Le bâtiment 35 de Kiryat Arba raconte l’impensable
Au carrefour du Goush Etsion, mardi, la vie d’Aharon Cohen s’est brutalement arrêtée. Cet habitant de Kiryat Arba rentrait simplement chez lui lorsque des terroristes l’ont pris pour cible, le tuant et blessant trois autres personnes. Quelques heures plus tard, une femme endeuillée, Batsheva Sadan, a ouvert son téléphone et posé des mots sur une douleur qui ne la quitte jamais vraiment. Son message n’était pas seulement un hommage à Aharon Cohen, z’’l ; c’était le portrait d’un immeuble entier, le fameux « bâtiment 35 », devenu malgré lui un symbole d’endeuillés.
Batsheva est la fille du rav Eli et de Dina Horowitz, z’’l, assassinés chez eux en 2003, un vendredi soir, alors que le Kiddouch résonnait encore dans l’appartement. Elle avait déjà une histoire que personne ne devrait porter. Mais en racontant le destin du bâtiment 35, elle révèle une succession de tragédies qui dépasse l’entendement : huit de ses anciens habitants ont été tués dans des attentats au fil des décennies.
Elle décrit ce bâtiment comme un immeuble modeste, bordé d’une pelouse, où vivent des gens simples, « apparemment des justes ». Derrière ces murs se croisent des histoires venues du Danemark, de Jérusalem, de familles religieuses et de jeunes couples pleins de promesses. Il y a d’abord Yehoshoua Salome, olé du Danemark, étudiant à la yechiva Nir, abattu à Hévron en 1980. Il y a ensuite Efi et Yaron Unger, un couple souriant, qui revenait d’un mariage en 1996 quand des terroristes ont mitraillé leur voiture, laissant derrière eux deux tout jeunes orphelins.
Puis vient sa propre histoire : le rav Eli et Dina Horowitz, qui transformaient leur salon en lieu d’étude et d’accueil. Un soir de shabbat 2003, des terroristes font irruption chez eux et les assassinent dans leur maison. Des enfants se retrouvent sans parents, un immeuble perd un couple qui en était l’âme. En 2015, c’est Yaakov et Netanel Litman, un père et son fils, qui ne rentreront jamais à la maison. Sur la route du shabbat ‘hatan de leur fille et sœur, leur voiture est prise pour cible. La fête prévue quelques jours plus tard se transforme en cérémonie de larmes et de kaddish.
Et aujourd’hui, c’est le nom d’Aharon Cohen, z’’l, qui s’ajoute à cette liste impossible. Un homme d’une soixantaine d’années, voisin discret, habitué du même escalier, de la même boîte aux lettres, des mêmes salutations échangées sur le palier. Il a été tué au carrefour du Goush Etsion, là où tant de voitures s’arrêtent chaque jour, comme si la routine pouvait protéger de la folie.
Quand on lit le post de Batsheva, on imagine les boîtes aux lettres alignées dans l’entrée du bâtiment 35, chacune portant un nom dont certains ne répondent plus. On imagine les voisins qui se connaissent depuis des années, comptent les chaises manquantes aux repas de fête et savent par cœur les dates de yahrzeit. Dans la cage d’escalier, les enfants continuent de courir, mais les adultes baissent parfois la voix ; ils se rappellent qui a grandi là, qui n’est jamais revenu.
L’émotion de Batsheva n’est pas celle d’une analyse politique : c’est la voix d’une fille, d’une voisine, d’une femme qui regarde son immeuble et se demande comment un endroit si banal peut concentrer autant de douleur. Pourtant, elle ne parle pas de malédiction. Au contraire, elle insiste sur la simplicité, la bonté, la discrétion de ceux qui y vivent. Comme si la sainteté, pour elle, se nichait justement dans ces vies ordinaires qui refusent de céder à la peur.
Dans ce coin de Kiryat Arba, on continue à arroser la pelouse, à accrocher des dessins d’enfants sur les portes, à déposer des plats pour les familles endeuillées. Le bâtiment 35 ne sera jamais qu’un bloc de béton pour ceux qui n’y sont jamais entrés. Pour ses habitants, c’est un lieu où la douleur et la foi se mêlent, où la mémoire des disparus se croise chaque jour avec les rires des enfants qui montent les escaliers deux par deux. Et alors que le nom d’Aharon Cohen vient s’ajouter à la liste, ce qu’on ressent surtout, c’est le besoin de serrer plus fort les vivants et de prononcer, encore et encore, les prénoms de ceux qui ne rentreront plus.
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