Les rabbins arbitrent la conscription
Deri temporise mais avance finalement
Les reports en chaîne des auditions à la commission des Affaires étrangères et de la Défense ont longtemps laissé planer un doute : la loi sur la conscription des étudiants de yeshiva allait-elle finalement rester lettre morte ? Dans les coulisses, une autre réalité s’est imposée. Sous une pression croissante issue de sa propre base, le leader du Shas, Aryeh Deri, a freiné le tempo, tout en gardant la main sur le texte. Officiellement, les ajournements s’expliquaient par des raisons techniques ou calendaires ; officieusement, il s’agissait de contenir une campagne virulente menée par les franges les plus intransigeantes du monde haredi, qui ont tenté de coller à Deri l’étiquette de « facilitateur » de l’enrôlement.
Ce paradoxe est au cœur du moment. D’un côté, Deri a participé à l’architecture du compromis porté par le président de la commission, Boaz Bismuth, avec l’appui rédactionnel d’Ariel Atias. De l’autre, il devait prouver à sa base qu’aucune « capitulation » ne se jouait en catimini. Cet équilibre s’est construit par scènes successives : réunions de la faction Shas au siège du parti plutôt qu’à la Knesset, prises de parole symboliques de figures d’autorité, comme le rabbin Moshe Maya, pour défendre « le rabbin Aryeh » et rappeler sa fidélité au monde de la Torah.
Le verrou décisif s’est toutefois situé ailleurs : dans le feu vert, à tout le moins conditionnel, venu du sommet rabbinique lituanien. L’aval du rabbin Moshe Hillel Hirsch — numéro deux de la hiérarchie — a levé un obstacle majeur et éclairci la position de son aîné, le rabbin Dov Landau, jusque-là réticent. Le signal a compté : il a desserré l’étau sur Deri, tout en laissant aux sages la capacité d’exiger des ajustements au texte.
Sur le fond, la proposition Bismuth cherche à transformer une crise structurelle en trajectoire mesurable : objectifs d’enrôlement progressifs pour chaque cohorte haredie, mécanismes d’incitation et sanctions plus limitées qu’aux premiers brouillons. Les critiques y voient un « habillage » qui pérenniserait l’exception plutôt qu’il ne l’abolirait ; les partisans, eux, y lisent le seul chemin praticable pour stabiliser la coalition et ramener les partis ultra-orthodoxes à la table législative. La ligne de crête est étroite : il faut convaincre sans fracturer.
Le contexte juridique et politique rend l’entreprise urgente. Depuis que la Cour suprême a stoppé l’ère des exemptions quasi générales et demandé un cadre légal cohérent, chaque semaine sans loi accroît l’insécurité normative : convocations, recours, crispations de rue, et un Parlement régulièrement paralysé par des boycotts tactiques. Dans cet environnement, Benjamin Netanyahu exige une majorité nette et visible avant de risquer un vote, tout en gardant un œil sur des arbitrages intra-coalition : United Torah Judaism n’est pas monolithique, et Shas lui-même a connu des secousses — jusqu’à suspendre temporairement certaines fonctions parlementaires — pour montrer sa détermination.
Reste la variable rabbinique séfarade, où la parole du grand rabbin Yitzhak Yosef a souvent enflammé le débat, nourrissant le sentiment d’un bras de fer existentiel. Cette rhétorique a fait monter la tension, sans empêcher, in fine, les canaux de négociation de fonctionner dès lors que le camp lituanien a entrouvert la porte.
Où en est-on ? Paradoxalement, jamais le gouvernement n’a paru aussi près d’un atterrissage, même si rien n’est acquis. Deri a ralenti pour mieux verrouiller son flanc droit, et les grands rabbins, en avalisant le principe d’une loi, ont offert une rampe de sortie à ceux qui redoutaient un « précédent ». Le texte portera des compromis visibles ; il heurtera des convictions tout aussi visibles. Mais si l’objectif est d’éviter un face-à-face perdant-perdant entre tribunaux, armée et monde de l’étude, l’approche graduelle — adossée à des objectifs vérifiables — a une chance d’imposer un cadre, enfin opérable, à une question qui déstabilise l’État depuis des décennies.
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