Un personnel politique bien terne pour des temps obscurs
L’antisémitisme comme révélateur de la crise française
Renée Fregosi
Le retour de l’antisémitisme, très commenté dans la classe politique, à droite, et dans une bonne partie de la presse, apparaît comme un nouveau révélateur de la crise française, observe la philosophe et politologue Renée Fregosi.
Tandis qu’en France se profile une nouvelle crise politique, qui devrait éclater le 8 septembre prochain à l’Assemblée nationale lors de la question de confiance au gouvernement, l’ensemble du landerneau politique se perd en calculs mesquins et en manœuvres stériles. Pourtant, des menaces bien plus graves continuent de nous parvenir de toutes parts – Moyen-Orient, Chine, Russie, États-Unis – et surgissent aussi du cœur même de notre société. Mais parce que notre personnel politique, dans son ensemble, se révèle trop médiocre et relâché pour y faire face, il se réfugie dans le déni, les analyses sociologisantes hors-sol ou les visions complotistes. Ce sentiment de délitement, de fuite en avant vers l’abîme, n’est pas nouveau, mais il s’est considérablement aggravé et pèse de manière oppressante depuis plusieurs mois.
La suppression en 2020 de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP) a certes rendu plus difficile et contestable le suivi statistique des crimes et délits, mais la montée de la violence au quotidien – agressions, trafics, attentats – est ressentie directement par la population. Des instituts réputés comme la Fondapol publient régulièrement des rapports alarmants. Comme le rappelait déjà Dominique Reynié en 2022, « à travers l’enjeu de la sécurité, les Français perçoivent le délitement de la souveraineté nationale ». Le narcotrafic qui met en coupe réglée des quartiers entiers, la multiplication des agressions contre les femmes et les personnes âgées, la recrudescence des tentatives d’attentats menées par des individus de plus en plus jeunes, la hausse constante des actes antijuifs – qui ont explosé depuis le 7 octobre 2023 – composent un tableau inquiétant. La montée d’un « nouvel antisémitisme » est d’ailleurs emblématique de la perte de contrôle du politique sur la société.
On parle désormais d’« antisémitisme décomplexé » ou d’« antisémitisme d’atmosphère », comme si le pogrom génocidaire du Hamas en Israël, le 7 octobre 2023, avait légitimé la libération de la parole et des actes antijuifs. De Beyrouth au Caire, de Téhéran à Jakarta, en passant par Tunis, Damas ou Istanbul, mais aussi à New York, Londres ou Paris, des rassemblements se tiennent depuis ce jour funeste aux cris de « Israël assassin » ou du sinistre « Allahu akbar ». Les Juifs, assimilés à des « complices » d’Israël, y sont insultés, discriminés, attaqués physiquement, en France comme en Espagne, aux Pays-Bas, en Allemagne ou au Royaume-Uni. Le Hamas, branche palestinienne des Frères musulmans et instrumentalisé par l’Iran, est devenu le porte-drapeau de la lutte mondiale contre Israël en particulier, et contre l’Occident en général. Il est désormais présenté comme le héros de la « résistance palestinienne », et même, plus largement, comme un symbole de la lutte contre la prétendue « domination blanche » dans le monde.
Sous couvert d’une posture soi-disant « équilibrée » renvoyant dos-à-dos Israéliens et Palestiniens, c’est en réalité le narratif pro-palestinien qui domine dans les grands médias et dans une partie de la classe politique. En France, LFI – avec Rima Hassan, Mathilde Panot, Sébastien Delogu ou Danielle Obono – ainsi que les écologistes, en particulier par la voix d’Aymeric Caron, reprennent cette ligne, renouant avec ce qu’August Bebel appelait le « socialisme des imbéciles » pour qualifier l’antisémitisme de gauche. Mais ils ne sont pas seuls : à droite, Dominique de Villepin reste prompt à accuser Israël de tous les maux, et certains élus, par électoralisme, nient ou minimisent l’antisémitisme musulman. Le plus préoccupant reste cependant la complaisance observée au sommet de l’État.
En refusant de participer à la marche nationale contre l’antisémitisme en novembre 2023, au nom d’un prétendu souci de « ne pas diviser les Français », le président de la République a accrédité l’idée que l’antisémitisme pouvait constituer une position politique, présentée comme symétrique de la supposée « islamophobie » dont seraient victimes les musulmans en France. De fait, Emmanuel Macron a ainsi semblé prendre parti pour les musulmans contre les Juifs. Il a réitéré cette faute politique et morale le 9 avril 2025, en annonçant la reconnaissance par la France d’un « État palestinien » – entité encore fantasmatique, sans frontières ni institutions définies – sans poser aucune condition, pas même la libération des otages encore retenus par le Hamas. L’argument avancé, selon lequel ce geste contribuerait à mettre fin à la guerre à Gaza et favoriserait la paix, relève d’une illusion dangereuse.
Une telle position résonne comme une menace à l’égard d’Israël, clairement assumée par ailleurs par le Premier ministre britannique Keir Starmer, qui a annoncé le 29 juillet que son pays reconnaîtrait la Palestine à l’ONU « sauf si Israël prenait une série d’engagements ». Or, l’histoire récente du Moyen-Orient montre le contraire : c’est en écartant la question palestinienne et en privilégiant les enjeux sécuritaires et économiques que la normalisation avec Israël a progressé, depuis l’Égypte (1979) et la Jordanie (1994), jusqu’au Maroc, aux Émirats arabes unis et au Bahreïn (2020), et même l’Arabie saoudite, qui, à la veille du 7 octobre 2023, s’apprêtait à rejoindre les accords d’Abraham.
Plutôt qu’un président qui multiplie les polémiques avec Benyamin Netanyahou et l’ambassadeur des États-Unis à Paris, sans parvenir à peser réellement sur les affaires du monde, la France aurait besoin d’un chef d’État digne de respect, déterminé et porteur d’une haute exigence morale. Mais, ailleurs non plus, le monde n’offre guère de modèles: où que l’on regarde, ce ne sont que potentats paranoïaques, régimes corrompus ou faillis, autocrates sans vision, narco-États ou pouvoirs islamistes sanguinaires. Face à ce panorama détestable et dangereux, la question reste entière: comment retrouver le chemin de la démocratie, non seulement comme méthode, mais comme finalité de l’action politique, alors que les responsables eux-mêmes ne sont peut-être, en fin de compte, que le reflet de leurs peuples et de leur époque ?
Dernier ouvrage paru : Le Sud global à la dérive. Entre décolonialisme et antisémitisme. Éditions Intervalles 2025.
Source: causeur.fr
Ursula Van der Leyen et Emmanuel Macron à Paris, le 4 septembre 2025 © Matthieu Mirville/ZUMA/SIPA
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