Les liaisons dangereuses de Netanyahu
Le 8 décembre 2025, lors d’un débat parlementaire déclenché par la procédure dite des « 40 signatures », Benjamin Netanyahu a voulu démontrer que, malgré les accusations d’isolement international, Israël conserve des canaux rares avec les grandes puissances. Il a notamment affirmé entretenir des contacts réguliers avec Vladimir Poutine et présenté cette relation comme un outil au service « d’intérêts vitaux », en particulier sur le front nord, où la Syrie et le Liban restent au cœur des préoccupations stratégiques. En quelques heures, la phrase a produit l’effet inverse de celui recherché : elle a alimenté un malaise déjà sensible autour des liens entre Jérusalem et Moscou.
La réaction la plus immédiate est venue de l’ambassade d’Ukraine. Après des critiques formulées dans la presse israélienne, le diplomate a été convoqué au ministère des Affaires étrangères pour une réprimande, ses propos ayant été jugés « inacceptables » et contraires au protocole. L’épisode a ensuite pris une dimension intérieure : l’opposition a accusé le Premier ministre d’instrumentaliser sa proximité avec des dirigeants puissants — Poutine, mais aussi Trump, Modi ou encore le chancelier allemand Friedrich Merz — afin de compenser des difficultés d’image sur la scène internationale.
Pour comprendre la charge symbolique de cette relation, il faut remonter bien avant la guerre en Ukraine et la guerre à Gaza. En septembre 2009, Netanyahu avait déjà alimenté les spéculations en disparaissant temporairement de l’agenda officiel. Des révélations de presse ont, à l’époque, décrit un déplacement discret à Moscou, lié aux craintes israéliennes de voir la Russie fournir à l’Iran des systèmes antiaériens S-300. L’épisode a installé l’idée d’un accès direct au Kremlin, capable, au besoin, de faire bouger des lignes sur des dossiers existentiels.
Dans les années suivantes, la relation a alterné diplomatie de sécurité et communication politique. En 2019, à la veille d’élections, une immense affiche du Likoud a mis en scène la poignée de main Netanyahu-Poutine avec un slogan destiné à prouver que le Premier ministre « joue dans une autre catégorie ». Le message était limpide : Israël, sous sa direction, parle d’égal à égal avec les maîtres du jeu mondial. Mais ce choix a aussi suscité des critiques : dans une démocratie, exhiber la proximité avec un dirigeant perçu comme autoritaire peut brouiller la frontière entre prestige et fascination.
Sur le terrain, la Syrie reste le cœur de l’argument sécuritaire. Depuis l’intervention russe de 2015, Israël et la Russie ont mis en place un mécanisme de coordination militaire pour éviter les incidents dans l’espace syrien. Cette « déconfliction » n’empêche pas les frictions : en 2018, la chute d’un avion de renseignement russe Il-20, abattu par la défense syrienne lors d’une séquence de frappes, a provoqué une crise et poussé Moscou à renforcer certaines capacités antiaériennes de Damas. Mais le canal a survécu, précisément parce qu’il limite le risque d’escalade involontaire.
L’exemple le plus souvent cité par les défenseurs de la relation demeure toutefois l’affaire Naama Issachar. Condamnée en Russie après une escale à Moscou, cette Israélo-Américaine a été graciée par Poutine en janvier 2020, après une forte mobilisation en Israël et des échanges politiques de haut niveau. L’épisode a été présenté comme une démonstration d’efficacité diplomatique — tout en nourrissant, dans le débat public, la question d’éventuelles contreparties et d’un calendrier opportunément proche d’échéances politiques.
Reste l’objection majeure : la Russie n’est pas un allié d’Israël sur l’Iran, et les convergences sont limitées. En 2025, Moscou et Téhéran ont formalisé un partenariat stratégique de long terme, tandis que la Russie a continué de recevoir des délégations du Hamas. Dans ce contexte, la « relation personnelle » vantée à la Knesset ressemble moins à une amitié qu’à une realpolitik : utile pour gérer le ciel syrien, coûteuse en termes d’image, et de plus en plus difficile à justifier quand les intérêts russes se rapprochent de ceux des adversaires d’Israël.
Au fond, la question n’est pas de savoir s’il faut parler à Moscou — un État responsable conserve des canaux — mais de mesurer l’illusion possible d’un privilège. La diplomatie n’est pas un concours de proximité : elle se juge à ses résultats, à sa transparence, et à la capacité d’Israël à protéger ses lignes rouges sans dépendre d’une seule « ligne directe ».
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