Les Juifs du Maroc par Jean-Pierre Allali (1)

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LE BILLET DE JEAN-PIERRE ALLALI – LES JUIFS DU MAROC (1)

Jean-Pierre Allali

Comme en Algérie et en Tunisie, la présence juive au Maroc est particulièrement ancienne. À propos de cette ancienneté, il convient de faire la part des choses et de distinguer la légende de la preuve, notamment archéologique.
C’est ainsi qu’on racontait, dans les chaumières juives du Maroc, que la ville de Safi a été créée par Sem, l’un des fils de Noé. Les Juifs de Massa [1] considèrent qu’ils descendent de Jonas que la fameuse baleine aurait vomi à l’embouchure de l’Oued Noun.

Des voyageurs affirment avoir vu, non loin de Zagora [2] une pierre portant l’inscription: « Joab a poursuivi les Philistins jusqu’ici ». On raconte aussi que les Juifs de la bourgade d’Asfalou [3] auraient envoyé une importante contribution financière au roi Salomon pour la reconstruction du Temple de Jérusalem.

Il est avéré qu’au 4e siècle avant J.-C., des Juifs de Rabat pratiquaient le commerce de l’or avec les Phéniciens et tenaient des comptoirs.

C’est avec la destruction du premier Temple par Nabuchodonosor en -586 que des Juifs de la terre d’Israël traversent la Cyrénaïque puis le Sahara pour s’installer dans l’Atlas marocain. C’est l’époque des caravaniers juifs qui, de port en port, vont négocier l’or, les épices et le sel. Les Juifs sont aussi agriculteurs.

Les reliquats archéologiques: lampes à huile décorées de la ménorah [4] et inscriptions funéraires hébraïques datent eux, de l’occupation romaine au début de l’ère chrétienne.
Un phénomène intéressant est celui de l’onomastique. Encore aujourd’hui, des tribus marocaines portent des noms à consonance juive, témoins d’une forte propension, à l’époque, des Berbères à la conversion au judaïsme : Oulad Moussa (fils de Moïse), Aït Ben Daoud (Descendants des fils de David) ou encore Aït Yacoub (descendants de Jacob).

Certains historiens affirment même que des royaumes juifs s’étaient constitués au 2e siècle à Ifrane, à Zagora ou encore dans le Tafilalet.

Genséric et les Vandales vont mettre fin à l’occupation romaine en 430. Pendant plus d’un siècle, les Juifs du Maroc vont connaître la tranquillité. Un conquérant chassant l’autre, en ces temps, Byzance va remplacer les Vandales en 533. Les Juifs vont alors subir les persécutions de l’empereur Justinien. Nombre d’entre eux fuiront vers des horizons plus cléments.

Une nouvelle ère va s’ouvrir un peu plus tard pour les Juifs avec la conquête arabo-musulmane du pays. Au début du 7e siècle, envoyé par le calife omeyade de Damas, Muawiya Ier avec pour mission de conquérir l’Afrique du Nord et d’y propager l’islam, le général Oqba Ibn Nafi Al Fihri déferle avec ses troupes sur le continent. Des tribus berbères judaïsées tenteront bien de s’opposer à cette véritable marée (c’est l’épisode légendaire de la résistance de la Kahéna), mais seront impuissantes face à des troupes qui n’hésiteront pas à y revenir à plusieurs reprises avec des effectifs de plus en plus nombreux.

L’islam installe avec lui le système discriminatoire et vexatoire de la dhimma qui fait des Juifs et des Chrétiens des citoyens de seconde zone. Son principe – on ne le sait pas toujours – est formellement inscrit dans le texte du Coran [5].

Dès lors, au cours des siècles, la vie des Juifs du Maroc, comme celle, d’ailleurs, des Juifs de l’ensemble du monde arabo-musulman, dépendra de l’humeur et des dispositions des souverains successifs. Des périodes plus libérales suivront des années de terreur. On parlera parfois « d’âge d’or ».

Au Maroc, la première dynastie chérifienne est celle des Idrissides (788-959). Jaloux des Juifs dont il considère qu’ils sont riches et puissants, Moulay Idriss Ier tente de les convertir par la force. C’est une époque difficile pour les Juifs du Maroc. Son successeur, Idriss II, fondera la ville de Fès en 808, une ville où se retrouveront, dans le Fondouk-el-Yéhoudi, des Juifs venus de tout le Maroc et même de Tunisie et d’Espagne. Moyennant les inconvénients de la dhimma, les Juifs s’organisent. Un pogrom ensanglantera néanmoins la communauté en 1033.

De 1062 à 1147, c’est le règne des Almoravides, des fanatiques religieux. Marrakech, ville fondée par le premier sultan de cette dynastie, Youssef Ben Tachfin, est interdite aux Juifs. Des massacres de Juifs ont lieux dans plusieurs villes, dont Meknès.

Aux Almoravides succèdent les Almohades (1130-1269). La dhimma est appliquée avec rigueur. En 1165, Judah Hacohen Ibn Chouchan, dayan [6] de Fès, est brûlé vif.

La situation des Juifs marocains va s’améliorer sous les Mérinides (1269-1465) considérés comme plus tolérants à leur égard. Le sultan Abou Youssef Yakoub choisira même, un Juif, Khalifa Ibn Roqassa comme vizir et intendant. Hélas, en 1302, ils seront l’un comme l’autre assassinés. Au cours des années qui suivront, nombre de Juifs seront nommés ambassadeurs, vizirs et chambellans, mais le scénario décrit plus haut se reproduit avec l’assassinat simultané du dernier sultan mérinide, Abdelhak et de son conseiller juif Haroun Ben Battach Al Wizir. À la même époque, un nouveau pogrom a lieu à Fès.

En 1438, les Juifs de Fès, déjà meurtris, sont accusés d’avoir profané la mosquée en mettant du vin dans les lampes à huiles du lieu de prières. Punition : ils sont astreints à être regroupés dans un quartier spécifique, le mellah [7].

Beaucoup de Juifs, pour ne pas subir l’affront d’un regroupement dans un ghetto, choisissent de se convertir à l’islam. De ce temps date la croyance, fortement ancrée, que nombre de Fassis [8] musulmans d’aujourd’hui sont d’origine juive.

L’expulsion des Juifs d’Espagne puis du Portugal, à la fin du 15e siècle, va conduire à une arrivée importante de nouveaux Juifs aux Maroc. On les appelle les Megorachim (Exilés) par rapport aux Tochabim (Autochtones). Les deux communautés vont, pendant des siècles, vivre côte-à-côte, sans vraiment s’imbriquer. Synagogues et cimetières seront longtemps séparés.

Sous les Ouatassides, au début du 16e siècle, on continue de trouver des grands commis de l’État juifs. La période saadienne (1509-1659), si elle est favorable aux grandes familles juives, est meurtrière pour le petit peuple souvent forcé à la conversion. Sans oublier les épidémies de peste qui poussent à l’exil nombre de Juifs. Aux Saadiens succèdent les Alaouites. Malgré l’assassinat du gouverneur juif de Taza, Ibn Mechal, par le sultan Moulay Rachid, en 1664, la situation des Juifs s’améliore. La communauté, avec à sa tête un « naguid » et, pour les affaires de statut personnels, des « dayanim », s’organise. Un « naguid », Joseph Maymaran, sera même nommé Premier ministre par le sultan Moulay Ismaïl.

Mais, devenant trop important au gré du souverain, il sera assassiné au profit de… son propre frère, Abraham. 

Peu à peu, au cours des siècles à venir, l’Europe va pénétrer au Maroc. Cela commence par la prise de Gibraltar par les Anglais en 1704 [9]. Plus tard, en 1862, le réseau scolaire de l’A.I.U. (Alliance Israélite Universelle), ouvrira un premier établissement à Tétouan. En 1880, à l’initiative de l’Angleterre, la Conférence de Madrid adopte le principe des protections. Les protectorats français et espagnols sur le Maroc ne sont plus très loin.           A suivre…

Jean-Pierre Allali
JForum.fr avec www.crif.org/f

Crédit photo : ©FADEL SENNA / AFP Illustration : Des membres de la communauté juive marocaine photographiés à l’intérieur de la synagogue Slat Alfassiyine, dans la ville de Fès, le 27 octobre 2021.

[1] Ville située à 50 kilomètres au sud d’Agadir.
[2] Ville du sud du Maroc.
[3] Dans la région de Tanger-Tétouan.
[4] Chandelier.
[5] Sourate IX. L’Immunité 29 : « Combattez : ceux qui ne croient pas en Dieu et au Jour dernier ; ceux qui ne déclarent pas illicite ce que Dieu et son Prophète ont déclaré illicite ; ceux qui, parmi les gens du Livre, ne pratiquent pas la vraie Religion. Combattez-les jusqu’à ce qu’ils payent directement le tribut après s’être humiliés. »
[6] Juge rabbinique. Pluriel : « dayanim ».
[7] Du mot « melh », sel. Le mellah était en effet situé près d’un mine de sel.
[8] Originaires de Fès.

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