C’est donc la langue du premier monothéisme, le judaïsme, qui est à la source des deux autres religions du livre que sont le christianisme et l’islam.
Au-delà des croyances qui ont forgé l’identité des peuples dans toutes les contrées de l’Europe ainsi que dans l’ensemble du Moyen-Orient, le judaïsme a façonné l’imaginaire culturel et intellectuel des civilisations de l’ensemble de notre planète, par l’évangélisation sur les nouveaux continents découverts par les navigateurs européens, et par l’expansion de l’Islam en Orient ainsi que d’une grande partie de l’Afrique.
Nous retrouvons l’empreinte du judaïsme à Rome dans des chapelles, des églises, et des cathédrales qui abritent des fresques et des vitraux qui constituent des œuvres intemporelles des artistes de la Renaissance, parmi lesquelles :
- La vision du prophète Ézéchiel du peintre Raphaël,
- et la célèbre statue de Moïse par Michel-Ange qui se trouve dans la basilique Saint-Pierre-aux-Liens de la capitale italienne.
Toutes ces réalisations témoignent de l’héritage juif en terres christianisées qui, de ce fait, s’est étendu aux quatre coins du monde, au fil des siècles. Et malgré le statut du peuple d’Israël – stigmatisé comme « déicide », ce qui conduisit aux terribles persécutions endurées durant deux millénaires par les Juifs – la langue hébraïque était considérée par le monde chrétien comme langue sainte, au même titre que le latin et le grec, l’idiome des Evangiles.
Ainsi, de très nombreux Pères de l’église ont appris l’hébreu, tel le Berbère carthaginois Saint Augustin (354-430) qui, d’ailleurs, insista sur la spécificité de la langue source de la Bible. Et bien sûr, il y eut le Père de l’église Jérôme de Stridon (347-420) qui traduisit en latin la Bible, dite Vulgate.
Il faut également noter que dans le but d’évangéliser les peuples slaves dans l’ensemble des régions de l’Europe orientale, Saint Cyrille, natif de Thessalonique et créateur avec son frère Méthode de l’alphabet cyrillique au milieu du IXe siècle, apprit l’hébreu en Crimée.
De fait, l’hébreu n’a jamais cessé d’être étudié en Occident depuis la fin de l’Antiquité, non seulement par des théologiens dans la plupart des monastères, des églises, et plus tard, des temples, avec l’avènement du protestantisme, mais aussi par de nombreux hommes de lettres, puis des philosophes de tous bords.
Il est bien connu que François Rabelais était un hébraïsant confirmé et qu’il a introduit dans son livre Gargantua des mots de la langue de Moïse, tandis que l’hébreu fut enseigné au Collège de France dès sa fondation en 1530.
Enseigné dans les milieux universitaires et chrétiens sur le vieux continent, notamment durant la période faste de la Renaissance, l’hébreu a été étudié tout autant dans les nombreuses synagogues et yeshivot (centres d’études juives), tandis que les Académies talmudiques prospéraient dans toute l’Europe, en France et en Allemagne notamment, puis plus tard, en Pologne.
La langue biblique n’a donc jamais été une langue morte par l’étude des textes anciens et par la récitation séculaire des liturgies dans les lieux de culte juifs.
Au XIXe siècle, la langue de Moïse allait connaître une véritable résurrection sous l’impulsion de Éliezer Ben Yehuda (1858-1922), qui adapta l’idiome millénaire à l’époque contemporaine.
Ayant été étudiée de manière quasi-continue au fil des siècles, notamment comme langue de la Bible, l’influence lexicale de l’hébreu est bien présente au sein des principales langues européennes, comme l’illustrent les exemples inédits qui suivent ci-après, et qui confirment les propos du célèbre linguiste Claude Hagège dans un article publié en janvier 2010 :
Les communautés juives ont truffé d’emprunts hébraïques les langues des pays où elles ont été reçues.
Ainsi, sans le savoir, aux quatre coins du monde, nous utilisons dans notre vie quotidienne des termes issus de la langue de Moïse parlée au Temple de Jérusalem, et ce bien au-delà des mots d’origine hébraïque déjà reconnus et devenus universels issus de la théologie comme « amen », « alléluia », « capharnaüm », « jubilé » et bien d’autres.
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Rapprochements étymologiques entre l’hébreu et le français
- Aurore : mot apparu au XIIIe siècle. Connecté à la racine hébraïque orer (se réveiller) et au mot or (lumière).
- Dardar (ronce) : inscrit dans Genèse 3:18 et proche du mot « dard », apparu en France au XIe siècle.
- Diluer (XVe siècle) : rapproché de la racine dala (Exode 2,19), signifiant « puiser de l’eau ».
- Idem (XVIe siècle), connecté à dome (ressemblance), inscrit dans Psaumes 49:13.
- Gad (bonheur) : mentionné dans Genèse 30:11, connecté au verbe latin gaudere, à l’origine du mot « joie ».
- Gargarisme (XIIIe siècle) : rapproché de gargerot (cou), mentionné dans Proverbes 1:9.
- Groseille (XIIIe siècle) : apparenté au francique krusil, « crépu » – en hébreu mekourzal.
- Potiron : apparu dans le glossaire français en 1476. Qui désignait autrefois un gros champignon – en hébreu, un champignon se dit pitriya.
- Grenier (XIIe siècle) : très probablement issu de goren (grange), inscrit dans Nombres 18.
Autres connexions dans d’autres langues
- Gobierno, en espagnol : « gouvernement », très proche de guibor (puissance), Genèse 10:8.
- Autre mot ibérique : barrio (quartier), qui se connecte à bira traduit dans Néhémie 7:2 par « château fort », « citadelle ».
- Futternapf : « écuelle » en allemand. Venant du latin hanappus (un vase à boire), lié à hanif (asperger, ruisseler), Psaumes 68:10.
- Brautigam : « marié, fiancé » dans la langue de Goethe, qui se rapproche de brit (alliance), Deutéronome 4:31.
- Raqam : « broder » en italien, lié à sa traduction hébraïque ricamare, inscrit dans Exode 38:23.
- Le mot italien lavanderia (blanchisserie) : très probablement apparenté à lavane (blanc), mentionné dans Genèse 30:35.
- Le verbe anglais to call : « appeler », connecté à kol (voix), que l’on retrouve dans Genèse 27:22.
- Autre exemple de rapprochement interlinguistique entre l’anglais et l’hébreu ancien : roof (plafond) et arifim (Isaïe 5,30) qui signifie « cieux, nuages », connecté également à raaf (tuile)
- Le mot russe tsviet цвет : « couleur », qui se connecte à sa traduction hébraïque tseva qui est mentionné dans Juges 5:30.
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Eléments bibliographiques
Athènes, Rome, Jérusalem – aux sources des langues européennes. Éditions David Reinharc – 2022.
La Bible au cœur du langage universel. Éditions Valensin David Reinharc – 2019.
Ce que les langues européennes doivent à l’hébreu. Éditions Valensin David Reinharc –2016.
Wiktionary – Annexe : Mots français d’origine hébraïque
https://www.vatican.va/content/benedict-xvi/fr/audiences/2009/documents/hf_ben-xvi_aud_20090617.html
https://shs.cairn.info/revue-bulletin-du-bibliophile-2012-1-page-182?lang=fr
Wikipedia : La Vision d’Ézéchiel (Raphaël)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Cyrille_et_M%C3%A9thode
Actualité Juive – Janvier 2010 – Dossier sur l’hébreu.
à propos de l’auteur
Né en 1967 à Lyon, autodidacte, Bruno Dray est l’auteur de manuels d’apprentissage d’hébreu moderne et biblique et de plusieurs ouvrages montrant l’influence de l’hébreu ancien sur les principales langues européennes, et ce, à partir de près de mille mots issus de l’Ancien Testament. Résidant aujourd’hui à Antibes, dans le Sud de la France, il a été nommé en 2021 « Chevalier dans l’Ordre des Arts et des Lettres ». En 2019, le prestigieux linguiste Claude Hagège avait salué ses travaux par la phrase suivante introduite dans le livre de l’essayiste « La Bible au cœur du langage universel » : « On ne peut qu’être sensible à l’assurance d’un auteur qui affronte en amateur, une tâche aussi périlleuse que le dévoilement des dettes des langues européennes vis-à-vis de l’hébreu ».
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