elle a finalement gagné Ramallah et ses environs, en plein cœur des territoires disputés, ce que les autorités présentent comme un contournement des contrôles habituels. Aucun signalement préalable n’apparaissant dans les systèmes, l’entrée lui avait d’abord été accordée, avant que ses publications en ligne ne déclenchent un examen plus poussé et, in fine, la décision d’expulsion assortie d’un bannissement.
Cette affaire s’inscrit dans un contexte plus large, où les relations entre Israël et une partie de la gauche radicale européenne sont fortement tendues. Manon Aubry, figure de proue de LFI au Parlement européen et coprésidente du groupe The Left, s’est illustrée par ses prises de position très critiques envers l’État hébreu, notamment depuis les attaques du Hamas du 7 octobre 2023 et la guerre à Gaza. Elle a déjà été au cœur de polémiques pour avoir refusé certaines résolutions européennes jugées trop favorables à Israël ou ne mettant pas, selon elle, suffisamment l’accent sur les souffrances des civils palestiniens.
Côté israélien, la décision de la priver d’entrée s’inscrit dans une doctrine assumée depuis plusieurs années. Une modification de la loi sur l’entrée en Israël permet, depuis 2017, de refuser visas et séjours aux étrangers appelant publiquement au boycott de l’État ou des territoires qu’il contrôle. Cette base juridique a été mobilisée à plusieurs reprises contre des militants BDS, des ONG, mais aussi plus récemment contre des responsables politiques étrangers jugés hostiles à Israël.
Ces derniers mois, d’autres élus européens se sont vu refuser l’accès au territoire, parfois dès leur arrivée à l’aéroport Ben-Gourion. Des figures de la gauche européenne, notamment au sein du même groupe parlementaire que Manon Aubry, ont ainsi été refoulées ou renvoyées vers l’Europe en raison de leurs prises de position pro-BDS ou de déclarations jugées extrêmes sur le conflit israélo-palestinien. Ces épisodes alimentent, au sein du Parlement européen, des appels à revoir la relation UE–Israël et à conditionner davantage la coopération aux questions de droits humains.
En France, cette nouvelle controverse intervient dans un climat déjà électrique autour de la ligne de LFI sur le Proche-Orient. Le parti de Jean-Luc Mélenchon et ses élus, dont Manon Aubry, sont régulièrement accusés par leurs adversaires de minimiser la menace du Hamas ou de franchir la ligne rouge de l’hostilité à Israël. À l’inverse, LFI se présente comme la force politique qui ose dénoncer, sans détour, ce qu’elle considère comme une politique d’occupation et de répression à l’égard des Palestiniens.
Au-delà du bras de fer personnel entre une eurodéputée et le gouvernement israélien, l’épisode illustre la fracture croissante entre Jérusalem et une partie de la gauche radicale européenne. Pour Israël, il s’agit d’affirmer son droit souverain à contrôler ses frontières et à se protéger de campagnes de délégitimation. Pour Manon Aubry et ses alliés, cette expulsion est au contraire la preuve que la critique d’Israël est de plus en plus criminalisée. Entre diplomatie, sécurité et bataille d’image, l’affaire promet de continuer à alimenter les tensions politiques des deux côtés de la Méditerranée.
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