« Les débats de Gérard » sur Fun Radio : « En réalité, Gérard est le souffre-douleur d’un dîner de cons »

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Quelques lignes plus tard, les souvenirs remontent à la surface. Ceux d’un adolescent d’une quinzaine d’années allongé sur son lit. La lumière de la table de chevet est éteinte, la molette du radio-réveil réglée sur 101.9, la fréquence de Fun Radio en Ile-de-France. Volume au minimum, pour ne pas réveiller les parents qui dorment dans la chambre à côté. Difficile d’étouffer les rires déclenchés par l’écoute des « Débats de Gérard », autoproclamée « l’émission la plus trash de la bande FM ».

Nous sommes à la fin des années 1990. Comme souvent, le jeudi soir, des centaines de milliers de jeunes insomniaques vont se marrer en écoutant cet ex-SDF à l’hygiène douteuse, persuadé d’être une star de la radio, vociférer derrière le micro.

Max, l’animateur du « Star-System », a confié entre 1997 et 2002, le soin à Gérard Cousin – un ex-routier alcoolique, vivant à Suresnes (Hauts-de-Seine), inculte, un peu homophobe, misogyne et raciste –, de discuter une fois par semaine, avec les noctambules.

Les thèmes des débats sont pour le moins… farfelus :

  • les slips jaunes
  • l’affaire Lady Di
  • les Ovnis
  • les médecins de nuit
  • les femmes enceintes…

« Le principe de l’émission, c’est de donner le micro à un homme en voie de marginalisation et de lui faire croire qu’il anime une émission de débat. En réalité, il est le souffre-douleur d’un dîner de cons qui consiste à le pousser à s’énerver en lui posant des questions absurdes et en le titillant sur sa vie privée, son inculture », résume Thibault Raisse, auteur du livre Le con de minuit, paru aux éditions Denoël*.

« Gégé » pose des questions qui n’ont ni queue ni tête [comme lui] aux auditeurs sélectionnés par l’équipe de Max pour le faire râler.

  • Comment se déroule une journée dans l’espace ?
  • Peut-on effectuer de l’équitation à trois ou plusieurs sur un cheval ?
  • Êtes-vous adepte de la boulimie en famille ?
  • Pensez-vous que la prise d’otages de Jolo est une catastrophe naturelle ?
  • Êtes-vous membre d’une secte après votre boulot ?

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Gérard s’imagine en Max Meynier, animateur des « Routiers sont sympa » sur RTL dans les années 1970-1980, quand tout le monde le voit en François Pignon de la bande FM.

A travers cet ouvrage, le journaliste, qui a enquêté durant cinq ans, a voulu « rendre sa complexité » à cet homme attachant, malmené par la vie, décédé dans une immense précarité en 2005. Et qui, sans le vouloir, a marqué l’histoire de la radio et toute une génération d’auditeurs. Bon ben…

L’émission « Les débats de Gérard » est culte pour les quadragénaires. Mais comment résumer son concept à des jeunes d’aujourd’hui ?

Dans cette émission, l’animateur, « Gérard de Suresnes », soumet à la discussion des sujets de société à des auditeurs. Mais c’est une façade. Car le principe caché de l’émission, c’est de donner le micro à un homme en voie de marginalisation et de lui faire croire qu’il anime une émission de débat. En réalité, il est le souffre-douleur d’un dîner de cons qui consiste à le pousser à s’énerver en lui posant des questions absurdes et en le titillant sur sa vie privée, son inculture. Elle dure environ deux heures, est diffusée le jeudi soir, et draine un public assez fidèle.

Tout ça se passe en direct, sans aucune censure. Il y a des insultes, des cris, parfois l’émission est inaudible… C’est totalement punk. C’était une sorte de souffle anarchique, fascinant pour les adolescents qu’on était. Le programme devient vite culte et a fait parler de lui dans le microcosme parisien. Cyril Hanouna, Jean-Paul Rouve, Jean-Luc Delarue, Florian Gazan… De nombreuses personnalités y ont participé.

Qu’est-ce qui vous a donné envie d’écrire ce livre ?

J’apprends très tardivement, en 2015, que Gérard est mort dix ans plutôt. J’ai repensé à l’adolescent que j’étais. Il aurait eu du mal à comprendre que celui qu’il imaginait être une méga star – comme toutes les vedettes de la radio de l’époque – avait pu mourir aussi jeune, dans un isolement aussi triste qu’un peu absurde.

Je ne m’étais pas rendu compte que Gérard était avant tout un homme, avec son passé cabossé. A 40 ans, je me suis dit qu’il était temps de lui rendre toute sa chair, son humanité, qu’on avait été beaucoup à ignorer. A la lumière de sa fin de vie, il était indispensable de lui redonner cette dignité que nous lui avions un peu collectivement volée quand même. Se borner à penser que « Gégé » était un crétin, la victime éternelle d’un jeu de massacre dont il était le jouet, aurait été irrespectueux. Gérard, était quelqu’un de complexe, avec ses qualités et ses défauts.

En écoutant cette émission aujourd’hui, on rit toujours beaucoup. Mais on ressent aussi, une forme de culpabilité…

C’est justement pour cette raison que, vingt-cinq ans après, beaucoup de gens s’en souviennent. Certes, tout ça nous faisait rire. Mais on ressentait aussi énormément de tendresse pour Gérard. On sentait déjà qu’on avait affaire à quelqu’un qui avait subi énormément d’épreuves dans la vie.

Gérard, c’est un homme qui n’avait absolument pas vocation à se retrouver sur une radio nationale ! On voit bien que les portes des médias sont fermées aux gens des classes populaires comme Gérard, qui sont à la frontière de la marginalité, qui ont un parlé des faubourgs, qui n’ont pas les codes. « Gégé » nous partage ses réflexions sur des sujets qu’il ne maîtrise pas, et c’est drôle, irrésistible presque.

On peut l’entendre et le voir sur les vidéos des débats qui ont été filmés : Gérard rit et sourit beaucoup. Lui aussi s’amusait dans ce bordel ambiant. Il ne faut pas lui retirer son libre arbitre. Il revenait chaque semaine. D’une manière ou d’une autre, il y trouvait aussi son compte.

Grâce aux débats, il a voyagé, signé des autographes…. Il a pris l’avion pour la première fois, il a été à New York, en boîte de nuit, au festival de Cannes, il a trouvé l’amour… Ça n’a pas été qu’un tableau noir. Cela lui a permis de vivre des moments de bonheur. Je pense qu’on jubilait aussi de l’entendre prendre cette dimension de star qui lui aurait été interdite dans un tout autre contexte.

Beaucoup d’auditeurs estiment qu’il a été manipulé ou exploité par Fun Radio puisqu’il y a travaillé quasi gratuitement…

Gérard n’a pas rapporté des millions à Fun Radio, car il n’y avait pas de pub après minuit. Son émission n’était pas directement monétisable. En revanche, il est resté à l’antenne six ans, avec des interruptions. C’est bien qu’il y avait un intérêt à le maintenir sur les ondes, à perpétuer ce rendez-vous du jeudi soir. Peut-être pas pour des raisons financières mais pour des raisons d’images.

Une certaine frange des fans de Gérard considère aussi que Max l’a abandonné littéralement les dernières années de sa vie. J’ai voulu avoir le point de vue de l’animateur du « Star-System », savoir comment il avait vécu cette époque, avoir des éléments de réponse. Il n’a pas voulu répondre à mes sollicitations.

L’émission de Max ne semble pas aussi culte, pour les auditeurs, que « les débats de Gérard ». Comment l’expliquer ?

Dans l’émission de Max, on pouvait venir parler de ses problèmes sentimentaux, chanter des chansons, faire des canulars à sa grand-mère… Mais tout ça existait déjà, ce n’était pas très révolutionnaire. En revanche les « débats de Gérard », cela n’avait jamais été vu avant, et cela n’a jamais été revu depuis. C’est devenu un objet de curiosité pour ceux qui n’ont pas connu. Et un objet de culte pour certains estimant qu’il s’agissait d’un moment exceptionnel dans l’histoire des médias et de la radio.

Il y a véritablement un culte de l’émission en ligne et le mot n’est pas trop fort. La plupart des débats, qui ont été visionnés des centaines de milliers de fois sur Internet, ont été numérisés et convertis en HD, grâce à un fan ingénieur du son qui les a répertoriés et inventoriés.

Les auditeurs rigolaient de lui, mais certains l’ont aidé jusqu’à la fin de sa vie…

Beaucoup ont essayé de l’aider, que ce soit dans l’équipe ou parmi les auditeurs. Des fans se sont organisés pour lui rendre visite dans le foyer pour sans-abri où il a vécu les dernières années en région parisienne, pour lui payer des restos… D’autres lui ont refait son CV, une auditrice lui a trouvé un foyer à Montluçon et l’a aidé à constituer un dossier pour avoir un logement HLM.

Il y a toute une organisation qui s’est mise en place, sans l’appui de Fun Radio. Après le dernier débat marqué par un dérapage de Gérard, la station a coupé tout pont, tous liens avec lui. Ce sont les fans, souvent jeunes, qui ont essayé, avec leurs moyens, de lui apporter un soutien moral et parfois financier à la fin de sa vie. Ils se sont cotisés pour lui payer, après son décès, une sépulture puisqu’il était enterré dans le carré des indigents.

Sa fille a découvert son décès en 2007, en même temps que l’existence de l’émission. Quel regard porte-t-elle sur les débats ?

Il a changé. Au départ, il y avait la douleur d’avoir perdu un père qu’elle a très peu connu, d’apprendre sa mort en 2007 sur Internet. Ensuite, il y a eu une forme de ressentiment à l’égard des fans qu’elle considérait comme des privilégiés : ils ont pu discuter et interagir avec lui alors qu’elle n’avait pas pu le faire. Et au lieu d’en profiter, ils ont utilisé ces interactions pour se moquer de lui. Elle avait beaucoup de mal à digérer ça. Elle ne comprenait pas comment on avait pu trouver un intérêt à cette émission.

Aujourd’hui, son état d’esprit a un peu changé. Elle est contente que ce livre sorte car il raconte l’histoire de son père qu’elle-même méconnaissait assez largement. Elle apprécie qu’on lui rende toute sa dimension humaine et qu’on ne le résume pas simplement à un souffre-douleur d’une émission de radio.

Elle s’est aussi rendu compte que tous ces fans, qui rigolaient en écoutant l’émission, apportaient aussi beaucoup d’affection à Gérard. Elle en est reconnaissante d’une certaine façon car elle s’est rendu compte que son père avait vécu, grâce à cette émission assez cruelle par bien des aspects, une vie aussi incroyable.

« Le con de minuit », de Thibault Raisse, éditions Denoël, 272 pages, 20 euros

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