Le colloque sur « la Palestine » annulé au Collège de France
Annulé, déplacé, puis ressuscité en version numérique : le colloque scientifique sur la Palestine ressemble désormais davantage à une série en plusieurs épisodes qu’à un simple rendez-vous académique. Prévu initialement au Collège de France, l’événement « La Palestine et l’Europe : poids du passé et dynamiques contemporaines » se tient finalement ces jeudi et vendredi en grande partie en ligne, sous l’égide du Centre arabe de recherches et d’études politiques de Paris (Carep).
Tout a basculé le 9 novembre, lorsque l’administrateur du Collège de France a annoncé la suspension du colloque, « en réaction à la polémique » entourant sa tenue. L’institution invoque alors la difficulté à garantir la sécurité de son personnel et du public. Très vite, plusieurs voix dénoncent un renoncement face aux pressions politiques et médiatiques, certains qualifiant la décision de censure déguisée.
Le Carep, co-organisateur, tente aussitôt de sauver ce qui peut l’être. Dans un communiqué, le centre explique avoir cherché en urgence une salle de substitution, pendant un week-end prolongé peu propice aux miracles logistiques. Résultat : faute de lieu capable d’accueillir l’ensemble du public, la solution retenue est un format hybride « en conditions dégradées » — une petite jauge sur place dans les locaux du Carep, dans le 13ᵉ arrondissement de Paris, et une diffusion intégrale en direct sur Internet, avec enregistrement de toutes les interventions.
Malgré ces contraintes, les organisateurs se félicitent que l’intégralité des intervenants ait maintenu sa participation. Autour de l’historien Henry Laurens, titulaire de la chaire d’histoire contemporaine du monde arabe au Collège de France, se succèdent chercheurs français, européens et moyen-orientaux pour explorer les liens entre l’Europe et la Palestine : héritage colonial, rôle des institutions européennes, responsabilités face au processus de paix et à la guerre à Gaza. Certains intitulés de panels, comme « Le sionisme comme projet européen d’expansion coloniale » ou « Les responsabilités de l’Europe : de l’échec d’Oslo à la destruction de Gaza », ont alimenté les critiques d’un colloque jugé unilatéralement « propalestinien » par ses détracteurs.
Côté gouvernement, le ministre de l’Enseignement supérieur, Philippe Baptiste, a salué sur X une décision « responsable ». Selon lui, défendre la liberté académique suppose un « débat libre, respectueux et pluriel », conditions qui n’étaient, à ses yeux, pas réunies dans la programmation initiale. Le ministre affirme ne pas avoir demandé l’annulation, tout en assumant clairement son soutien à l’initiative du Collège de France.
Cette position a immédiatement déclenché un retour de flamme dans le monde universitaire. Près de 1 500 chercheurs, enseignants et étudiants – un chiffre qui continue de grimper – ont signé une pétition réclamant la démission du ministre, considérant que cette annulation constitue « une grave atteinte aux libertés académiques et scientifiques ». Des organisations de défense des universitaires soulignent qu’un colloque controversé devrait se discuter, se critiquer, voire être contredit… mais pas être purement et simplement déprogrammé quelques jours avant son ouverture.
L’affaire intervient dans un climat déjà tendu autour des débats sur le Proche-Orient sur les campus français. Depuis le début de la guerre à Gaza, universités et grandes écoles sont prises entre mobilisations pro-palestiniennes, inquiétudes sur l’antisémitisme et controverses sur les appels au boycott des institutions israéliennes. Le ministère, qui se veut garant de la neutralité du système d’enseignement supérieur, est régulièrement sommé tantôt de protéger la liberté d’expression, tantôt de tracer des lignes rouges face à certaines formes de militantisme.
Dans ce contexte explosif, le destin de ce colloque devient plus qu’un simple problème de planning. Pour ses critiques, sa tenue en dehors du Collège de France et essentiellement en ligne illustre une forme de délocalisation de la parole universitaire, repoussée hors des lieux les plus prestigieux dès que le sujet fâche. Pour ses défenseurs, au contraire, le fait qu’il ait lieu malgré tout – grâce au streaming et à la mobilisation des chercheurs – montre que la liberté académique dispose encore de ressources, même lorsqu’elle doit se replier sur un écran.
Au final, l’épisode laisse une impression paradoxale : un colloque qui devait parler des « dynamiques contemporaines » autour de la Palestine s’est lui-même transformé en cas d’école des tensions actuelles entre politique, sécurité et recherche. Que l’on juge l’annulation prudente ou inquiétante, une chose est sûre : la discussion, elle, ne s’est pas arrêtée aux portes du Collège de France. Elle s’est simplement déplacée… dans les navigateurs des internautes.
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