Les incidents survenus au lendemain de l’interdiction d’atterrissage d’un avion iranien à l’aéroport de Beyrouth ont révélé au grand jour des divergences de plus en plus patentes au sein du Hezbollah. S’il est difficile à ce stade de connaître en détail l’ampleur des rivalités internes, qui agitent le parti depuis l’assassinat de l’ancien secrétaire général Hassan Nasrallah le 27 septembre dernier, il est désormais clair que tout le monde n’est plus sur la même ligne.
Les disparités se sont notamment manifestées lors des sit-in qui ont eu lieu dans la banlieue sud de Beyrouth jeudi et vendredi derniers et la fermeture de la route de l’aéroport par des supporters du parti qui se sont attaqués à un convoi de la Force intérimaire de l’ONU. Une mobilisation dont le Hezbollah s’est dans un premier temps lavé les mains, parlant d’« éléments indisciplinés ». Samedi, toutefois, dans une tentative de montrer une unité de façade tout en permettant à la rue chiite d’exprimer son indignation, le Hezbollah a officiellement appelé à une manifestation « pacifique » qui a fini par mal tourner. L’armée a été contrainte de recourir aux bombes fumigènes, alors que les protestataires ont réagi à coups de jets de pierres lancés en direction des soldats dont plusieurs ont été blessés. Le recours à la violence a été visiblement alimenté par le discours incendiaire du vice-président du conseil politique du parti, Mahmoud Comati, qui s’est lâché contre l’État l’accusant de se soumettre « aux diktats des Américains et des Israéliens ». Dimanche, le secrétaire général du parti Naïm Kassem, dans un jeu d’équilibriste, s’est dépêché de rectifier le tir. S’il a dénoncé l’interdiction de l’atterrissage de l’avion iranien qu’il a qualifiée d’« atteinte à la souveraineté libanaise » ainsi que le recours de l’armée au gaz lacrymogène, il a tempéré en déclarant : « Nous et l’armée sommes comme des frères. »
Deux ailes qui s’affrontent ?
Entre-temps, une série de prises de position ont laissé apparaître deux tendances (ou plus ?) qui s’entrechoquent au sein de la formation chiite : les faucons et va-t-en-guerre et, en face, les partisans du compromis et de la nécessité de faire profil bas. Dans les milieux proches du parti, on évoque une guerre d’influence entre l’aile sécuritaire représentée par Wafic Safa, responsable de l’unité de liaison et de coordination du Hezbollah qui serait soutenu par une partie des combattants. Ils auraient repris du poil de la bête après avoir constaté que l’accord de cessez-le-feu conclu avec Israël s’est transformé en une véritable capitulation et n’a conduit qu’à une cessation des hostilités d’un seul côté.
Face aux « faucons », le secrétaire général du parti, plus pragmatique, qui a avalisé l’accord de cessez-le-feu avec Israël concocté par le chef du mouvement Amal, Nabih Berry, ainsi que l’élection du président Joseph Aoun. Il serait soutenu par le député Mohammad Raad et l’ancien député Hussein Moussaoui avec lesquels il tente, notamment depuis les incidents du week-end dernier, de calmer le jeu. Les défenseurs de ce courant considèrent que le Hezbollah, éreinté par la guerre et pris en étau dans un contexte géopolitique qui lui est des plus défavorables, n’est plus en mesure de faire un étalage de muscles et devrait s’atteler à sauver les meubles en sauvegardant son rôle politique, quitte à se refaire une santé à l’avenir. La priorité pour l’heure étant, à leurs yeux, accordée à la survie politique du Hezbollah. C’est ce qui explique le ton d’apaisement relatif adopté par Naïm Kassem, qui a fini par s’aligner sur la position de M. Berry, qui a fermement condamné, dès vendredi, les émeutes et le blocage de la route de l’aéroport. « Le mot d’ordre du Hezbollah est à l’accalmie. Au final c’est la décision centrale du secrétaire général qui prévaut. Wafic Safa ne peut s’y dérober », commente anonymement un cadre du Hezbollah. Avant d’ajouter : « Cela ne veut pas dire qu’il y a des scissions au sein du parti, mais des divergences d’opinion. »
Wafic Safa a fini d’ailleurs par s’aligner sur la décision du parti, condamnant dans les termes les plus fermes l’attaque contre le véhicule de la Force intérimaire des Nations unies (Finul) avec « laquelle le Hezbollah entretient les meilleures relations et coordonne dans le respect de la résolution 1701 ». Dans un rare entretien accordé à la chaîne al-Mayadeen il y a trois jours, le haut cadre sécuritaire a déclaré : « Il faut faire la distinction entre cet incident condamnable qui n’est pas l’œuvre du Hezbollah et la colère des gens. Il faut absolument que l’État prenne en considération la pression extrême exercée contre les gens qui n’en peuvent plus », a-t-il dit. Un ras-le-bol qui s’est exacerbé un peu plus depuis que l’État hébreu a affirmé que ses soldats resteront positionnés dans cinq points stratégiques au Liban-Sud, offrant ainsi un prétexte idéal au Hezbollah pour se rebiffer.
« Des gens en colère »
Les contradictions sont symptomatiques des dissensions qui commencent à miner le parti, malgré les démentis. Ainsi, après avoir évoqué une « situation de chaos » provoquée par des « éléments indisciplinés et suspects », la chaîne du Hezbollah al-Manar a fini par éliminer ces deux expressions de l’information postée sur les réseaux sociaux. Membre du bureau politique, Ghaleb Abou Zaïnab, a lui aussi parlé dans un premier temps d’« anarchie » provoquée par des « voyous incontrôlés » et condamné ce qui s’est passé, avant de modifier une partie de sa publication sur X en évoquant « des gens en colère ».
« Ce qui étonne le plus dans ces réactions, c’est le fait que ces partisans ont déversé leur colère contre l’État au lieu de s’emporter contre Israël qui est à l’origine du problème », décrypte Ali Amine, analyste hostile au Hezbollah, dans une allusion aux menaces israéliennes de bombarder l’AIB si des avions iraniens devaient y atterrir.
« N’osant plus affronter Israël, ils se vengent en se retournant vers le maillon relativement faible, l’État, qui leur a pourtant tendu la main », commente anonymement un opposant au parti chiite. Selon lui, il faut comprendre les craintes des tenants de l’aile dure du Hezbollah qui estiment que si le parti devait être acculé à se désarmer, comme ne cessent de le réclamer Israël et les États-Unis, ils perdraient toute leur raison d’être.
Dans le déni
Ces scissions ou divergences relèvent d’une forme de déni chez nombre de partisans. Visiblement, une frange non négligeable au sein du Hezbollah ne réalise pas encore le poids des mutations qui se sont opérées au niveau régional et l’impossibilité de revenir en arrière. Devoir renoncer à la « résistance » et renoncer aux armes équivaudrait à leurs yeux à un désaveu de toutes les « victoires » enregistrées dans le passé et revendiquées par le parti. S’il devait se prolonger, ce déni, couplé de divergences au niveau de la politique générale du parti, risque de conduire à des querelles intestines plus inquiétantes, voire même à un conflit civil redouté.
Les propos avancés il y a quelques jours par le journaliste proche du Hezbollah, Kassem Kassir, ont sonné comme de sérieuses mises en garde, faisant craindre une réédition du coup de force du 7 mai 2008 à Beyrouth et dans la Montagne, voire pire, à un retour aux années 1980 lorsque le noyau dur de ce qui deviendra plus tard le Hezbollah enchaînait les attentats et kidnappings. « Si quelqu’un nous attaque, il doit s’attendre à des attaques en retour », a indiqué M. Kassir lors d’un entretien sur la chaîne al-Jadeed. « La communauté chiite subit en ce moment des pressions de toutes parts. Il ne faudra pas s’étonner de voir prochainement des éléments – non nécessairement partisans du Hezbollah ou d’Amal – recourir à des violences que personne ne pourra juguler », a-t-il prévenu. Un scénario de chaos que le parti chiite pourrait attribuer à des éléments « incontrôlables » ou à une cinquième colonne.
Interrogé par L’OLJ, Kassem Kassir a toutefois démenti l’existence de scissions au sein du Hezbollah. « Ce qui s’est passé n’est rien d’autre qu’un mouvement populaire dû aux pressions diplomatiques et économiques exercées par Israël et les États-Unis pour inciter l’État libanais à désarmer le Hezbollah », a-t-il dit.
JForum.Fr et LOLJ
La source de cet article se trouve sur ce site