Les invités d’Al-Julani font trembler la frontière israélienne
Sous un ciel gris de novembre, un convoi de 4×4 soulève la poussière des collines de Quneitra. Quinze véhicules, escortés par les forces de sécurité syriennes et la police militaire, traversent d’anciennes positions russes, à quelques kilomètres seulement de la frontière israélienne. Officiellement, il ne s’agit que d’une « visite d’inspection ». Officieusement, c’est un message : Moscou et Damas entendent peser à nouveau sur le jeu sécuritaire du sud syrien – et sur la liberté d’action d’Israël.
Depuis la chute du régime Assad le 8 décembre 2024 et l’arrivée au pouvoir du président de transition Ahmed al-Sharaa, ancien chef du groupe jihadiste Hayat Tahrir al-Sham, le sud de la Syrie est devenu un échiquier hyper-sensible. Israël y a étendu sa présence militaire, contrôlant de larges portions des gouvernorats de Quneitra et de Deraa, s’emparant de la zone tampon auparavant surveillée par l’ONU et multipliant raids et incursions. Des organisations de suivi évoquent plus de 1 000 frappes aériennes et plus de 400 opérations terrestres israéliennes depuis la chute d’Assad, y compris contre des sites symboliques à Damas.
Dans ce contexte explosif, le retour visible d’officiers russes dans le sud n’a rien d’anodin. Selon des sources locales, la délégation a inspecté d’anciens quartiers généraux et points de contrôle russes dans la région de Beit Jinn et sur les hauteurs dominant Quneitra, zones qui avaient été progressivement abandonnées ou allégées en effectifs depuis le basculement de la guerre en Ukraine. Damas plaide depuis des mois pour la reprise des patrouilles de police militaire russe dans le sud, en les présentant comme un moyen de « stabiliser » la zone et de réduire les « prétextes » aux opérations israéliennes.
Cette tournée intervient après une série de signaux politiques. Le mois dernier, al-Sharaa s’est rendu à Moscou, puis une délégation militaire syrienne de haut rang a été accueillie en Russie pour discuter d’une nouvelle coordination sur le terrain. Parallèlement, Ankara s’est rapprochée spectaculairement du nouveau pouvoir syrien : un accord de coopération militaire prévoit livraison d’armements, formation d’officiers syriens dans les académies turques et utilisation de casernes turques pour l’entraînement. Pour Recep Tayyip Erdogan, qui avait longtemps soutenu des factions rebelles, c’est l’occasion de conserver un levier sur la Syrie post-Assad – et de rester un acteur incontournable face à Israël.
C’est cette combinaison qui place aujourd’hui Vladimir Poutine et Erdogan « sur la sellette » aux yeux de Jérusalem. Le retour de la Russie dans le sud, alors qu’elle maintient déjà ses bases stratégiques de Tartous et Hmeimim, peut transformer la zone en couloir surveillé par Moscou, compliquant la campagne israélienne contre les menaces perçues à sa frontière nord. Quant à la Turquie, qui fournit désormais armes et conseil au régime issu de l’ex-chef jihadiste Abu Mohammed al-Julani, elle apparaît comme un parrain militaire indirect du pouvoir qui négocie avec Israël… tout en se rapprochant de Moscou.
Dans une récente interview à la presse américaine, al-Sharaa a confirmé que la Syrie mène des discussions directes avec Israël en vue d’un accord de sécurité. Sa condition est claire : un retrait israélien vers les lignes d’avant le 8 décembre 2024, date de la chute d’Assad. Le président syrien affirme que les États-Unis et plusieurs puissances internationales soutiennent cette exigence et assure que Donald Trump en personne « fera pression pour parvenir à une solution ». D’après lui, les milliers de frappes et incursions israéliennes ne relèvent pas de la crainte de l’Iran ou du Hezbollah – chassés du pays selon Damas – mais d’une « volonté d’expansion ».
À Jérusalem, la lecture est bien différente. Le gouvernement Netanyahu justifie la présence de Tsahal au-delà du Golan annexé par la nécessité de protéger les localités israéliennes et la communauté druze, et exige une zone largement démilitarisée au sud de Damas. Voir l’homme jadis connu sous le nom d’Abu Mohammed al-Julani se présenter en partenaire de paix, tout en se réadossant à Moscou et Ankara, alimente une méfiance profonde.
La visite de la délégation conjointe dans le sud syrien apparaît ainsi comme un test grandeur nature : jusqu’où la Russie est-elle prête à se redéployer pour encadrer Israël ? Jusqu’où Erdogan veut-il s’impliquer dans l’architecture sécuritaire du sud syrien ? Et jusqu’où Israël acceptera-t-il de voir sa marge de manœuvre se rétrécir au profit de forces qu’il tient pour hostiles ?
À la frontière du Golan, les habitants voient passer les véhicules militaires, russes ou israéliens, sans toujours savoir à qui appartiendra la colline voisine demain matin. Une chose est certaine : entre deals secrets, visites éclair et convois discrets, le sud de la Syrie reste l’un des endroits où se joue, au jour le jour, l’équilibre fragile entre Israël, Moscou, Ankara et le nouveau pouvoir de Damas.
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