Lettre d’Eliyahou ben Yossef, dans un abri à Jérusalem, entre la menace et la promesse, à son cousin David ben Salomon, à Paris en réponse à sa lettre
Mon très cher David,
Je t’écris entre deux silences : celui qui précède la sirène, et celui qui suit l’explosion. C’est un moment propice pour la réflexion, et donc pour te répondre.
Ta dernière lettre m’a procuré une vive émotion. Tu as ce talent rare de décrire la soumission avec grâce, l’inquiétude avec poésie, et l’exil avec un tel sens du détail que j’en venais presque à envier ta vie de clandestin reconnu.
J’ai retrouvé dans ta lettre ta finesse, ton style, ton art de faire du retrait une forme de raffinement. Il faut te reconnaître cela, mon cousin : tu as élevé l’autodéfense à un niveau esthétique.
Tu me parles de ton quotidien : les gestes étudiés, les kippas pliées, les étoiles rangées, les noms corrigés pour mieux se fondre. J’ai souri à l’idée que même la mezouza de Mamie Hélène ait dû se retrancher à l’intérieur.
Ici, les choses sont plus bruyantes. La kippa se porte sur la tête, même si le vent l’arrache. La mezouza reste sur la porte, même quand la porte elle-même a sauté. Le Juif est visible, invincible… et surtout vivant.
Tu me parles aussi de la sécurité. En France, les synagogues sont barricadées, protégées par des forces de l’ordre parfois plus nombreuses que les fidèles. On y entre en montrant sa carte d’identité, on y prie comme dans un aéroport.
Ici, les synagogues sont ouvertes. Non parce que nous n’avons pas d’ennemis, mais parce que nous avons accepté le prix d’être libres.
Tu vis à Paris, mon cousin, cette ville splendide où l’on peut réciter Shema Israel à voix basse dans un métro bondé, à condition de ne pas attirer l’attention. Tu vis dans un pays où l’on dit « juif » du bout des lèvres et « Israël » du bout des nerfs. Un pays où l’on peut se faire tuer pour être né du mauvais peuple, mais avec élégance, sur fond de slogans universels.
Tu m’écris depuis une République où l’on ne se dit pas antisémite, mais seulement antisioniste, où l’on t’agresse avec des gants blancs, et où l’on t’efface en te demandant ton consentement éclairé. C’est admirable. Chez nous, les choses sont moins subtiles. Quand l’Iran veut nous rayer de la carte, il le dit clairement, en plusieurs langues et en direct à la télévision.
Quand on veut nous tuer, on ne cherche pas à nous convaincre d’abord. On frappe. On envoie des missiles. On promet notre anéantissement.
L’ennemi a plusieurs noms, aujourd’hui il se nomme : : Iran. Et un visage. Et des satellites, des drones, des missiles, des alliances. Il ne parle pas en paraboles : il promet une bombe. Il ne menace pas de nous juger. Il promet de nous effacer.
Et nous, que faisons-nous ? Nous répondons. Pas seulement avec des avions. Avec des écoles, des hôpitaux, des plantations de dattes, des berceaux.
Chaque nuit, nos pilotes s’élèvent au-dessus des nuages pour frapper ce que le monde préfère ignorer. Ils sont jeunes. Ils ont des fiancées, des mères, des rêves simples. Et ils reviennent…
Oui, la situation est difficile. Personne ici ne la nie. Mais vois-tu, David, elle est passagère. Comme une douleur avant l’accouchement. Comme un orage d’été. La menace passera. Et le soleil brillera à nouveau sur notre pays, pas que parce que nous l’aurons mérité, mais parce que nous l’aurons défendu.
Je veux te parler de mes filles de quatre ans et de cinq ans. Lors de la dernière alerte, elles couraient en pyjama vers l’abri, les larmes au bord des cils. Je les ai serrées si fort que j’ai cru leur casser les épaules.
Une fois dans l’abri, il y a eu ce silence, lourd, suspendu. Et puis, elles se sont mises à chanter. Doucement. L’une a commencé : « Mi sheberakh leshayalim… ». Et l’autre l’a suivie : « Hashem itbarakh, il va nous protéger. »
Tu comprends ce que je veux dire ? Même nos enfants chantent pendant qu’ils ont peur.
Ce n’est pas de l’héroïsme. C’est la vie juive, ici, aujourd’hui. Une vie où l’on n’a pas besoin de cacher sa mezouza, ni de franciser son nom. Une vie où l’on n’a pas peur de vivre juif , même si vivre juif fait peur.
Et malgré cela, je t’écris sans colère. Car je sais que ce que nous vivons ici, au cœur de ce tumulte, n’est pas une crise; c’est une naissance.
Tu attendais la Guéoula ? Je comprends. Tu l’imaginais avec des anges, des tambours, une voix qui sortirait du ciel et dirait : « C’est maintenant. »
Eh bien figure-toi que la Guéoula est arrivée sans faire trop de bruit. Elle s’est installée discrètement, entre deux immeubles de Netanya, deux serres dans la vallée du Jourdain, deux caravanes dans les collines de Samarie, deux cours de Talmud dans une base de Tsahal. Elle n’a pas prévenu. Elle est entrée par la porte de service.
Mais elle est là, David. Et tu n’y es pas.
Oh, je ne t’en veux pas. Le confort a ses vertus. Le silence aussi. En France, on aime beaucoup les musées. Mais la vie juive n’est pas une pièce à exposer , c’est une aventure à écrire.
Tu m’écris que tu viendras peut-être… un jour. Peut-être pour la retraite. Peut-être quand la situation sera stabilisée. Peut-être quand les enfants auront grandi. Peut-être…
Mais je dois t’avertir :Israël n’est pas une maison de repos. Israël n’est pas une station thermale pour Juifs fatigués. Ici, nous ne servons pas de thé vert sur fond de méditation. Nous servons dans Tsahal. Nous plantons, nous bâtissons, nous pleurons, et nous recommençons.
Israël est une forge. Une maternité. Un laboratoire. Une prophétie en construction. Une page encore blanche. Une tour bâtie à mains nues.
Et surtout : Israël est une histoire. L’histoire. Notre histoire.
Ici, on n’étudie pas seulement l’histoire des Juifs. On l’écrit. En lettres d’hébreu, de sueur, de prière, de feu, et parfois, oui, de sang.
Je ne te demande pas de venir te battre. Je te demande de venir exister. Ici, ta fille ne cachera pas son étoile. Elle l’apprendra par cœur. Ton nom ne sera pas modifié. Il sera honoré. Ta mezouza sera dehors, même s’il pleut.
Tu attends le bon moment. Mais, David… le bon moment, c’est quand on comprend que l’attente est une erreur.
Nous vivons la meilleure période de notre histoire depuis deux mille ans. Nous avons une langue, une terre, une armée, une capitale, une économie, une culture, une flamme.
Tu veux encore attendre ? Très bien. Mais sache que l’Histoire, elle, ne t’attend pas. Elle se passe ici. Elle s’écrit. Elle se vit. Et elle avance.
Tu veux la paix ? Moi aussi. Mais une paix sans dignité n’est qu’une anesthésie. Ici, nous avons choisi la vie , la vraie. Celle qui dérange. Celle qui demande. Celle qui construit sous les missiles et rêve sous les ruines.
Regarde autour de toi : l’exil n’est plus une nécessité, c’est une habitude. Une habitude polie, bien dressée, mais stérile. Tu as peur de venir ici. Moi, j’ai peur que tu restes là-bas. Pas pour toi. Pour ceux qui viendront après toi, et qui n’auront plus de chemin.
Mon cher cousin, nous vivons une époque bénie. Bénie non parce qu’elle est facile, mais parce qu’elle est claire. Pour la première fois depuis deux mille ans, un Juif peut être maître de son destin, parler sa langue, prier son Créateur, défendre sa terre, sans demander la permission.
Tu te demandes si le moment est venu. Je te réponds : si ce moment n’est pas le bon, alors il n’y en aura jamais.
Viens, David. Pour toi, pour tes enfants, pour ton nom. Ne viens pas comme un fuyard, ni comme un touriste. Viens comme un bâtisseur.
Il y a une pierre à poser. Une ligne à écrire. Un rôle à jouer.
Et si tu as peur, dis-toi que même les petites filles de Jérusalem chantent pendant qu’elles tremblent. Tu feras comme elles.
Ton cousin, avec une kippa sur la tête, un pistolet à la ceinture, et
la certitude d’avoir choisi la vie
Eliyahou ben Yossef
Haim Berkovits
JForum.fr
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