Le Numéro Spécial sur le Mossad de L’Express est vraiment exceptionnel.

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A l’automne 2023, le général Aharon Haliva se rend au siège de la DGSE, à Paris. Le directeur du renseignement militaire israélien arrive directement de Tel-Aviv. Encore sidéré, il tente d’éclairer les événements du 7-Octobre 2023. Israël vient de connaître le plus grand attentat de son histoire : 1 218 morts en quelques heures, des commandos franchissant une barrière réputée inviolable, des kibboutz ravagés. Incapable d’expliquer l’aveuglement collectif, Haliva se tourne vers Paris.

Selon des sources proches du renseignement français, la DGSE dispose de ce qui manque cruellement aux Israéliens : des informateurs de qualité à Gaza. Depuis plusieurs années, Tel-Aviv a misé sur la haute technologie, délaissant ses sources humaines. Haliva sait que la France rechigne pourtant à partager ses informations sur l’enclave. « C’est dire s’il était désespéré, fulmine un diplomate israélien. On ne demande pas ça à la France ! »

La teneur exacte de l’entretien reste inconnue. Mais la démarche dit beaucoup. Jamais un chef du renseignement militaire israélien n’aurait songé à toquer à cette porte s’il n’existait pas une relation profonde. Quelques jours seulement avant le 7-Octobre, le directeur du Mossad David Barnea est aussi passé par Paris, un épais dossier sous le bras. Dans sa chemise, un plan d’aide de financement pour la bande de Gaza. L’Israélien voulait s’entretenir avec la cellule diplomatique de ce projet – évidemment avorté après l’attaque terroriste.

« Ils sont incroyablement forts ».

La France connaît bien la zone, son expertise est sollicitée. « A Gaza, les meilleurs capteurs sont ceux de la DGSE », affirme un récent retraité du service secret, pas peu fier de marquer une supériorité sur le renseignement israélien. Car entre les deux services, c’est souvent à qui impressionnera l’autre. « Echanger avec les Israéliens, c’est bénéficier des informations d’un pays en guerre, qui déploie des efforts constants pour son renseignement », salue un autre vétéran de la DGSE, admiratif, comme nombre de ses collègues, de l’audace de ses homologues.

L’explosion coordonnée des bipeurs du Hezbollah au Liban, en 2024, ou les frappes sur l’Iran, en 2025, ont particulièrement stupéfié les espions français. « Le Mossad peut passer des années à recruter un éleveur de chèvres des montagnes du Zagros. Nous n’avons ni le temps ni la volonté politique pour ça », loue notre source. « Ils sont incroyablement forts, surtout sur la Syrie et l’Iran », renchérit un diplomate.

« Le Mossad a un dossier sur vous »

Quant aux espions israéliens, ils consultent Paris notamment pour la qualité de son renseignement sur le Liban ou la Méditerranée orientale. « La France a toujours eu des capacités de renseignement techniques et humaines significatives. Nous savons pertinemment que les ressources de nos renseignements ne sont pas illimitées », concède Eran Lerman, ancien adjoint à la politique étrangère et aux affaires internationales au conseil de sécurité nationale du Premier ministre israélien.

Depuis soixante-dix ans, le Mossad et la DGSE s’entraident et se fascinent. Sans oublier de se jauger, avec parfois une pointe de défiance, comme l’illustre cet échange avec un cadre du renseignement israélien que nous raconte Bernard Bajolet, directeur de la DGSE entre 2012 et 2017. Dans un ascenseur, celui qui est alors directeur-adjoint Afrique du Nord et du Moyen-Orient au Quai d’Orsay se présente à Yehuda Lancry, tout juste nommé ambassadeur d’Israël en France. « Ah, c’est vous le fameux Bajolet ? », s’exclame-t-il, joignant le geste à la parole : « Le Mossad a un dossier épais comme ça sur vous ». Réponse de Bajolet : « La CIA en a trois fois plus ! ». Le maître espion a pu éprouver combien les deux agences savent mettre de côté leur rivalité, bien réelle : « Il y a toujours eu un fond de méfiance à notre égard, mais nous ne lésinons pas en matière de lutte contre le terrorisme ou contre la prolifération des armes de destructions massive. Nous nous retrouvons malgré les différences politiques ».

Relation compliquée

Depuis le port d’Haïfa, ville côtière au nord d’Israël, on apercevait parfois jusqu’à ces derniers mois la forme d’un bateau se découpant à l’horizon. Il se tenait à bonne distance, de manière à éviter les roquettes lancées depuis le Liban par le Hezbollah. Toutes les cinq semaines, cette frégate française voguait au large du port. Elle venait partager avec la marine israélienne une partie des informations collectées en Méditerranée. « De quoi tout voir sur l’eau et sous l’eau, des rives égyptiennes aux côtes turques, jusqu’à la Libye », souffle un connaisseur. Des informations plus que précieuses pour un pays comme Israël, plus faible en matière de renseignement sous-marin.

« La France fait aussi naviguer en Méditerranée orientale le Dupuy de Lôme, un bateau collecteur de renseignement, ajoute le général Christophe Gomart, ancien patron de la direction du renseignement militaire de 2013 à 2017, aujourd’hui eurodéputé (LR). Les Israéliens estiment que l’on fait un bon travail de collecte ». Paris partage les informations de sa station d’écoute à Chypre ou le produit de ses campagnes aériennes de surveillance de la Syrie et du sud-Liban. Au printemps 2025, un avion espion français a ainsi régulièrement survolé sans encombre l’espace aérien israélien, malgré les tensions diplomatiques. Opposés sur Gaza, Tel-Aviv et Paris sont tous les deux inquiets des velléités d’occupation turques au nord de la Syrie. « Nous avons une relation assez compliquée, mais nous ne pouvons pas nous en passer car nous avons des intérêts communs », pointe un ancien haut responsable de la DGSE.

Les deux services jouent régulièrement les intermédiaires l’un pour l’autre. En juin 2025, en plein épisode de tensions avec l’Azerbaïdjan, Paris a sollicité le Mossad pour ouvrir la discussion avec Bakou. Un an auparavant, juste avant l’opération des bipeurs, les Israéliens ont fait appel aux Etats-Unis et à la France pour « lancer un avertissement » au Hezbollah. « Mais les Américains ont été moins disant sur l’ampleur de notre attaque, estime un haut fonctionnaire israélien. Alors que les Français ont transmis très exactement le message ». L’épisode illustre bien les préoccupations israéliennes. « Les Israéliens sont contents de ne pas se trouver enfermés dans une relation bilatérale avec la CIA et Washington », note un ancien agent secret.

Une rumeur a longtemps prétendu que le plus gros bureau du Mossad dans l’UE avait migré à Bruxelles. C’est un leurre. A Paris, les gars jouent à domicileUn diplomate

Selon les informations du média Intelligence Online, une délégation du Mossad était encore en France le 8 septembre dernier. Elle s’y entretenait avec Egyptiens, Qataris et Américains d’un plan de cessez-le-feu à Gaza – ce qui n’a pas empêché le gouvernement israélien de bombarder les négociateurs du Hamas à Doha, moins de deux jours plus tard. Deux mois auparavant, au cœur de l’été, une rencontre a été organisée à Paris, sous parrainage américain, entre le chef de la diplomatie syrienne et un ministre israélien. En mars, en marge d’une visite du nouveau président syrien, Ahmed al-Charaa, les services de renseignement des deux pays avaient fait connaissance. Là encore, à Paris. « D’abord, parce que c’est commode pour les Syriens : on assure leur sécurité. Mais surtout, parce que Paris permet aux Israéliens d’être là sans que cela se voit », explique un diplomate. La ville abriterait le plus gros bureau du Mossad de l’Union européenne. « Une rumeur a longtemps prétendu qu’ils avaient migré à Bruxelles. C’est un leurre. A Paris, les gars jouent à domicile », assure le diplomate.

Le dispositif le plus secret du Mossad

Un attrait historique. Après la création d’Israël, l’entente entre les deux pays est si forte que Shimon Peres, alors jeune vice-ministre de la Défense israélien, a son propre bureau rue Saint Dominique, au ministère de la Défense français. En 1965, Paris abrite la plus importante station du Mossad en Europe de l’Ouest. Le service y gère ses agents et contacts des pays arabes. Le « coup de froid » sur la relation franco-israélienne qu’est la guerre de Six-Jours, deux ans plus tard, a peu d’incidence sur la présence du Mossad à Paris.

Au point d’y fomenter des meurtres. En 1992, Atef Bseiso, haut cadre de l’Organisation de libération de la Palestine, est abattu devant son hôtel à Montparnasse. Comble de l’humiliation, l’assassinat a lieu quelques heures après un rendez-vous tenu secret avec le contre-espionnage français. « La DST était folle de rage », se souvient Me Antoine Comte, avocat de l’OLP. L’enquête révèle qu’une taupe au sein de l’organisation à Tunis, Adnan Yassine, un proche de Yasser Arafat, a informé le Mossad. L’enquête mène la DST à un système de messagerie sophistiqué par boîtes vocales, « le dispositif le plus secret du Mossad », note dans un livre d’entretiens le juge d’instruction Jean-Louis Bruguière, chargé de l’enquête. Très vite, les Israéliens se savent découverts. Ils démontent leur réseau. La DST n’aura pour consolation que de laisser fuiter l’affaire dans la presse ».

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